La curiosité est une merveille du monde… Dans leurs recherches et développement.
Clément Audard, planneur stratégique, J. Walter Thompson (JWT)
« Multiplier les sources, métisser les origines »
Pour un planneur stratégique, être curieux n’est pas une option, c’est une nécessité. Dans un monde où l’information est gratuite et omniprésente, c’est être dans une démarche de découverte active. C’est une qualité, mais aussi un trait de personnalité. Pour un communicant, la curiosité c’est un corollaire de l’empathie, nécessaire pour faire émerger le bon insight, aussi éloignée ou différente de lui que soit la cible. Comment nourrir, assouvir et entretenir cet instinct de découverte ? Comme la culture : en multipliant les sources, en métissant les origines. Pour moi, cela commence par mes collègues trend-spotters de JWT Intelligence qui mettent en lumière des tendances micro ou macro allant de l’utilisation du cannabis dans la haute gastronomie au rôle des femmes dans l’économie numérique. Mais c’est aussi démarrer une recherche sur YouTube pour finir une heure plus tard, on ne sait comment, sur un thème totalement différent.
Étienne Averseng, planneur stratégique, Publicis Conseil
« Une qualité fondamentalement liée au courage »
Nous grandissons tous avec un bagage culturel et intellectuel qu’il n’est pas toujours facile de remettre en question. Les bulles social media en sont un excellent exemple. L’imperfection des algorithmes actuels pousse à « découvrir » des choses sur la base de nos goûts, mais nous isole par là même du fantastique bouillonnement culturel qu’est Internet et nous conforte dans nos croyances et nos acquis. Si le perfectionnement des intelligences artificielles parviendra à améliorer ce phénomène (déjà observable chez Spotify), la curiosité est aujourd’hui plus que jamais une qualité intrinsèquement humaine, essentielle au processus créatif et fondamentalement liée au courage. Celui de chercher quand on peut se contenter de recevoir une notification, d’accepter des résultats en contradiction avec notre instinct, mais surtout celui de se confronter au désaccord.
Par exemple, dans un contexte politique mondial où les extrêmes se hissent au plus près du pouvoir, il serait paresseux de considérer que des millions de gens sont irréfléchis. Il est beaucoup plus courageux de faire preuve de la curiosité et de l’empathie nécessaires pour comprendre ce qui pousse 30 % à 50 % de la population d’un pays à se tourner vers des solutions (aussi) radicales. La curiosité est le trait le plus salvateur qu’il nous reste, en tant que personne, citoyen ou créatif.
Armande Botrel, directrice du planning stratégique & Romain Guilloton, planneur stratégique, Integer France
« Déconstruire les schémas établis »
Notre rôle n’est pas tant de répondre aux questions que de les poser. Pour cela, on n’a qu’un seul outil : la curiosité. Elle est centrale, car elle invite à explorer le nouveau, provoquer la remise en question, déconstruire les schémas établis. Chez Integer, on l’a même institutionnalisée en créant Culture Irrigation. Le principe est que nous disposions tous d’une demi-journée par mois pour donner un peu à manger à notre curiosité (en visitant un salon, une expo), et ce à la charge de l’agence.
Armande Botrel : La curiosité c’est un intérêt pour tout ce qui m’entoure et fait société. Nouveaux comportements sociaux, nouvelles formes d’art, mais aussi nouveaux concepts d’émissions TV. J’aime observer tout ce que je ne connais pas encore.
Romain Guilloton : Au-delà de la culture métier, qui reste indispensable, ma curiosité s’exprime dans les sujets qui me fascinent et me dépassent. En ce moment, par exemple, ce sont les astrophysiciens qui trônent sur ma table de chevet et dans ma playlist YouTube.
Fanny Camus Tournier, planneur stratégique, Buzzman
« De l’ennui à l’émerveillement, il y a un pas. Et un grand »
« Papa, c’est quoi cette bouteille de lait ? papa, c’est quoi cette bouteille de lait ? Papa… comment on fait les bébés ? » La définition de la curiosité tient intrinsèquement à l’enfance. Un âge où il est normal de demander. Où l’on ignore tout, de la bouteille de lait à la reproduction. Être curieux n’est pas un choix, c’est une nécessité. Cela permet de prendre part au monde. De grandir, en somme. La curiosité est à mi-chemin entre l’émerveillement et l’apprentissage. L’émerveillement est ce qui coule de source chez l’enfant et qui se tarit chez l’adulte.
La mer ? Déjà vu. L’avion ? Déjà pris. Les premières fois sont stimulantes ; les deuxièmes, un peu moins. Le quotidien d’un adulte serait une somme de « fois suivantes » ? Rassurant… et ennuyant. De l’ennui à l’émerveillement, il y a un pas. Et un grand. Seconde composante de la curiosité : l’apprentissage. Et là encore, un adulte apprend moins. Majeur et diplômé, il est censé tout savoir. Je n’ai jamais autant entendu « il n’y a pas de questions idiotes » que depuis que je travaille. Loin de douter de la bienveillance de cette formule, je la trouve aussi très symptomatique de la gêne que l’on peut ressentir à ne pas savoir. Certains choisissent d’avouer et assumer leur ignorance. Certains préfèrent se taire et s’en accommoder. La curiosité demande du courage : ne jamais se résigner, ni se contenter de ne pas savoir. Toujours se poser des questions. D’ailleurs, c’est quoi la curiosité ?
Vincent Garel, directeur des stratégies, TBWAGroupe
« La curiosité est par nature improductive, sinon, c’est juste de la veille »
Être curieux, c’est se laisser distraire, dans la plus belle acception du mot. Se changer les idées, c’est les transformer. Être curieux, c’est laisser son attention être détournée, se faire capturer par de l’intéressant inutile. La curiosité est par nature improductive, sinon, c’est juste de la veille. La curiosité est donc une activité désordonnée, déstructurée, qui doit assumer et embrasser son manque d’utilité immédiate. La trace laissée par la curiosité est forcément pointilliste. C’est une collection de pépites, de bribes, de thèmes, un bric-à-brac disjoint dont les éléments se connecteront plus tard entre eux de la manière la plus imprévisible. La curiosité est une souplesse. Si on ne l’exerce pas, on se raidit. Mais c’est un effort. Il faut briser le rythme, casser le flux des journées pour ménager des espaces de temps plus flâneurs. Sortir des formats pré-condensés, lire des textes plus longs, observer avec un peu plus d’attention. Bref, laisser l’incongru plaider sa cause !
Guillaume Martin, directeur adjoint du planning stratégique, BETC
« La question la plus précieuse restera celle du produit »
Intérêts personnels : littérature américaine, poterie, zumba. C’était, de toute évidence, un candidat curieux. La veille, il avait vu le dernier Kaurismäki pendant que vous dîniez devant Faites entrer l’accusé. C’est important, la curiosité. Des managers sont invités à l’évaluer chaque année, dans la colonne « Savoir-être ». D’autres sont invités à lever le pied pour aller voir des expositions – il paraît qu’à la grande époque c’était obligatoire. Mais il est difficile d’être inquiet sur la curiosité de jeunes publicitaires en 2017, qu’on imagine mal curieux de rien, comme disait de vous votre mère les jours de pluie. Alors, puisqu’elle est devenue une qualité professionnelle, demandons-nous directement en quoi elle sert notre métier. Les hobbies en tout genre et l’ouverture sur le monde feront toujours de meilleurs publicitaires, architectes ou cuisiniers. Mais la curiosité la plus utile, pardon, la plus précieuse, restera celle du produit. Lors d’une visite d’usine agro-alimentaire, on avait omis de me parler de ce bain froid où étaient plongées des crèmes sortant du four. « Oh, c’est sans intérêt, c’est pour gagner du temps. » À la télévision, le bain froid était devenu une rivière bucolique, dans laquelle une main experte plongeait les crèmes, secret d’une texture unique. Une question avait suffi.
Photo de Une : Benjamin Child
Article publié dans la revue INfluencia sur la curiosité. Découvrez sa version digitale