31 mars 2023

Temps de lecture : 4 min

« Quand l’info épuise », un petit guide pour lutter contre la fatigue informationnelle

Le livre Quand l’info épuise de Guénaëlle Gault, DG de L’ObSoCo, et David Medioni, directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès, prolonge l’étude Les Français et la fatigue informationnelle publiée à la rentrée 2022 par leurs deux organisations avec Arte. Ses auteurs reviennent sur les réactions suscitées par ce thème cher à INfluencia et les enjeux de leur médiatisation en librairie.
INfluencia : pourquoi publier le livre Quand l’info épuise après l’étude Les Français et la fatigue informationnelle, parue fin août 2022 ?

Guénaëlle Gault : l’étude a résonné dans des circuits initiés ou chez les médias. Avec le livre, on voulait avoir un impact en élargissant le cercle. D’où ce format court et disponible à moindre coût, qui permettra aux gens de trouver l’essentiel sur le sujet et de se sentir représentés, ce qui est particulièrement important dans le contexte social actuel. Le livre peut les aider à se rendre compte que la fatigue informationnelle est peut-être un problème qu’ils ressentent individuellement mais qui concerne beaucoup de monde.

David Medioni : il ne s’agit surtout pas d’ajouter de la fatigue à la fatigue mais d’essayer de construire quelque chose d’hybride pour permettre à chacun de s’armer intellectuellement, de dépasser les constats de l’étude pour voir ce que chacun peut faire individuellement et au niveau des directions des médias. Les formats éditoriaux finis, avec un début et une fin, sont consultés par les gens les moins fatigués. Il y a peut-être quelque chose à creuser de ce côté pour faire émerger de nouveaux sommaires et de nouveaux formats, retrouver une logique d’affinité et une nouvelle façon de faire émerger la parole publique. Permettre aux gens de se réapproprier leur rapport à l’information en faisant une sorte de bilan carbone de l’information devrait aider à retrouver une capacité à se forger un jugement. Beaucoup d’éléments peuvent aider à réduire la fatigue informationnelle.

La fatigue informationnelle est peut-être un problème que les gens ressentent individuellement mais qui concerne beaucoup de monde

IN : quelles ont été les réactions des médias, directement impliqués dans la fabrication de cette fatigue qui touche, selon l’étude, 53 % des Français ?

DM : les médias s’en sont emparés avec un intérêt qui n’était pas feint et nos rencontres ont été très constructives, sans doute parce qu’ils ont été chahutés et que la dissonance cognitive est plus perceptible pour eux. Arte qui fait partie des commanditaires avait organisé sa conférence de rentrée autour de ce thème… Mais nous nous sommes aussi retrouvés à commenter l’étude et à aborder les moyens de sortir de cette fatigue informationnelle au moment même où l’ensemble des médias continuait de produire des contenus qui contribuaient justement à augmenter la fatigue, par exemple en en faisant des tonnes au moment de la mort de la reine d’Angleterre ou sur d’autres sujets.

IN : vous revenez sur la notion d’infobésité. Comment tout un chacun peut-il s’en emparer ?

GG : on veut inciter le public à créer avec l’information ce même rapport réflexif que beaucoup ont commencé à avoir avec l’alimentation, pour reprendre prise sur le monde, prendre du recul, devenir plus exigent, demander plus de transparence…  L’infobésité (sur laquelle INfluencia avait lancé une campagne print et digitale en 2019, ndlr) est une métaphore par rapport à l’alimentation parce que les effets sont les mêmes, sur une métabolisation de l’information qui ne permet pas de la transformer en bonne prise de décision. La connaissance sur le fonctionnement du cerveau et de la pensée est aussi utile. Les marketeurs se sont par exemple très bien emparé des travaux de Daniel Kahnemann sur le « Système 1 / Système 2 ». C’est au tour des citoyens de le faire et d’apprendre à décoder pour leur bien leur système décisionnel, comprendre le fonctionnement de leur cerveau pour prendre garde à certains réflexes… Ils se rendront alors compte que la dopamine activée par certaines plateformes pour les faire rester sur leur offre, c’est en fait comme du mauvais sucre.

Aujourd’hui, on ne peut pas être un citoyen complet si on n’a pas compris l’univers informationnel dans lequel on va évoluer

IN : le livre est paru quelques jours avant la Semaine de la presse et des médias dans l’école. L’éducation aux médias est une des solutions avancées dans l’ouvrage. Elle est pourtant encore très peu répandue…

DM : il est vertigineux de voir que voir que chacun d’entre nous est soumis à 8,3 canaux d’informations différents et que l’éducation aux médias n’a lieu qu’une semaine dans l’année, comme la semaine du goût. L’Education nationale doit former des citoyens. Aujourd’hui, on ne peut pas être un citoyen complet si on n’a pas compris l’univers informationnel dans lequel on va évoluer. Il faudrait à la fois faire une éducation « meta » sur cet univers et une autre plus concrète pour être par exemple capable de savoir qu’une photo a déjà été utilisée, dans quelles conditions, de mieux comprendre une information…

GG : après la parution de l’étude, on a eu des réactions individuelles et des réactions des médias mais très peu de la part des pouvoirs publics, qui sont encore très loin de ces questions.

IN : des suites sont-elles à attendre sur ces thématiques ?

GG : on a continué à progresser dans l’analyse. Certains aspects viennent des canaux et sont liés à ce qu’internet a changé dans la manière dont on s’informe, commente, partage… D’autres aspects touchent à l’économie des médias, qui se trouvent dans la course à l’audience et dans un hold-up cognitif. Nos réflexions nous ont aussi amenées à réfléchir sur un régime de vérité qui a changé. Le modèle était cadré sur le plan des canaux, de l’économie, et sur le plan idéologique. Tout cela a explosé et nous a amené à préciser notre pensée.

DM : on est au début de quelque chose. Il y a quelque chose à travailler et à installer sur ce qui crée la fatigue informationnelle et comment elle évolue dans le temps. Il y a aussi derrière cela un enjeu démocratique à mieux comprendre ce qui est en train de se passer. Peut-être que ce format de livre permettra de faire résonner les choses et de créer les questionnements chez les individus, dans les médias et dans le rapport la société.

En savoir plus

Quand l’info épuise de Guénaëlle Gault et David Medioni a été publié le 24 mars dans la collection Petite boîte à outils, Les Editions de L’Aube et La Fondation Jean-Jaurès. 84 pages, 8,90 €.

Guénaëlle Gault est directrice générale de L’Observatoire Société et Consommation (L’ObSoCo), enseignante à Sciences Po Paris et à l’université de Paris.

David Medioni est journaliste, fondateur et rédacteur en chef d’Ernest, également directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès.

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