Quentin Bordage (Kolsquare) : « Les entreprises doivent contrôler leur image de marque… tout en laissant aux influenceurs la liberté de créer du contenu »
Cette semaine, pour Sous Influence, nous avons échangé avec Quentin Bordage, fondateur et CEO de la plateforme Kolsquare pour commenter les résultats de la première étude paneuropéenne sur le marketing d'influence que sa maison venait de livrer. Un travail de recherche essentiel qui permet de décortiquer ce « genre marketing » grandissant dans les budgets des annonceurs en abordant ses particularités régionales, ses opportunités et les défis qu’il impose toujours à ses acteurs.
Au début des années 2010, à une époque où le marketing d’influence était encore en gestation, la simple hypothèse que des individus puissent avoir de l’influence sur le comportement des consommateurs, à l’instar des célébrités et des médias traditionnels, aurait été immédiatement balayée par les marques. L’explosion des réseaux sociaux a rapidement changé la donne à mesure que les créateurs de contenu, notamment sur Youtube – lancé en 2005 –, gagnaient en popularité auprès des jeunes générations. En constatant l’explosion de leur nombre d’abonnés, les premiers influenceurs ont vite réalisé leur valeur monétaire potentielle. Dans le même temps, les annonceurs qui, jusque-là, s’aventuraient prudemment dans ce nouvel écosystème, ont enfin décidé à capitaliser sur le potentiel commercial des créateurs de contenu… et le secteur s’est structuré.
Pour Quentin Bordage, fondateur et CEO de Koslquare, une plateforme leader du marketing d’influence en Europe, 2024 a d’ailleurs été « une année charnière. Après la croissance soutenue de la dernière décennie, le Marketing d’Influence est entré dans une nouvelle ère de maturité, se confirmant comme un pilier clé du mix marketing ». Cette croissance, partout en Europe, a d’ailleurs conduit les différents pays du continent à construire leur propre vision du marketing d’influence et de ses tactiques. Un contexte bouillonnant, donc, auquel il manquait des « données empiriques comparatives entre les pays » pour bien prendre le pouls de l’industrie, selon Quentin Bordage, avec qui nous avons eu le plaisir d’échanger dans la préparation de ce sujet. C’est maintenant chose faite.
L’Europe dans le viseur
Kolsquare, accompagné par le cabinet d’études B2B NewtonX, vient de dévoiler la première étude paneuropéenne dédiée au marketing d’influence, notamment à l’échelle européenne. Une enquête menée auprès de 385 décideurs de marques du secteur, y compris des CMO, des influencer managers, des responsables des relations publiques et des responsables des médias sociaux, à l’exclusion des agences. Tous ont au moins deux ans d’expérience dans la gestion ou l’exécution de campagnes de marketing d’influence et exercent un pouvoir décisif sur la stratégie de leur entreprise. Enfin, l’étude s’est concentrée sur cinq marchés européens : La France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni, offrant ainsi une vue d’ensemble des tendances du marketing d’influence dans les régions clés. Voilà ce qu’elle nous apprend.
En ce qui concerne le choix du canal à privilégier… Instagram continue de régner en maître grâce à sa polyvalence et ses capacités de données. Snapchat trouve aussi sa place, en particulier en France, en Allemagne, et au Royaume-Uni, où il se permet même de dépasser Twitch. D’un autre côté, et de manière surprenante, WeChat gagne du terrain en étant même plus utilisé que WhatsApp en France, une metric qui révèle l’intérêt des spécialistes européens pour le marché chinois.
Pas se tromper dans les dosages
Véritables stars à – plus – petit prix, les micro-influenceurs concentrent toujours l’essentiel des investissements – 75 % – suivis de près par les macro-influenceurs – 65 % –. Mais les nano-influenceurs – 42 % – continuent de trouver leur public, notamment pour leur proximité avec des communautés locales, idéal pour des campagnes de niche. Mais qu’en est il des influenceurs synthétiques – des IA donc – qui sont constamment observés par la presse généraliste et spécialisée ? Véritable fantasme médiatique ou tendance de fond ?
« Mon humble avis, c’est que le concept se développe… mais que ça restera un phénomène de marge », explique Quentin Bordage. « Ils ont leurs avantages, comme le fait d’éviter aux marques tout bad buzz potentiel, mais ce que recherchent les consommateurs c’est l’authenticité qui passe forcément par la vraie vie et par des vraies personnes avec leurs qualités, leurs défauts et leurs parcours ».
Côté stratégie, 64 % des entreprises collaborent avec un maximum de 49 influenceurs par an, tandis que 28 % travaillent avec 50 à 249 partenaires. La majorité des répondants préfère une combinaison de nouveaux et d’anciens influenceurs, sauf en Espagne, où la recherche de nouvelles collaborations est favorisée, témoignant d’une approche expérimentale. Enfin, une large part des entreprises – 61% – prévoit d’augmenter leur nombre de partenariats influenceurs l’année prochaine.
Des formats multiples… pour des budgets en hausse
Concernant les formats privilégiés, chaque pays à ses préférences. Les formats les plus courants incluent les posts sponsorisés – 58 % –, les événements d’influenceurs – 56 % –, et les évaluations de produits – 48 % –. En Allemagne et en Espagne, les posts sponsorisés sont privilégiés, tandis qu’en France, les événements d’influenceurs sont plus appréciés – 21 % –. Le marketing d’affiliation est particulièrement apprécié au Royaume-Uni – 14 % –, ce qui illustre des différences stratégiques notables sur ces différents marchés européens.
Autre grand enseignement de cette étude : les investissements des entreprises européennes en marketing d’influence varient considérablement. Plus d’un quart d’entre elles investit au-delà de 500 000 euros chaque année. L’Allemagne mène la danse avec une dépense moyenne de 5,74millions d’euros, tandis que l’Espagne reste la plus modeste, avec 30 % de ses entreprises qui limitent leur budget à moins de 50 000 euros. La France se place au niveau de la moyenne européenne, avec un investissement moyen de 3,45 millions d’euros.
Plusieurs défis à relever
L’essor rapide du marketing d’influence a créé un environnement complexe aux multiples défis pour les spécialistes européens avec en premier lieu la mesure du ROI/ROAS des campagnes – citée par 50 % des répondants –. Vient ensuite, et cela a particulièrement retenu notre attention, le problème d’équilibre actuel entre la liberté créative des influenceurs et le contrôle des marques – cité par 41 % des spécialistes –.
« Les marques savent très bien aujourd’hui qu’il faut laisser les créateurs faire du contenu qui va parler à leur audience pour créer l’authenticité et l’adhésion, mais aussi pour générer de l’engagement. C’est ça qui va générer des ventes derrière ou augmenter la notoriété de la marque », commente le CEO de Kolsquare. Avant de poursuivre : « Après… c’est la théorie. Dans la pratique, ce n’est pas si évident pour les annonceurs qui doivent composer avec des contraintes au niveau de leur groupe, de la marque, des contraintes légales. Les mentalités avancent… petit à petit (rire). Ce qui est drôle c’est que cette dichotomie est surtout identifiée en France là où dans les autres pays on reste focalisé sur le ROI ».
Plus de demi-mesure
À mesure que le marché mûrit, les consommateurs deviennent de plus en plus exigeants envers les influenceurs et les marques qu’ils soutiennent. Cette rigueur force les entreprises à sélectionner soigneusement les influenceurs capables de toucher efficacement le bon public. En France et en Italie, la transparence et la conduite éthique des influenceurs sont devenues prioritaires, notamment après l’adoption récente en France de la loi dite « Influenceurs » et le scandale en Italie impliquant Chiara Ferragni. Comme nous l’explique Quentin Bordage, suite à cette affaire qui a fait beaucoup de bruit dans la botte, « plusieurs tables rondes ont été organisées dans le pays, sur le même modèle que ce qu’on a fait en France, pour permettre aux différents acteurs de se questionner sur les bonnes pratiques à mettre en œuvre. »
Une réflexivité que l’on constate aujourd’hui partout en Europe : « Aujourd’hui, en France, on a l’UMICC mais au Royaume Uni ils ont l’IMTB – Influenceur Marketing Trade Body – depuis quelques années, en Allemagne, il y a le BVIM, pour Bundesverband Influencer Marketing… C’est intéressant parce qu’on reproche souvent à notre secteur d’être un peu léger éthiquement parlant. Je pense qu’on a passé un cap et que les pratiques vont continuer à se professionnaliser, s’harmoniser et se responsabiliser. C’est plutôt… enthousiasmant (rire) ».
Question de principe
Désormais, 27 % des spécialistes du marketing en Europe, et 37 % en Italie, considèrent qu’inspirer un changement positif est essentiel dans leurs campagnes d’influence. Les spécialistes anticipent d’ailleurs une plus grande sélectivité dans le choix des influenceurs, accompagnée d’un renforcement des réglementations, notamment en France et en Espagne. Malgré cela, l’impact des influenceurs devrait rester fort : 87 % des responsables marketing allemands pensent par exemple que les KOLs continueront à jouer un rôle clé, tout comme l’Italie qui reste optimiste – 70 % –.
Pour continuer à faire le tri et permettre aux annonceurs de ne plus se faire berner, Kolsquare a développé de son côté « le Compliance Score, un algorithme qui analyse les contenus postés par les influenceurs pour identifier s’ils parlent de marques ou pas. Si c’est le cas, on se demande dans un second temps s’il s’agit d’une collaboration » car, bien sûr, les créateurs peuvent être amenés à parler d’une marque de manière organique dans une vidéo. Quentin Bordage conclut : « On va continuer à développer ce type d’outils qui permet aux marques de savoir si le créateur respecte vraiment le jeu ».
La preuve que le salut de l’industrie passera par l’usage des bons outils et des bons créateurs de contenu… mais surtout par la bonne volonté de ses acteurs.
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