27 octobre 2019

Temps de lecture : 4 min

On se rasait avec Gillette, maintenant on en cause dans les twittomières…

En opérant un virage à 180 degrés dans ses publicités, Gilette s’est attiré les foudres de nombreux consommateurs. La marque de rasoir affirme pourtant avoir fait le bon choix. #Youtoo ?

En opérant un virage à 180 degrés dans ses publicités, Gilette s’est attiré les foudres de nombreux consommateurs. La marque de rasoir affirme pourtant avoir fait le bon choix. #Youtoo ?

Gillette persiste et signe. Opérer un virage stratégique majeur peut s’avérer être une lame à double tranchant…même pour une marque rasoir. La firme américaine, qui appartient au géant Procter & Gamble, jouait depuis de nombreuses années avec les stéréotypes masculins pour ne pas dire un rien macho. De beaux mâles aux muscles saillants filmés sous les meilleurs angles possibles avec une musique rappelant les séries des années 80 étaient censés illustrer la « perfection au masculin », le slogan du groupe. Les campagnes #Metoo et #BalanceTonPorc sont depuis, passées par là. Visiblement gêné aux entournures, Gillette a décidé au début de l’année d’opérer un visage à 180 degrés avec une nouvelle campagne publicitaire qui a fait beaucoup de bruit.

Sa devise, « The best a man can be » (« le meilleur qu’un homme puisse être »), souhaite « soutenir une nouvelle génération qui cherche à s’améliorer », souligne le président du spécialiste des triple-lames. « En approuvant les comportements responsables vis-à-vis des autres, en éliminant les excuses pour les mauvais comportements, en supportant une nouvelle génération qui cherche à s’améliorer, nous pouvons aider à créer un changement positif qui sera important dans les années à venir », juge Gary Coombe.

La polémique enfle

Dans un spot de près de deux minutes, des hommes sont montrés tout sourire devant une scène de harcèlement et un patron touche l’épaule d’une collègue avant de prendre la parole à sa place. Certains de ces messieurs prennent alors conscience de leurs erreurs. Un beau mâle empêche un de ses amis de faire un commentaire inapproprié à une passante dans la rue et un papa sépare deux enfants qui se bagarrent dans la rue. Cette campagne a soulevé une véritable levée de boucliers aux Etats-Unis et dans le reste du monde.

L’acteur James Woods, qui a tourné notamment dans « Il était une fois en Amérique », « Casino » et « Nixon », a appelé au boycott de la marque après la diffusion de ce spot qui est, pour lui, une véritable « propagande féminine ».

Le présentateur de télévision, Piers Morgan, a, pour sa part, qualifié sur son compte Twitter cette publicité « d’absurde »

Le psychologue Gad Saad s’est, de son côté, demande ce que « les « hommes toxiques » qui ont débarqué sur les côtes normandes pour libérer le monde du Diable en personne penseraient de la moralisante campagne de Gillette ». Certains parallèles laissent songeur… D’autres personnalités ont, au contraire, cherché à défendre la communication de la marque américaine. « Cette publicité n’est pas anti-hommes. Elle est pro-humanité », a expliqué sur les réseaux sociaux Bernice King, fille de Martin Luther King.

 Un virage brutal peut conduire à une sortie de route

Cette campagne est également intéressante d’un point de vue purement stratégique. « Les consommateurs ont besoin de voir qu’une marque ne les trompe pas, assure Thierry Wellhoff, le fondateur de l’agence Wellcom. Et quand une marque change brutalement de message publicitaire, comme cela a été le cas avec Gillette, elle risque d’être très fortement critiquée car les particuliers peuvent mettre en doute sa sincérité ». Le social-bashing dont ils ont été victimes ne semble pas avoir ému outre mesure les dirigeants de la filiale de P&G.

Leur film a en effet été vu 115 millions de fois et a généré 18 milliards d’impression. Des chiffres énormes pour une campagne qui n’a pas été soutenue par une campagne de relations publiques. Gillette affirme en outre que plusieurs études indépendantes qu’il n’a ni payées ni mandatées ont prouvé l’impact du spot auprès des consommateurs. Selon une enquête d’Ace Metrix, 65% des personnes disent être plus susceptibles d’acheter la marque après avoir vu le film. 84% des femmes et 77% des hommes dans la tranche d’âge des millenials auraient aimé la publicité, d’après Perksy. Le pourcentage des particuliers qui pensent que la marque de rasoirs partage les mêmes valeurs qu’eux seraient, pour sa part, passé de 42% à 72% depuis la diffusion de la nouvelle campagne. En termes de revenus, les ventes du groupe ont progressé de 4% durant le trimestre suivant la mise en ligne du film dans un marché du rasage atone. La firme affirme même avoir gagné 25 millions de consommateurs dans le monde depuis le mois de janvier.

Gillette persiste et signe

Fort de ce succès, Gillette a sorti ces derniers mois plusieurs nouveaux spots sur certains de ses marchés les plus prometteurs. Au Canada, un jeune transgenre apprend à se raser avec l’aide de son un père. En Inde, des jeunes filles se déguisent en homme pour reprendre l’échoppe de leur père barbier car les femmes ne peuvent hériter dans ce pays. En Espagne, des hommes n’ont pas peur d’affirmer qu’ils sont champions de natation synchronisée ou drag queen. En Afrique du Sud, des femmes qui s’impliquent dans l’éducation des garçons sont mises en avant dans un pays où les hommes fuient leurs obligations paternelles. La plupart de ces films sont efficaces mais représentent-ils réellement un changement de paradigme dans un groupe à l’image jusqu’alors plutôt machiste ou sont-ils l’illustration d’un simple opportunisme commercial ? En tout cas ça cause dans les twittwares.

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