Nous défendons l’intelligence humaine comme un soldat paranoïaque lance des boulets de canon dans le vide pour défendre un château que personne n’attaque. Alors j’aimerais poser une question comme un cheveu sur la soupe : qu’avons-nous de si spécial, au fond ?
Un excellent allié dans ce grand exercice d’humilité est François Verheggen, zrofesseur de zoologie à l’Université de Liège. Il vient de sortir un livre intitulé La cigale et le zombie, où il décrit “ces comportements qu’on pensait propres à l’Homme” et dont, au fil de la recherche en éthologie, on découvre peu à peu qu’ils ne le sont pas du tout.
“Quand nous découvrons des formes d’intelligence qui concurrencent la nôtre, alors nous redéfinissons l’intelligence pour rester les meilleurs.”
« L’homme est le seul animal qui rit », affirmait Aristote… il s’avère que les chimpanzés aussi, nous apprend François Verheggen. Un manuel d’enseignants annonce quant à lui que « Deux aptitudes semblent propres à l’humain, (…) la propension à transmettre et la capacité à apprendre ». Raté encore : les suricates inculquent à leurs petits la chasse en leur donnant des cours, avec exercices et corrections. « L’homme est par nature un animal politique » toujours selon Aristote… tout comme les cygnes chanteurs, qui ont un système de vote démocratique.
Au fond, nous essayons toujours de définir l’humain contre tout le reste et, quand nous découvrons des formes d’intelligence qui concurrencent la nôtre, alors c’est simple : nous redéfinissons l’intelligence pour rester les meilleurs. Mais qu’est-ce qu’il nous reste vraiment ? Si les animaux savent créer de l’art, partager une culture, façonner des outils, vivre un deuil, enseigner, prévoir l’avenir, se faire rire et même se trahir, et si les intelligences artificielles savent créer, déduire, se tromper, être drôles, deviner, formuler des ressentis qui ressemblent aux nôtres… qu’est-ce qui peut vraiment nous aider à nous sentir à nouveau uniques ?
“Peut-être ne sommes-nous ni spéciaux, ni supérieurs et que ce n’est pas grave.”
Et si on arrêtait de chercher ? Peut-être ne sommes-nous ni spéciaux, ni supérieurs et que ce n’est pas grave. Peut-être que l’énergie que nous déployons à tenter de défendre l’idée de notre intelligence, nous pourrions l’utiliser à comprendre les autres, qu’elles soient animales ou artificielles. À les voir moins comme des concurrentes ou des menaces que comme des inspirations ou même des alliées. Peut-être que notre plus grande force pour affronter les défis d’un futur incertain ne sera pas notre intelligence mais notre capacité à collaborer avec celles qui nous dépassent.