9 mai 2012

Temps de lecture : 3 min

Réconcilier les deux corps du Roi

Les élections sont souvent un moment où les Français se divisent. Mais la continuité de l’Etat doit être absolument préservée. Car l’Homme a toujours vécu en communauté. Et le souverain symbolise concrètement l’alliance de tout un peuple dans son enveloppe corporelle. Par Thomas Jamet...

Par nature animal politique, l’humain est enclin à l’union politique avec ses semblables. Pour le philosophe écossais du XVIIIème siècle Adam Ferguson « Les cris de l’enfant, la tristesse de l’adulte, quand ils sont seuls, la joie de vivre de l’un et la gaieté de l’autre lorsqu’ils vivent en compagnie, prouvent amplement que ce penchant est inhérent à notre nature ».

La composante sociale de l’homme semble en effet lui être consubstantielle, l’homme faisant partie naturellement d’un ensemble. Il est même possible d’attribuer des qualités sociogénétiques à cet état, puisque le fait d’être en société permet à l’homme de se réaliser pleinement : sans elle, l’homme ne peut répondre à cette nécessité vitale de la sûreté et de la conservation de soi.

Il existerait ainsi une constance dans la nature anthropologique de l’homme, et pour Ferguson « Il n’y a pas lieu de croire que les Anciens (…) ne soient pas identiques à nous, Modernes (…) Quand les récits, parvenus des quatre coins du monde, les plus anciens comme les plus récents, s’accordent pour nous présenter l’espèce humaine toujours rassemblée en troupe et en compagnie, (…) il nous faut nécessairement admettre ces faits pour le fondement de toutes nos spéculations sur l’homme ».

Cet état de sociabilité universelle est un état mythique, au sens où les récits, d’origine ethniques, légendaires, faisant état de l’Homme en état de sociabilité sont fondateurs des systèmes religieux et politiques. Il semble même que la Cité soit la finitude de la sociabilité humaine. Pour Aristote, la Cité est naturelle parce qu’elle est la « fin » des communautés : le couple, la famille, le village. La Cité est la « fin » des associations humaines car c’est en elle que l’Homme peut trouver le bonheur, le bien vivre, ce qu’Aristote, à la suite de Platon, appelle « la vie heureuse »

Les mythes ont toujours structuré la société et, à l’âge des premières civilisations et des premières Cités, l’homme n’a plus besoin des montagnes pour se rapprocher de Dieu. La civilisation est créatrice de mythe. Les villes sont là pour cela et les dieux sont des dieux urbains. Ils enseignent aux hommes à construire les hautes ziggourats de Mésopotamie qui sont des liens avec le divin, dépassant les huttes des agriculteurs. D’autres divinités naissent, comme Enki qui est le Dieu des forgerons, des maroquiniers, des potiers et des scribes ou Mardouk qui fonde la grande cité de Babylone (« la porte des Dieux »).

Les dieux sont provocateurs de rites sociaux et sont invoqués aux cérémonies du Nouvel An, créées comme un rituel symbolique de mort et de renaissance. Mais les dieux sont plus que cela : ils forment littéralement le corps social. C’est ce qui est visible dans la mythologie védique indienne avec la légende de Purasha, un géant cosmique qui s’offre aux dieux qui le démembrent. Les parties de son corps constituent les classes sociales et sont formés de son corps sacré.

Mais au-delà c’est le corps du souverain qui symbolise cet état de société et la cohésion du corps social dans son intégralité. C’est ce que l’historien Ernst Kantorowicz détaille dans son ouvrage légendaire « Les Deux Corps du Roi / Essai sur la théologie politique au Moyen Âge », paru en 1957. Le roi possède selon cette théorie deux corps : un corps terrestre et mortel, tout en incarnant le corps politique et immortel, la Cité, la communauté constituée par le royaume.

Mais dans ce corps mortel du roi vient se loger le corps immortel du royaume que le roi transmet à son successeur. Cette double nature, humaine et souveraine du « corps du roi » explique d’ailleurs l’adage « Le Roi est mort, vive le Roi ! », le corps du souverain ne pouvant précisément mourir. Ce n’est finalement rien de moins que ce que Nicolas Sarkozy et François Hollande ont incarné hier le 8 mai en apparaissant ensemble devant la flamme du soldat inconnu, symbole de l’unité nationale.

Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever

Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.

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