20 septembre 2020

Temps de lecture : 5 min

La publicité doit sortir de sa vision romantique pour entrer dans la bataille du réalisme.

La défiance de l’opinion vis à vis de la publicité n’est plus un marqueur à mesurer, une hypothèse à étudier ou à éluder mais elle est un état de fait, une donnée à intégrer pour enfin sortir d’un modèle publicitaire à l’agonie qui en creusant, dans sa grande majorité, un peu plus le fossé entre les marques et leurs audiences s’enterre de lui-même. C’est la fin d’un siècle ou presque. Franck Luminier, DC de Insign nous propose de réfléchir à la publicité et à sa révolution, en se référant au passé, notamment, aux représentations offertes par le cinéma de la Nouvelle Vague, ou la peinture réaliste, versus l'art romantique. Passionnant.

La défiance de l’opinion vis à vis de la publicité n’est plus un marqueur à mesurer, une hypothèse à étudier ou à éluder mais elle est un état de fait, une donnée à intégrer pour enfin sortir d’un modèle publicitaire à l’agonie qui en creusant, dans sa grande majorité, un peu plus le fossé entre les marques et leurs audiences s’enterre de lui-même. C’est la fin d’un siècle ou presque. Franck Luminier, le DC de Insign nous propose de réfléchir à la publicité et à sa néessaire révolution, en se référant au passé, notamment, aux représentations offertes par le cinéma de la Nouvelle Vague, ou la peinture réaliste, versus l’art romantique. Passionnant.

Une lecture rapide du sujet mettrait en évidence l’avènement du Social, la multiplication des points de contact, les nouveaux usages de générations de plus en plus volatiles et l’essoufflement d’un modèle libéral et capitaliste. Ils font partie de l’équation mais la source du scepticisme est plus profonde.

Marchands de sable ensablés.

Elle s’ancre dans la survie d’un vieux paradigme, et peut être même d’un malentendu, qui veut que la publicité doit faire rêver pour atteindre ses objectifs ciblés. Ainsi s’est ancré, dans un imaginaire collectif et consentant, la figure d’un publicitaire qui oscille entre le démiurge génial, l’imposteur sympathique et le marchand de sable. Entre grandes réussites, connivence décomplexée et indifférence polie, ce jeu s’est installé entre les agences, les annonceurs et leurs audiences laissant ces règles tacites s’imposer dans un monde sans nuances. Aujourd’hui, l’échiquier bascule. Les contextes sociaux, les enjeux sociétaux et les nouveaux comportements ne sont plus propices au dogme de la déréalisation prônée et opérée par la publicité et ils bouleversent considérablement la relation des annonceurs et de leurs publics.

À force de déréaliser, la publicité nuit à la réalisation des individus et par ricochet à celle des marques.

Un basculement qui résonne, entre nombreux autres facteurs, à l’aune des travaux récents d’Andrew Oswald de l’université de Warwick qui soulignent, non pas le désintérêt des audiences mais le désaveu que les marques infligent à ces dernières. Selon cette étude*, en troublant nos désirs, la publicité génère en retour un fort sentiment d’inaccessibilité, de dépréciation individuelle et d’échec amer lorsque ce rêve/désir n’est pas réalisé ou réalisable. Cette contre-productivité est le signe supplémentaire qu’à force de déréaliser, la publicité nuit à la réalisation des individus et par ricochet à celle des marques. Notre monde se nuance et des ombres apparaissent.

L’idéalisation n’est plus un idéal.

Alors si la publicité ne peut plus, ne doit plus, faire rêver, quel rôle peut-elle jouer ? Faire aimer, faire adhérer, faire prendre conscience, faire conversation, faire information, faire réfléchir… ? Peut-être tout ça à la fois et même plus. C’est une part de son histoire et c’est son salut.

Retrouver le chemin d’une connivence perdue

Pour gommer la distance publicitaire et par là-même retrouver le chemin d’une connivence perdue, il est tentant de s’attacher au principe de réalité édicté par Freud, autre exégète du rêve, et en penser un modèle dérivé, augmenté, qui dépasserait la réalité, ou plus précisément la représentation de la réalité, pour proposer un principe de réalisme, voire de vérité. Un nouveau modèle qui s’absout de la simple satisfaction des pulsions et des plaisirs au profit d’une objectivation du réel, tant la seule représentation de la réalité, à force de clichés timorés et de standards validés, ne suffit plus pour se faire une image juste de notre monde et de ses aspirations. Renoncer à l’idéalisation pour se remettre en quête d’idéaux et de vérité, c’est proposer que la publicité, et par là-même le modèle publicitaire dans son ensemble, puisse sortir de sa vision romantique** pour s’ancrer dans le réel, sans fausser ni durcir le rapport mutuel et nécessaire entre les marques et leurs audiences.

La re-création du vrai.

Pour saisir les contours d’un néo-réalisme publicitaire, il est intéressant de se projeter dans notre propre histoire et d’observer que la représentation du réel est un combat résurgent et salutaire. C’est notamment le cas au milieu du XIXe siècle, quand l’émergence du mouvement du Réalisme vient bousculer le Romantisme et son idéalisme bourgeois. Quand ce dernier exalte une représentation du réel sentimentale, subjective, chimérique, sublimée et rêvée, les Réalistes y opposent une représentation crue, vérace et lucide de la réalité qui ne chercherait ni à imiter le réel, ni à l’idéaliser. Ce regard brut, sans distance passionnelle et éminemment politique a, non seulement, permis l’exploration des grands thèmes sociétaux de l’époque et ouvert la voie aux avant-gardes mais il a également laissé à la Photographie balbutiante le soin de documenter le réel, pour mieux le commenter. Avec pour seuls filtres leur talent, leur sujet et leur regard, les Réalistes ne nous ont pas offert un miroir déformant du monde, mais le reflet d’un monde déformé.

La Nouvelle Vague

C’est cette même volonté de changement d’optique qui, un siècle plus tard, poussa les jeunes cinéastes de la Nouvelle Vague à proposer la définition d’un cinéma plus libre, plus vrai, en prise directe avec l’agitation de l’époque et ses mutations. Avec de nouvelles façons de produire, de réaliser, de tourner et de fabriquer des films, la Nouvelle Vague a décomplexé les talents et décomplexifié les process pour épouser au plus près les contours de la société. Cette révolution n’est pas uniquement intellectuelle, elle est aussi structurelle et totale car en questionnant le fond, la forme et les moyens, elle interroge notre rapport au monde, aux images, à leur diffusion et leur influence. Le souffle de cette déflagration a d’ailleurs atteint Hollywood, la plus grande des usines à rêves. ***

Les leçons à tirer de Gustave Courbet ou de François Truffaut

Le passé éclaire souvent l’avenir et les leçons à tirer de Gustave Courbet ou de François Truffaut sont éloquentes car il est question de ce qui doit être au cœur de la création publicitaire : le talent, le regard, le sujet, la juste compréhension/appréhension du monde, la manière d’en rendre compte et la mise à distance du mensonge.Le champ d’un principe de réalisme appliqué au récit de marque doit également dépasser la déclaration d’intention pour poser sereinement de nouveaux enjeux de représentativité, ceux des populations, des géographies, des idées, des l angages ou des corps… et de les envisager comme des pré-requis et non plus comme des arguties qui discriminent la normalité et la vérité en l’événementialisant. Ce qui réussit à d’autres champs d’expression contemporains doit bénéficier à la nouvelle vision publicitaire.

Le néo-réalisme publicitaire ne se soustraira pas, non plus, au regard d’un réalisme économique et social

Le néo-réalisme publicitaire ne se soustraira pas, non plus, au regard d’un réalisme économique et social qui doit questionner la déconnexion illégitime des moyens de production et de diffusion de la publicité et de ses formats. Le raisonnable et la rapidité sont des moteurs de créativité puissants à la mesure des nouvelles narrations et déjà installés dans les productions créatives et lo-fi de la génération qui émerge. Aujourd’hui, la publicité doit regarder le monde en face et accepter sa capacité à construire un monde meilleur, à la hauteur des enjeux de transformation que notre société exige, avec réalisme, avec ferveur, avec créativité, avec utilité, avec humilité.

C’est alors loin des conservatismes et des idées romantiques que la créativité publicitaire, sa pratique et son enseignement, fera sa révolution et continuera à démontrer sa capacité originelle à dialoguer, à créer, à générer de l’émotion et à accompagner le monde, tout le monde, dans ses mutations, en face à face.

*(source Harvard Business Review France) La publicité nous rend malheureux.
** dans une conception relative au mouvement artistique et intellectuel du Romantisme né au XVIIIe siècle.
*** Influencé par le néoréalisme italien et la Nouvelle Vague, le mouvement New Hollywood a vu, entre autres, l’avènement de De Palma, Cimino, Scorcese ou Coppola.

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