31 mars 2025

Temps de lecture : 9 min

« Quand un annonceur s’intègre naturellement à une œuvre culturelle, les ventes s’en ressentent », Paul Boulangé (Publicis Media Content)

Et si la meilleure publicité était celle qu’on ne pouvait plus zapper ? Paul Boulangé, à la tête de Publicis Media Content, défend une approche “in culture” qui permet aux marques de s’intégrer dans les programmes préférés des publics. De McDo dans Emily in Paris à Oral B avec Squeezie, il démontre que l’efficacité se mesure désormais à l’aune de la pertinence culturelle...

INfluencia : vous décrivez votre nouvelle approche du média publicitaire comme étant “in culture”, vous pouvez nous en dire plus ?

Paul Boulangé : l’idée remonte à trois ans quand j’ai repris Publicis Media Content, le département contenu de Publicis Media France, avec Caroline Letailleur. À la base, c’était une cellule OPS, comme il en existe dans beaucoup d’agences. Mais nous trouvions que la valeur ajoutée que nous créions n’était pas suffisante. Il y avait deux raisons à ça. D’abord, le contenu, était souvent perçu comme un simple bonus à une campagne publicitaire globale avec assez peu de rationnel, à la fois dans la mesure ou dans les motivations. Si la campagne remporte un prix ou qu’elle plait en interne, c’était suffisant, mais il n’y avait pas de vrai rationnel business. Et surtout… les contenus ne brillaient pas par leur créativité. Nous avions quelques bons KPIs média… qui sont rarement mauvais, de toute façon, mais la qualité des contenus était franchement questionnable. Nous avons donc remonté la chaîne de valeur. Bien sûr, nous travaillons toujours avec les médias, mais nous les poussons à nous proposer des produits plus spécifiques. Et surtout, nous sommes allés voir les ayants droit, ceux qui créent les contenus : séries, fictions, documentaires, programmes… avec l’idée de faire ce qu’on appelle du « brand scripting », à savoir faire matcher une histoire de marque ou de produit avec un contenu existant, ou en réflexion. Ce n’est donc pas de la publicité classique qui est dans l’interruption puisque nous cherchons véritablement à intégrer les marques dans des contenus qui plaisent déjà aux gens.

IN : pouvez-vous nous donner un cas concret que vous avez développé avec cette approche ?

Paul Boulangé : le premier vrai exemple, c’est Emily in Paris, où nous avons intégré sept minutes de McDonald’s France, en deal direct avec les équipes de Darren Star (le showrunner de la série, NDLR). Résultat en termes business : +25 % de ventes ! À ce moment-là, nous nous sommes rendus compte que nous avions créé un modèle qui fonctionne, à condition de bien le mesurer. Quand un contenu de marque s’intègre de façon naturelle à une œuvre culturelle, cela peut avoir un impact direct sur les ventes. Et c’était important, parce que ce type de contenu, historiquement, était plutôt “haut de funnel”. Notre conviction, c’est qu’il peut avoir un effet immédiat sur l’intention d’achat – voire sur l’achat tout court. Et ça, nous avons commencé à le mesurer.

IN : la proposition a été bien accueillie par le pôle créatif de la série ?

P.B. : alors, pour vous raconter brièvement… À la base, dans Emily in Paris, les placements sont plutôt orientés luxe : Tiffany, LVMH, etc. Donc McDonald’s, c’était clairement hors brief. . Mais la question s’est posée : “Et si on jouait à fond le cliché français avec le McBaguette ?”. Tellement cliché que ça pouvait passer… Nous avons imaginé une histoire autour de ce produit et échangé des scénarios avec la production. Au début, ils pensaient même que nous avions inventé le McBaguette uniquement pour coller à la série. Quand ils ont compris que c’était un vrai produit, ils ont creusé l’idée. Ils ont vu qu’en France, chez McDonald’s, il y a des macarons, une vraie touche “frenchy”, et c’est à ce moment-là qu’ils ont accroché. Ce décalage culturel a créé un hook scénaristique qui leur a plu. Résultat, c’est devenu la scène d’ouverture de la saison 3, avec une visibilité et une mention de la marque à l’écran pendant sept minutes. Si nous avions payé cet espace, cela aurait coûté une fortune. Notre idée apportant une vraie valeur au scénario, le coût était abordable pour une marque de renom. Plus la marque sert le contenu, moins nous payons le prix fort. C’est fou, mais vrai. Ensuite, nous avons enchaîné avec d’autres placements et marques. Il y a eu Cat’s Eyes avec L’Oréal et TF1 Pub, Hot Ones avec McDonald’s, où les sauces ont été proposées en restaurant – avec TBWA sur la partie publicitaire. Puis dernièrement avec Oral B pour la campagne « Le Pire Date », un format dédié aux réseaux sociaux avec Squeezie, qui est aujourd’hui devenu bien plus qu’un influenceur, c’est un créateur de programmes. Et c’est finalement cela qui nous intéresse le plus. Notre logique “in culture”, elle est là : créer des unskippable ads, des pubs tellement bien intégrées que les zapper, c’est rater le contenu. Nous sommes à l’opposé de l’interruption et convaincus que l’intégration dans la pop culture, c’est le nerf de la guerre.

IN : c’est un travail très différent de la pub traditionnelle…

P.B. : oui, c’est beaucoup plus en finesse. Nous sommes presque devenus des scénaristes de marques. Nous faisons aussi en parallèle du consulting en entertainment. Dans ce cadre-là, nous refusons certaines marques quand l’univers ne leur correspond pas. Parce que si le matching est forcé, le public le remarque de suite, et cela ne fonctionne pas. Nous montons actuellement des formats de workshops avec Kessel (la plateforme de publication fondée par Adrien Labastire, NDLR) pour aider les annonceurs à changer leur manière d’envisager la publicité. Cela suppose aussi de ne pas tout accepter. Il ne s’agit pas juste de placer une marque ; nous réfléchissons en fonction de l’univers, de la thématique du contenu. Par exemple, pour Hot Ones, la campagne a permis d’exploser les ventes de nuggets alors que c’est un produit qui habituellement ne fluctue pas trop en termes de ventes. Là, avec uniquement une campagne 100% social, l’impact a été immédiat. En ce moment, nous travaillons sur une nouvelle offre « Citizen Brand », développée en partenariat avec Le Média Positif, pour raconter l’histoire patrimoniale des entreprises. Nous savons que les gens n’achètent plus juste un produit : ils achètent du sens. Dans cette optique, des formats comme le podcast ou la vidéo sont idéaux. Derrière une marque, il y a toujours une histoire à raconter – familiale, capitalistique, sociétale… Et nous sommes là pour scénariser ces histoires.

IN : comment identifiez-vous les bons territoires culturels ? Vous travaillez avec des cabinets d’études ?

P.B. : nous travaillons depuis 3 ans avec de nombreux de créateurs de contenu. J’ai cité Squeezie, mais il y en a beaucoup d’autres. Nous travaillons avec des talents issus des réseaux sociaux, mais aussi avec de boîtes de production de toutes tailles. Nous avons même développé un réseau d’agents culturels qui nous permet d’anticiper les tendances de l’année à venir, les thématiques à préempter, et les programmes où nous pouvons faire du brand scripting. Nous réfléchissons même à des modèles où les marques deviennent coproductrices de contenus. À ce titre, elles pourraient posséder une part de l’IP (la propriété intellectuelle) et si demain le dit contenu est racheté par une chaîne ou une plateforme, la marque, comme un ayant droit, pourrait récupérer une partie des royalties. C’est un investissement réel, bien au-delà d’une simple opération de com’, même très bien ficelée. Nous avons des projets en cours qui pourraient voir le jour en 2026, avec des marques possédant 20 à 30% de l’IP. Pour nous, c’est clairement l’avenir.

IN : comment mesurez-vous l’efficacité de ces campagnes “in culture” par rapport à la pub classique ?

P.B. : c’était justement l’un de nos problèmes les plus challengeants : à la base, nos seuls indicateurs étaient les performances des médias avec lesquels nous collaborons. Nous avons donc développé un outil, STAMP avec BeOp qui nous permet, via un panel, de mesurer l’impact de la publicité sur des critères marketing précis. Selon les opérations, nous travaillons sur l’attribution, la préférence, ou l’intention d’achat en ayant défini en amont avec la marque ce qu’il souhaite mesurer. Aujourd’hui, nous avons une base de données solide pour faire du prédictif. Nous pouvons affimer à un client : “Sur ce format, on aura +5% d’attribution, ou +5% d’intention d’achat.” Nous pouvons aller jusqu’à mettre un ratio de notre rémunération sur l’atteinte de ces objectifs, c’est-à-dire une rémunération à la performance… ce qui change complètement la relation client en nous imposant comme un partenaire à part entière. La relation de confiance qui en découle nous permet également de mieux guider le client sur le type de format qui peut fonctionner. Comme ce n’est pas de la publicité, il faut que la marque accepte de se laisser porter par le créateur de contenu, le programme, etc.

IN : est-ce que vous ressentez encore des réticences du côté des annonceurs à s’engager dans une voie qu’ils connaissent encore assez mal ?

P.B. : oui, certains ont encore des réflexes publicitaires “classiques”. Ils veulent tordre l’histoire pour coller à leur brief ou à leur film corporate. Quand les annonceurs tiennent ce discours, il faut simplement répondre que cela ne fonctionne pas comme ça. Nous prendrions le risque de « casser » le contenu et donc que le matching ne fonctionne plus. Il y a encore un peu de pédagogie à faire, mais en 2024, je trouve personnellement que l’industrie commence vraiment à prendre le pli. De notre côté, nous avons une approche 360. Tout ce que nous faisons s’intègre sur l’ensemble des points de contact. Hot Ones, par exemple, ce n’est pas juste une opération de contenu : il y a une publicité, une intégration dans le contenu, une création de produit, une logique de vente, des performances mesurées, du PR, un événement… Tout est connecté. Même le naming de la Ligue 1, c’est du “in-culture” : c’est intégré dans la vie des gens. Et pour nous, la Ligue 1, ce n’est pas juste du sport, c’est un média – au même titre que TF1, M6, une radio ou YouTube. Idem pour TikTok Shop (qui s’apprête à débarquer en France, comme vous avez déjà pu le lire dans nos rubriques, NDLR) : nous débutons des pilotes avec une approche conjointe entre Publicis Media Commerce et le consulting commerce, qui va jusqu’à l’incrément en vente, en chiffre d’affaires e-commerce, etc. L’idée, c’est de connecter CRM, retail media, contenu, publicité… C’est ça, l’avenir.

IN : comment choisissez-vous les bonnes associations marque/univers culturels ?

P.B. : nous avons inventé de nouveaux métiers au sein de l’agence. Des collaborateurs qui font du consulting culturel, un poste qui oscille entre planning stratégique et création de cahiers de tendances. Leur quotidien c’est d’être connecté à tous les univers culturels et pop culturels pour nous alimenter et derrière, nous identifions les connexions possibles. Nous connaissons aussi les line-ups longtemps à l’avance –quels programmes vont sortir en France ou en Europe dans les deux ans à venir, parce que tout cela prend du temps à se monter.

IN : comment l’industrie doit-elle évoluer pour capter cette nouvelle pratique du métier ?

P.B. : dans la publicité au sens large, il y a un enjeu évident de créativité. L’encombrement publicitaire est énorme, l’inventaire se raréfie… Donc plus une publicité est créative, moins elle a besoin d’investissement média. Peu d’annonceurs le réalisent encore. Du côté du contenu, je pense que ce que nous vivons aujourd’hui est un mouvement de fond. Ce n’est pas uniquement pour toucher les 15-35 ans, comme c’était le cas au début. Toutes les tranches d’âge sont concernées. Les gens qui regardent Hot Ones ou Cat’s Eyes ont tous les âges et YouTube est aujourd’hui massivement consommé sur téléviseur, y compris par les +45 ans. Quand Alain Chabat et Adèle Exarchopoulos font la promo de L’Amour Ouf chez Squeezie, ce n’est pas juste pour parler aux jeunes. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire de publicité mais plutôt que la logique publicitaire doit être pensée en même temps que la logique In-Culture.

IN : finalement, vous “vendez” une plus grande cohérence globale…

P.B. : oui, mais ça… ça a déjà été répété mille fois. La vraie différence entre notre approche et le marketing traditionnel, c’est que nous sommes obligés de lâcher le stylo pour sortir du modèle top-down. Il faut faire confiance à un créateur pour raconter la marque à sa façon. Et une fois que c’est fait… les résultats sont là. Je cite souvent le baromètre des enseignes préférées des Français pour exemple. En ce moment, la 2e marque derrière Decathlon, c’est Aroma-Zone. Pour certains, c’est une inconnue. Pour d’autres, elle est incontournable. Pourquoi ? Parce que la marque a eu l’intelligence de s’intégrer dans les habitudes culturelles, dans du social media… Il y a des choses qui passent sous le radar de certains, mais qui sont parfaitement identifiées par d’autres. Il ne faut pas oublier qu’il peut y avoir un biais générationnel dans la consommation et l’usage des médias.

IN : pour toutes ces raisons, sommes-nous en train de voir disparaître le marketing descendant tel qu’il a toujours existé ?

P.B. : non, je ne pense pas, tout comme je ne pense pas que l’audio digital va tuer la radio. Cependant, il y aura un rééquilibrage et des transferts, c’est sûr. Les annonceurs qui croient faire des économies en délaissant la création se trompent. Ce n’est pas juste une question de toucher les gens, c’est une question de mémoire collective. Plus nous marquons les esprits, moins nous avons besoin de répétition. Au final, c’est aussi une économie budgétaire. D’ailleurs, toutes nos opérations de brand content ont eu un impact direct sur les ventes. Nous pouvons le prouver, chiffres à l’appui. Et c’est pour cette raison que nous sommes prêts à indexer notre rémunération aux résultats. Et honnêtement, cela redonne un sacré souffle à l’industrie. Il y a trois ans, personne n’envoyait de CV dans une cellule OPS. Aujourd’hui, nous avons des profils incroyables qui tapent à la porte dont beaucoup, par exemple, viennent du gaming… c’est dingue ! Après, il faut pouvoir se les « payer » (rires), mais, c’est une super aventure qui prend forme. Je sais qu’aujourd’hui, au sein de Publicis Media France, nous servons aussi d’exemple en Europe et c’est aussi une grande fierté.

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia