Les mastodontes de la pub ne peuvent plus roupiller sur leurs lauriers et rafler, en sifflotant, les budgets des gros annonceurs. Ils leur étaient autrefois acquis, ils sont désormais ouverts aux toutes petites agences. Un phénomène qu’INfluencia analyse à travers le cas Saint Gingembre.
» Oublie que t’as aucune chance et fonce « . Le cultissime conseil de drague moqueur du Bronzé, Jérôme Tarayre à Jean-Claude Dusse, certaines toutes petites agences motivées comme une chanson de Zebda en ont longtemps fait leur mojo. Il ne s’agit pas là, de séduire une femme mais un annonceur. Avec quelles armes ? C’était bien cela le problème et c’est pour éviter de perdre leur temps sur des cibles intouchables que la plupart des petits poucets anonymes de la pub ne partaient pas au combat.
Les temps changent pour reprendre Solaar et voilà donc que les petits ne repartent plus forcément bredouilles des soirées pitchs. Ils font même la nique aux cadors. Conséquence de la mutation du marché, cette confiance des gros annonceurs en les jeunes pousses de la pub se résume par un exemple révélateur : la compétition remportée, le 4 janvier 2017, par la petite agence bordelaise, Saint Gingembre, pour la communication TV et print (auparavant chez Havas 360) de Roche Diabete Cares.
Lancée le 19 juin dernier, “ Un grand pas pour les diabétiques “ promeut le lecteur de glycémie phare de la marque, l’Accu Chek Mobile, avec un sport TV à moins de 200 000 euros. Pour comprendre les enjeux essentiels qui se cachent derrière ce symbole d’une ère nouvelle, INfluencia a discuté avec Alexis Dovera et Christophe Michalon, CEO et Directeur de création de Saint Gingembre.
INfluencia : est-ce encore une mission presque impossible aujourd’hui pour le David des très petites agences de concourir contre les Goliath des grands réseaux ou votre exemple confirme t-il un début de nouvelle donne concurrentielle?
Alexis Dovera et Christophe Michalon : les Goliath des grands réseaux ont été, pour beaucoup, des David qui ont remplacé les Goliath d’avant eux, donc cela n’a jamais été impossible mais toujours difficile. Le marché publicitaire est propice aujourd’hui à l’émergence de nouveaux acteurs tels que Saint Gingembre pour deux raisons principales. La première est l’accroissement et la mutation du marché publicitaire dus à l’émergence des nouveaux médias digitaux. De nouveaux marchés s’ouvrent, de nouveaux métiers apparaissent et les agences intégrées peuvent mettre du temps à répondre à tous les besoins. Cela ouvre des opportunités à des petites structures agiles spécialisées dans tel ou tel domaine et qui peuvent commencer à développer leurs activités sur ces nouveaux marchés de niche.
D’un autre côté, la démocratisation des outils de création et de production permettent de monter une activité plus facilement et beaucoup aujourd’hui tentent leurs chances. D’autant plus que le fort taux de chômage chez les jeunes diplômés les incite de plus en plus à se lancer sur les voies de l’entreprenariat. Malheureusement, cette profusion d’offres a parfois un effet néfaste pour les petites boîtes elles-mêmes : beaucoup de ces petits acteurs sont incapables de concurrencer une grande agence en terme de qualité et, surtout, de fiabilité. Les gros annonceurs se méfient donc, à juste titre, de ces “ petites agences ” et préfèrent se tourner vers les acteurs historiques qui inspirent plus confiance. Pour nous différencier, on a donc dû avant tout formaliser une offre qui n’existait pas chez les grandes agences : une agence créative spécialisée dans la communication vidéo qui intègre toute la chaîne de valeur (stratégie, création, production, réalisation) pour proposer une offre claire, clef en main. Pour émerger, une petite agence doit convaincre les annonceurs qu’elle est capable de fournir le même niveau d’exigence qu’une grande agence et leur donner le maximum de gages de confiance. Cela passe, par exemple, par la production de nombreux contenus additionnels tels que des making of. L’inertie et la dimension des grandes agences ne leur permettent pas de mettre en place l’agilité des petites agences dans leur organisation et de développer la même proximité avec leurs clients.
IN : comment transformer les lacunes a priori structurelles des toutes petites agences en des qualités décisives pour remporter un gros budget face à un gros ?
A.D. & C.M. : en fait, notre offre ne concurrence pas exactement celle des grandes agences. Elle est plutôt complémentaire. Les grandes agences représentent, pour nous, l’industrie publicitaire. De notre côté, nous nous rapprochons plus d’une sorte d’artisanat publicitaire. Nous ne faisons pas de la masse et du prêt-à-porter. Nous fournissons un service premium et sur-mesure à des annonceurs qui souhaitent inclure des films publicitaires créatifs à l’esthétique cinématographique dans leur communication. Nous n’avons pas besoin de “ faire de la masse ” pour maintenir nos activités. Nos équipes restreintes nous permettent de nous focaliser pleinement sur chaque projet que nous prenons en charge. On a aussi beaucoup plus de liberté. On peut se permettre de proposer des concepts qui n’auraient jamais pu passer la validation à la chaîne des grandes agences, et placer plus d’argent dans la production de nos idées. On peut prendre le temps de creuser une piste de production moins conventionnelle aussi, comme ça a été le cas sur notre projet Roche : on a pris le temps de savoir si on pouvait faire construire par nos propres moyens l’ascenseur, et cette idée a considérablement amélioré la qualité du projet final.
IN : est-ce encore vraiment un risque aujourd’hui pour Roche de faire confiance à St Gingembre plutôt qu’à une très grosse structure ?
A.D. & C.M. : encore une fois, Roche ne la contacterait pas pour les mêmes raisons. Nos annonceurs nous contactent pour notre expertise dans le film publicitaire. Ils s’adressent à un spécialiste capable de les accompagner sur le conseil stratégique, la création, la production et la réalisation. Par contre, Saint Gingembre n’a pas pour vocation à accompagner les annonceurs au-delà du film. Nous ne concurrençons donc pas les grosses entités sur l’ensemble de leurs prestations. Un annonceur peut tout à fait collaborer avec les deux agences en parallèle, chacune dans son domaine d’expertise.
IN : sentez-vous vraiment de nouvelles possibilités de budgets jusque là utopiques ?
A.D. & C.M. : nos perspectives s’ouvrent un peu plus à chaque projet que nous sortons car chacun contribue à crédibiliser notre offre. Avec la campagne TV pour Roche Diabetes Care, “ Un grand pas pour les diabétiques « , nous passons un vrai cap. Cette campagne nous a ouvert énormément de portes et a prouvé définitivement que nous pouvions battre les grandes agences parisiennes en compétition sur un budget de premier plan. Le budget appartenait avant à Havas 360.