28 mars 2025

Temps de lecture : 3 min

Publicité : revenir aux sources de la Loi Sapin

La loi Sapin visait la transparence des investissements publicitaires, mais le basculement vers le digital a fragilisé cet équilibre. Les grandes plateformes contournent ses règles, faussant la concurrence et privant l’État de 1 à 1,5 Md€ par an. Restaurer l'esprit de la loi impose des mesures fortes : encadrer la mesure d’audience, rééquilibrer la concurrence et replacer les annonceurs au cœur du dispositif.    

Publicité : revenir aux sources de la Loi Sapin

Pour avoir fait partie en 1993 de l’équipe qui a conçu le dispositif de la loi Sapin, je peux témoigner de l’objectif qui était celui du ministre : mettre fin à l’opacité dont souffrait alors la publicité, et garantir aux annonceurs la transparence sur la répartition et sur la performance de leurs investissements publicitaires. Trois décennies se sont écoulées. Le centre de gravité du marché publicitaire s’est déplacé vers le digital et, plus spécifiquement, vers quelques acteurs globaux, dont l’assise financière et technologique assurent le leadership. Ce nouvel environnement met à mal l’esprit de 1993. En contribuant à la globalisation du marché, le numérique accentue l’exception française, bride la valorisation de la data et renforce le déséquilibre dont souffrent les médias qui financent l’information et la création par rapport aux plateformes mondiales.

Comme le décrit une étude réalisée par NPA Conseil, la réalité des revenus générés dans l’hexagone par ces dernières est bien supérieure aux montants qui sont inscrits dans les registres de leurs filiales : 6,8 Mds€ en 2023, voire 10,2 Mds€, selon nos estimations, au lieu des 3,7 Mds€ figurant dans les comptes des régies françaises d’Alphabet (Google, YouTube), Amazon, Meta (Facebook, Instagram), LinkedIn, Pinterest, Snap, TikTok et X. 

La différence – jusqu’à 6,5 Mds€ – est facturée par d’autres filiales européennes, ce qui permet d’échapper à la TVA et à l’IS sur les montants concernés, mais aussi d’échapper au cadre français, puisqu’aucun de nos voisins n’en a repris le dispositif.

S’agissant du service rendu aux annonceurs, la loi de 1993 bride l’optimisation du levier-clé de la performance digitale que constitue le travail de la date, puisque la loi n’en permet pas aux agences la valorisation ; et en aval, les marques se heurtent à la difficulté à juger de l’efficacité réelle de leurs campagnes, dès lors que chaque plateforme peut utiliser ses propres métriques et en assurer elle-même la mesure. « Puisque les plateformes sont le plus souvent propriétaires de leur système de mesure d’audience, avec des méthodes de calcul souvent opaques, elles peuvent négocier avec des annonceurs qui n’ont ni les moyens de vérifier la réalité des audiences qu’on leur vend, ni la capacité de faire l’impasse sur les plus gros supports digitaux », pointait lors de la matinée du SNPTV le nouveau président de l’Arcom Martin Ajdari.

Les biais induits par cette (nouvelle) asymétrie se retrouvent de manière tangible dans la répartition des investissements publicitaires : alors qu’en Allemagne, en Espagne ou en Italie, qui n’ont pas de loi Sapin, et où médias traditionnels et plateformes numériques sont dans des situations comparables, les premiers représentent plus de la moitié des investissements publicitaires ; en France, où la facturation à l’étranger permet de contourner l’exception nationale, le digital pèse pour près de 60%. Et les médias, qui financement l’information et la création, seulement 40%.

Les finances publiques, finalement, sont également victimes de ce détournement. Manques à gagner sur la TVA et l’IS confondus, on peut estimer la perte entre 1 et 1,5 Md€ par an. Bien davantage que l’épaisseur du trait.

Alors que faire ? Revenir à l’esprit de la loi Sapin, cela signifie de remettre l’annonceur au centre du jeu, d’autant que c’est bien sur lui que repose au final le financement de la filière. Placer médias et plateformes dans un cadre homogène permettra d’éviter tout soupçon de conflit d’intérêt. Assurer le respect de règles de bons sens dans la mesure d’audience garantira aux annonceurs, en aval, de pouvoir effectivement évaluer l’impact de leurs investissements, et leur permettra de comparer les performances fournies par les différents environnements : garantir la mesure soit effectuée par des tiers, selon des métriques définies par l’interprofession et régulièrement réexaminées notamment. Le règlement EMFA a émis des prescriptions dans ce sens. La proposition de loi Lafon le propose également. Le président de l’Arcom Martin Ajdari l’a évoqué lui aussi. Il n’est plus qu’à passer à l’action !

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