8 octobre 2024

Temps de lecture : 7 min

Quand les principaux médias satiriques se rencontrent, cela donne un sommet… pas comme les autres

Chaque année, les principaux médias satiriques d’Europe – et d’ailleurs – se réunissent pour mutualiser leur méthode de travail, discuter modèle économique… et balancer des vannes dans une ambiance de « colonie de vacances » pour satiristes, selon les mots de Sébastien Liebus, co-fondateur du Gorafi. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec ce dernier, qui participe au sommet depuis la première édition, pour en savoir plus sur un évènement qui détonne dans le monde de la presse… quel que soit son terrain de jeu.

Comme le rappelait Cédric Passard, maître de conférences à Sciences Po Lille, dans une interview donnée en 2021 au site vousnousils : « La satire révèle les frontières de l’espace culturel, politique et moral tout en contribuant à les tracer. Elle permet de définir ce qui est acceptable de dire ou pas dans une société ». Tout comme le principe de liberté de la presse – de laquelle elle découle – la presse satirique est l’un des fondements d’une société démocratique en bonne santé. Si les titres, autant à la télévision que dans les kiosques, n’ont pas manqué ces 50 dernières années, d’Hara-Kiri à Charlie Hebdo en passant par le Canard Enchainé et les Guignols de l’Info, pour ne citer que les médias – nationaux – les plus connus, difficile d’être passé à côté du Gorafi, tant le site d’information parodique a gagné en popularité depuis sa création en 2012.

À la force de son ton, Le Gorafi s’est aujourd’hui imposé comme « le média satirique leader en France », selon les mots de son managin director Jules Trecco, que nous avions eu le plaisir d’interviewer en juillet dernier. Celui qui occupe également le poste de COO du groupe DC Company – le même qui possède Le Gorafi et Konbini – nous ouvrait à l’époque les coulisses de sa maison pour aborder, notamment, son rachat par DC Company quelques années auparavant, la teneur de sa ligne éditoriale, ou encore la place du brand content dans son modèle économique.

Mais si nous revenons, à peine quelques mois plus tard, parler du Gorafi, c’est afin de rebondir sur une annonce formulée par Jules Trecco au détour de l’une de nos questions : « il faut savoir que chaque pays a son média satirique de référence, pas seulement la France. Si vous regardez au niveau européen, vous en avez un en Allemagne, un autre en Italie, et j’en passe. Mais surtout, nous avons la chance de nous réunir chaque année avec tous nos homologues au cours d’un event qui s’appelle le Big Satire Summit. L’occasion d’échanger sur la place de la satire sur le digital et sur l’importance de lui conférer un ADN journalistique ».

Ce fameux sommet, peu commun à l’échelle de la presse européenne et qui s’est tenu le week-end dernier dans les locaux de Konbini – synergie de groupe oblige –, a titillé notre curiosité. Après avoir pris part à la conférence de presse qui lui servait d’introduction, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Sébastien Liebus, co-fondateur et PDG du Gorafi, pour en savoir davantage. Le but étant, quelque part, de compléter notre première interview en dépassant le cadre franco-français pour analyser la place de la satire – et donc de la liberté de la presse – à l’échelle européenne. Les médias qui prenaient part au sommet étaient, donc, Le Gorafi, De Speld, originaire des Pays-Bas, Der Postillon d’Allemagne – l’un des plus diffusés en Europe –, Il Lercio d’Italie, Die Tage Presse d’Autriche et Al Hudood de Jordanie. Les espagnols d’El Mundo Today n’ont eu d’autre choix que de se faire porter pâle.

INfluencia : quel était le point de départ de la création de ce grand « raout de la satire » ?

Sébastien Liebus : l’idée a germé en 2018. À la base, notre volonté était de créer un ensemble économique, mais on a rapidement laissé ça de côté parce que c’était compliqué à mettre en place. Ce projet avorté a au moins eu le mérite de nous réunir une première fois et de nous permettre de discuter, d’un point de vue éditorial, de la manière de mutualiser nos efforts parce qu’à la fin… on fait tous le même métier. On a donc rapidement commencé à repartager les articles des uns et des autres, à se faire de la publicité entre copains pour obtenir du trafic, surtout après avoir réalisé que Facebook ne serait d’aucune aide. Le fait de nous rassembler nous permet également d’échanger sur les bonnes manières pour monétiser le trafic, la communauté, le membership, qu’est-ce qui a été essayé dans certains pays pour qu’ensuite chacun adapte les solutions à sa sauce. Par exemple, les Espagnols d’El Mundo Today avaient instauré un nouveau style de template sur Instagram qui me plaisait beaucoup et que j’ai pu ensuite réutiliser pour nos publications. C’est toujours intéressant de voir ce que font les autres dans leurs pays respectifs, notamment pour offrir une plus grande diversité de contenu à notre communauté. Pour résumer, ce sommet de deux jours est à la fois une colonie de vacances pour satiristes qui nous permet de décompresser un peu, de penser à autre chose que le reach Facebook et en même temps, on compare les blagues et on comprend ce qu’on peut mettre en commun. J’ai parlé d’échanges d’articles, mais ça peut être aussi de projets plus larges comme un live tweet pour couvrir de futures élections européennes, par exemple.

IN. : pourquoi avoir attendu six ans pour en parler officiellement à la presse ?

S.L. : à la fois parce que c’était notre tambouille personnelle mais aussi… parce que les autres sont timides. Ils se limitent à parler à la presse qu’une fois par an quand ils doivent faire la promotion de leurs bouquins respectifs ou que les médias leur demandent de s’exprimer sur les thématiques habituels, du style « quelle est la différence entre fake news et satire ? », mais de manière générale… un média satirique s’exprime peu. Là, c’est moi qui ai proposé la chose parce que je me suis dit que cela pouvait être intéressant mais surtout parce que l’on s’est rendu compte que beaucoup de gens n’étaient pas du tout au courant de cette initiative et trouvaient ça hyper intéressant qu’on en parle.

IN. : vous avez listé dans les grandes lignes les sujets qui animent habituellement vos discussions mais pour être plus concret, et c’est ce qui nous intéresse de savoir à présent que chacun est rentré chez soi : qu’est ce qui va ressortir de cette édition 2024 ?

S.L. : les discussions ont surtout porté sur la création d’un site à part entière qui expliquerait cette initiative du Big Satire Summit. Pour l’instant, rien n’est vraiment officiel. On papote, on discute mais il n’y a pas vraiment de structure avec un siège, un site qui listerait les noms des différents médias, une adresse email pour qu’on puisse nous contacter. Maintenant, on va essayer de réfléchir à une structure en dur avec des statuts qui pourraient être déposés, de quelle juridiction on dépendrait, française, européenne etc. Surtout, et c’est l’un des principaux objectifs que cette association aurait à remplir, si l’un des membres était attaqué dans son pays d’origine, quelle assistance pourrait-on lui apporter ? Si l’un des membres rencontre des difficultés financières, comment lui venir en aide ?

IN. : vous aviez déjà évoqué la création d’une association pendant la conférence de presse mais tout semblait encore hypothétique. À vous entendre aujourd’hui, on a le sentiment que les discussions sont allées dans le bon sens…

S.L. : oui… parce que finalement c’est assez simple. Il suffit de créer un site et d’acheter un nom de domaine. Ça ne demande pas énormément de ressources mais ça permet d’avoir déjà une vitrine sur internet et d’éviter que les gens tombent sur un obscur site austro-slovak (rire). Après, on a discuté sur d’autres choses, par exemple de la monétisation sur Facebook, des situations économiques des uns et des autres. Certains se portent bien, d’autres beaucoup moins mais à chaque fois on se demande : comment on peut s’aider les uns les autres ? Comment s’envoyer du trafic ? Est-ce qu’envoyer du trafic chez l’un peut l’aider à amortir ses problèmes de trésorerie ? etc.

IN. : la formule risque d’évoluer d’ici l’année prochaine ?

S.L. : il y a des chances car l’une de nos discussions concernait la création de workshops. Nous pourrions par exemple en prévoir un sur le membership, comment le mettre en place, comment finaliser sa communauté, ainsi qu’un autre sur le brand content, pour répondre aux questions habituelles, du type « est-ce qu’il faut préparer des vidéos et des textes à l’avance et après aller démarcher des marques ou attendre que la marque vienne chez soi et préparer l’attente ?

IN. : si chaque média peut aussi facilement décliner ses méthodes dans d’autres pays, est-ce finalement parce que vous êtes, peu ou prou, dans la même « galère » ?

S.L. : complètement et à vrai dire, on a les mêmes problématiques que n’importe quel autre média traditionnel. Aujourd’hui, toutes les rédactions cherchent de nouvelles valeurs, de nouveaux produits, de nouveaux contenus, de nouvelles manières de faire venir du trafic, de faire venir des capitaux. Le problème du reach Facebook, par exemple. Aujourd’hui, il est proche de zéro… tout le contraire de quand on s’est lancé en 2012. Je me souviens que parfois, on pouvait avoir parfois entre 15 000 à 20 000 personnes par heure, chaque jour, qui visitait le site parce que tout d’un coup, un article devenait viral sur Facebook. C’était phénoménal. Depuis, la plateforme a drastiquement changé son algo et la manière dont il projette les articles sur les timelines des utilisateurs. Une situation avec laquelle tous les médias doivent composer.

IN. : dans le cas où votre association venait à voir le jour, serait-il envisageable d’aller taper à la porte de la Commission européenne pour réclamer plus de protection face au bon vouloir des plateformes ?

S.L. : en quelque sorte… on l’a déjà fait. L’an dernier, nous nous étions déjà adressés à la Commission E-européenne pour obtenir un accès à des fonds européens pour les médias. On avait déposé un dossier ensemble en tant que Big Satire. Notre idée de mettre en place un portail permettant aux Européens d’avoir accès à une sélection de sites satyriques. Notre dossier était arrivé dixième sur les six sélectionnés. Ça s’est joué à pas grand-chose. Cette bourse aurait permis de créer ce site, de développer ce portail pour que la satire européenne soit un peu plus protégée et diffusée. Pour concrétiser ces efforts, notre ambition pour cette année est d’agrandir le nombre de pays présents au summit. On sait déjà qu’il y a des sites satiriques en Turquie, en Hongrie, en Pologne, et j’en passe. Pour l’instant, nous regroupons que des médias d’Europe de l’Ouest mais l’ambition est vraiment de s’ouvrir à l’Est.

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