Le 24 décembre dernier, la marque Benetton inaugurait en Libye, via son centre de recherche La Fabrica, une statue en l’honneur de la paix et de la révolution libyenne. La statue s’intitule «Unhate Dove» (Dove pour Colombe), et s’inscrit donc dans la cadre de la campagne de communication mondiale «Unhate» de Benetton et de sa fondation.
Dès lors, la question peut se poser de la légitimité d’une marque à s’inscrire si ostensiblement, et de manière si réfléchie (certains diraient calculée), dans l’actualité politique d’un pays. On pourrait bien sûr considérer que Benetton doit s’en tenir à fabriquer des pulls, à ses affaires commerciales, qu’une entreprise après tout n’est qu’un organisme visant à concevoir, produire et vendre des biens et des services à sa clientèle, en respectant le cadre réglementaire fixé par le législateur. Il y a quelques semaines Dominique Wolton affirmait dans les colonnes d’INfluencia que «les marques ne sont pas des acteurs politiques».
Pour une fois, et avec la plus grande estime que je peux avoir pour Monsieur Wolton, je ne suis pas d’accord et même aux antipodes, considérant au contraire que les marques sont, et même doivent être, des acteurs politiques. Non pas nécessairement acteurs politiques au sens partisan du terme, mais politiques au sens de l’implication dans le mode de fonctionnement de notre communauté sociale. Face aux enjeux contemporains qui sont les nôtres, nous sommes tous parties prenantes d’un destin commun, interconnectés et interdépendants, personne ne doit vivre dans sa bulle.
Les entreprises ne se réduisent pas à des équations marketing et financières, soyons même cohérents, c’est tout ce qu’on leur reproche d’être trop. Les entreprises sont des communautés d’hommes et de femmes qui ne sont pas moins dotés de convictions, de sentiments, de valeurs, dès lors qu’ils franchissent le seuil de leurs portes. Ces entreprises aujourd’hui sont en mouvement, en recherche de sens, en besoin de mobilisation, d’adhésion, d’innovations, leurs valeurs ne se limitent pas à une liste de vœux pieux dans leur plaquette institutionnelle, parfois elles se traduisent en actes.
Les entreprises s’engagent, et même le revendiquent, en termes de responsabilités sociales et environnementales par exemple, et c’est bien le moins que nous attendons d’elles. Il est souhaitable, au profit de tous, y compris d’elles-mêmes, que les entreprises soient de moins en moins déconnectées des enjeux politiques. Alors oui, une entreprise peut afficher des engagements politiques. Je dirais que sa seule limite est celle de sa sincérité, de sa légitimité, de la transformation de ses engagements en actes.
En outre, je ne vois pas au nom de quoi une entreprise pourrait être entravée dans l’affichage d’un parti-pris politique. C’est après tout, un organisme privé qui, au même titre que la sacro sainte liberté de la presse, dispose aussi de sa propre liberté de penser. On peut même regretter en France le trop grand cloisonnement entre les décideurs politiques et les acteurs économiques. Je ne parle par des réseaux qui se côtoient intimement, mais de la collaboration assumée et décomplexée entre sphères publiques et privées qui serait si profitable dans les moments charnières que nous traversons.
Ces dernières années, les nominations de personnalités « civiles » à des postes gouvernementaux ont été plutôt limitées et mitigées en termes de résultats, sans doute principalement en raison de différences culturelles et managériales. C’est bien dommage à l’heure où la diversité culturelle doit être une source d’inspiration et de renouveau.
Les leaders politiques et leurs mouvements sont fréquemment critiqués, souffriraient même d’un certain désaveu, voire d’impuissance à faire face aux enjeux. La sphère économique est quant à elle surtout perçue à travers le prisme déformateur et caricatural de la prédominance financière, mais reste cependant considérée comme la seule susceptible de créer de la richesse et de la croissance. Et pourtant, entendez-vous en pleine campagne électorale l’avis des dirigeants d’entreprises ?
Leurs points de vue, témoignages, convictions pourraient sûrement donner lieu à débats, mais seraient certainement intéressants. Depuis début janvier, seuls deux dirigeants ont osés sortir du bois, Jean-Louis Beffa (« La France doit choisir » Ed. Seuil) et Charles Beigbeder (« Puisque c’est impossible, faisons-le ! » Ed. JCLattès). Le politique a trop le monopole du débat politique.
Les marques, ou plus exactement les « marques-entreprises », que j’appelle volontiers les « marques-corporate », ont donc plus que jamais des responsabilités publiques et politiques en tant que parties prenantes totalement intégrées et co-responsables de nos enjeux de société. Au delà de la mondialisation, souvent dogmatisée, il faut surtout voir que nous vivons une époque d’interconnexions, de porosité totale, temporelle et spatiale. Chacun est acteur, chacun est responsable, et surtout co-déterminant. Ce chacun, c’est nous, mais c’est aussi chaque entité privée ou publique.
Le public n’a plus le monopole de l’action politique au sens de la gestion du bien commun, il n’en a d’ailleurs plus les moyens, et peut-être même plus les compétences. C’est à l’intelligence collective d’œuvrer désormais. Alors si les marques ont des convictions et des projets politiques, et peuvent être entendues, voire suivies, elles sont les bienvenues, plus que jamais.
Alain Renaudin
président-fondateur de « NewCorp Conseil » cabinet de conseil en stratégie d’opinion et de communication