INfluencia : par quelle dynamique, la logique du monde occidental, est-elle bousculée ?
Christine Pollet : tout vient du ying et du yang. Du passage de la logique binaire (ou…ou) pratiquée en occident à celle de la complémentarité (et…et) admise en extrême orient. Cette logique qui nous a menés jusqu’à présent, est battue en brèche, au profit de profondes mutations de société touchant aux valeurs, modes de pensée, médecines, sciences, technologies, rapports homme/machine, pratiques commerciales…. Avec pour effet, un rapprochement des notions opposées (passé/avenir, normes/tabous, réel/virtuel…). Amorcé depuis 10 ans, ce décloisonnement universel tout à fait bénéfique, prend toute son ampleur en 2013.
INfluencia : de quels décloisonnements parle-t-on ?
Christine Pollet : il s’agit d’opposés qui s’interpénètrent, comme l’ancrage local et la dimension internationale : ainsi les vins de Bordeaux ont, la Chine, pour première destination à l’export, tandis que les médecines asiatiques, comme l’homéopathie, sont de plus en plus utilisées par les hôpitaux français. Et, les jeunes Français revendiquent leurs origines régionales tout en s’expatriant et se forgeant une culture internationale.
Il y a aussi le meilleur du passé qui s’allie au meilleur de la modernité : les revivals ou les retours de groupes mythiques des années 70 ou 80 comme Dépêche Mode se multiplient, le design Vintage est branché et le mouvement Rétro réinterprète hier à la lumière d’aujourd’hui. Citroën relance ainsi la 2CV modernisée avec son modèle Cactus.
Côté éthique, la frontière est de plus en plus floue entre le bien et le mal. Des personnages charismatiques traduisent cette ambigüité : policiers aux méthodes discutables mais aux objectifs justes, comme Michel Neyret, ou des dealers de drogues qui luttent pour leur famille comme Walter White, héros de la série Breaking Bad. De même, mère porteuse et mariage homosexuel sont sources de discussions, sexe et genre font débats à l’école et, avec une femme transgenre élue députée en Pologne, un genre intermédiaire à l’homme et à la femme est reconnu par la médecine et les institutions…
Néanmoins, un des plus importants décloisonnements est celui qui fusionne les sciences et techniques avec le vivant. L’homme bionique aux capacités compensées ou décuplées par la technologie est bel et bien là. Le français, Florian Lopes a été greffé de doigts bioniques lui permettant d’effectuer des tâches quotidiennes. Au japon, les robots humanoïdes seront bientôt nos assistants de tous les jours, et les textiles intelligents transforment nos vêtements en objets fonctionnels… Certains révélant nos humeurs !
D’autres décloisonnements comme ceux du réel /réalité augmentée, magasins physiques/e-boutique, marques/enseignes, consommateurs/vendeurs et ou producteurs font ressentir leur influence sur la consommation. Notamment en raison de 4 facteurs : la révolution numérique, la récession, le besoin de lien ou de ré-humanisation et la consommation engagée ou plus qualitative.
INFluencia : selon une étude que vous citez : « 48% des français aspirent à consommer de la même façon qu’avant ou plus » (*). Cet atavisme est-il aussi simplissime?
Christine Pollet : en même temps 52% aspirent à consommer autant voire moins. Donc, tout est dans la nuance. Certes, de nouvelles consommations sont développées. Pas encore par tous mais envisagées avant tout dans la diversité. De plus, contrairement à l’opinion populaire, elles ne naissent pas seulement d’un désir de « mieux » consommer ou d’innovation. Car, ce qui compte, c’est le bon plan ! Et il est protéiforme.
Il y a la dose unitaire, le mini format, le vrac, même dans le luxe où Thierry Mugler propose des flacons rechargeables pour 4 de ses fragrances dont Angel. Il y a le low cost, qui au-delà des transports, touche opticiens, coiffeurs, dentistes, services funéraires… Mais aussi les regroupements de consommateurs pour des achats joints (37% des consommateurs déclarent y avoir eu recours lors des 12 derniers mois*) ou des ventes à domicile. Ainsi que l’économie circulaire (recyclage ou vente en limite des dlc). Un nouveau marché anti gaspi bon pour l’image des marques et qui booste le pouvoir d’achat. Sans oublier l’emplette par abonnement avec à la clef des livraisons gratuites comme le propose Amazon, et les distributeurs automatiques à la fois utiles et fun. Celui de Minute Maid, en Espagne, baisse ses prix dès que la température augmente.
Il y a aussi l’achat-vente, le troc ou la location entre particuliers qui transforment le consommateur en vendeur ou qui vante davantage l’usage que la possession. Ces circuits alternatifs se multiplient via des plateformes de mise en relation et permettent de consommer autant qu’avant en achetant ou en louant. C’est le cas de SuperMarmite pour des plats cuisinés, Airbnb pour louer une de ses chambres ou Lokeo. Certaines marques peuvent jouer un rôle en se positionnant comme organisatrice. Wal-Mart propose ainsi à ses clients de livrer eux-mêmes les commandes de leurs voisons en échange de bons de réduction et de cadeaux.Et Malongo prête ses machines à café à l’essai pendant un mois sans obligation d’achat. Mais ces opportunités d’offres de services sont peu suivies en France.
Ces consommations alternatives, collaboratives sont conviviales et plaisantes. Elles replacent le consommateur au centre du processus de consommation tout en lui donnant le sentiment d’être utile ou acteur de sa vie.
En effet, il subit un véritable décalage entre ce qu’il veut et ce qu’il peut faire. C’est ce en quoi la diversité est importante. Elle répond au besoin de liberté et d’individualisme, car en fonction de ces objectifs de consommation, il (le consommateur) peut passer d’un moyen à un autre. Et pour les marques cette stratégie doit s’inscrire dans le long terme, car c’est plus qu’une rustine.
INfluencia : et le point de vente dans tout ça ?
Christine Pollet : il tire son salut du digital. Et alors que le web gagne une dimension physique, les magasins doivent être plus connectés, omni canaux. D’ailleurs, ID Group, Leroy-Merlin ou Oxylane ont mis en place une simulation grandeur nature d’un parcours client pour tester les nouvelles technologies, baptisée “New shopping experience 3.0”.
Les enseignes doivent répondre à deux phénomènes. Tout d’abord, gérer le showrooming surtout pratiqué par les jeunes (25% des 16- 30 ans, contre 16% des plus de 40 ans). Alors pour faire valoir la boutique face au web, les marques doivent déployer conseils, services, bornes interactives, click-and-collect, SoLoMo avec les apps des marques connectées. Ensuite, développer l’espace de vente connecté pour offrir les mêmes opportunités que sur la toile, tout en gagnant en ludisme, en personnalisation et en information du consommateur. Le plus bel exemple de technologie avancée est celui de Burberry, à Londres, doté d’écrans géant ou interactifs à taille humaine et qui se transforment en miroir, ou d’une application iPad pour concevoir son manteau…
INfluencia : justement, comment se profile le consommateur de demain ?
Christine Pollet : encore plus producteur. Déjà le crowdsourcing et le crowdfunding lui donnent des multiples opportunités de co produire un site, une série, un chanteur… Bientôt, il pourra produire lui-même ses propres objets personnalisés. En effet, les imprimantes 3 D se démocratisent grâce à des prix abordables, et les Fab Lab (plateformes ouvertes de création et de prototypage d’objets) nées aux USA, sont en pleine expansion avec déjà une vingtaine en France.
Ce décloisonnement est énorme et bouscule les standards marchands en redistribuant les cartes de qui conçoit, fabrique et distribue quoi. De plus, ces innovations, à portée de mains de tous, déstabilisent le cadre législatif car quid de la contrefaçon ou des produits dangereux comme cette arme imprimable par imprimante en 3D et indécelable aux détecteurs de métaux, créée par un américain ?
Florence Berthier
(*)Etude quanti online de l’Observatoire Société et Consommation auprès de 4072 personnes
(**) Agence Inter-View Innovative