Le monde du contenu ne cesse de se (ré)inventer et de se chercher. Il y a peu de temps le président de Nexflix, Reed Hastings, déclarait que dans quelques dizaines d’années la TV Internet remplacerait la TV linéaire et que les Apps prendraient la place des chaînes de TV. Il est vrai que pour ceux qui veulent bien s’y pencher, la planète de l’entertainment bascule, les chiffres parlent d’eux-mêmes : Hulu, c’est 75 millions de vues, 5 millions de souscripteurs, Amazon Prime, 20 millions d’utilisateurs et Apple TV, 28 millions d’utilisateurs. Ces acteurs n’existaient pas il y a 10 ans.
Mais au-delà, c’est la création qui est en mutation. Face à une audience qui attend une proposition riche et multi-écrans, la narration se transforme. Les moyens techniques ne sont plus un défi, ils sont une opportunité pour les auteurs. Ils peuvent développer des expériences d’entertainment transmedia. Les écrans, loin d’être concurrents, se complètent pour offrir un parcours de divertissement riche.
Il s’agit d’imaginer une histoire qui créée de l’expérience à travers plusieurs point d’accroche. Le spectateur est guidé au gré d’une aventure, il est instrumentalisé pour vivre une expérience totalement délinéralisée. La BBC a ainsi imaginé pour la nouvelle saison de « Sherlock Holmes » une complémentarité entre le programme TV et une appli dédiée. On pouvait y retrouver la localisation dans Londres des différentes intrigues. Cette appli vient parfaitement enrichir la narration TV.
Il est intéressant de relever que la narration transmedia développe une complémentarité des écrans et non pas une canibalisation de l’un par un autre. La série a été vue par 1,5 million de personnes sur le player digital de la BBC (BBC iplayer), a fait 4,5 millions de vue sur Youtube et a réuni une audience de 9,2 millions de téléspectateur sur la chaine.
Établissement de nouvelles audiences
Le changement de paradigme est amplifié par l’apparition de nouveaux acteurs dans la diffusion, qui a deux conséquences irréversibles : l’établissement de nouvelles audiences et la nécessité pour les diffuseurs historiques d’évoluer. Tout d’abord, on voit émerger de nouvelles audiences qui se fédèrent autour de chaînes Youtube. Elles consomment des séries du même niveau que celles que l’on peut retrouver en TV. Ainsi Maker Studio produit une série « Oh, You Pretty Things » avec Francesca Eastwood (la fille de Clint !) où on suit un groupe de 20 jeunes dans l’industrie de la mode et de la musique à Los Angels.
Vimeo a aussi décidé d’investir dans la production de contenu original pour nourrir son audience. Elle va diffuser 13 épisodes d’une série « High Maintenance » qui se passe à New York dans l’univers des dealers de drogue. Vimeo a déclaré que le budget de ce programme n’était pas inférieur à 10 millions de dollars. Ces nouveaux acteurs sont même ceux qui rachètent les droits de diffusion de séries historiques. Yahoo a ainsi repris « Community ». Alors que la série va s’arrêter sur NBC, Yahoo a commandé une saison 6 composée de 13 épisodes. Ce transfuge n’est pas la solution du pauvre puisque le réalisateur a affirmé que le budget de production resterait le même : 2 millions de dollars par épisode.
Mais surtout on assiste à une mutation du bassin d’audience
Amazon fait de ses e-shopers une audience de divertissement. L’explosion de nouveaux moyens aide cet acteur : le haut débit permet un confort de visionnage d’une série sur son laptop. Les tablettes propriétaires ou non permettent d’accéder à une offre exclusive et qualitative. Retenons que la participation de la communauté Amazon est clé. C’est elle qui pousse tel ou tel script. C’est elle qui finalement conduit Amazon à produire telle série plutôt que telle autre.
Les consoles de jeu de leur côté veulent transformer leur communauté de gamer en audience d’entertainment. Playstation diffusera sa première série originale « Powers » sur sa station de jeu. Cette série d’animation a été écrite par le créateur de comics Brian Michael Bendis. Microsoft a quant à lui annoncé la mise en production pour la diffusion sur sa console de plusieurs séries dont « 13 Days of Blood » produit par Steven Spielberg.
Pas d’autre solution pour les acteurs historiques: réagir
L’importance des nouveaux acteurs est telle que les acteurs historiques n’ont pas d’autre choix que de réagir. Le premier pas pour certains est de produire et diffuser à son tour des séries sur le digital. Disney a ainsi lancé exclusivement sur disney.com la série en 18 épisodes « Citizen Kid » qui raconte l’histoire d’enfants ordinaires qui réalisent des choses extraordinaires.
L’autre réaction que l’on voit se développer dans le monde anglo-saxon est l’alliance des deux mondes. La série « The Wrong Man » est une série co-produite par la BBC et Hulu. C’est l’histoire de 2 personnages qui se retrouvent embarqués dans une série de crimes, de conspirations sans avoir rien demandé. Le format 6 x 30 minutes.
« Ripper Street » est aussi un bon exemple du nouveau paysage audiovisuel. Cette série britannique décrit le Londres de Jack l’éventreur où une équipe d’enquêteurs « hors norme » essaye de maintenir l’ordre dans une époque trouble. Les 2 premières saisons ont été produites et diffusées par BBC One, la troisième sera co-produite par la BBC et Amazon et diffusée exclusivement par ce dernier.
En devenant diffuseurs exclusifs, les nouveaux opérateurs nous montrent où est aujourd’hui l’audience : sur le digital. Ainsi pour la première fois une nouvelle série américain, Extant, a été vendue à l’international à Amazon. Le programme a commencé sur CBS en juin dernier et sera diffusé en exclusivité en Grande-Bretagne par Amazon Prime à partir de cet été. Ce show a été produit par Steven Spielberg et suit Halle Berry, une astronaute restée seule dans l’espace pendant 13 mois.
Pour les marques ce « tsunami » de l’entertainment est une opportunité formidable. Mais à condition de se positionner très en amont de la création, au côté des producteurs pour suivre le contenu sur tous ses points de diffusion. Elles pourront alors s’associer à un territoire segmentant qui leur correspond, et prendre la parole dans les codes du contenu qu’elles accompagnent, voire même jouer un rôle fédérateur dans l’expérience proposée. Un nouveau chapitre du Brand Content est désormais ouvert.
La création d’une narration originale susceptible de fédérer une audience large est la première étape. Le partage de territoire avec la marque est la seconde étape. Il tend au fameux « graal » : le transfert de valeurs, l’adhésion volontaire de l’audience à la marque.
Jacques Kluger / @JKluger
Directeur des exploitations dérivées et de la diversification, Telfrance
Rubrique réalisée en partenariat avec Telfrance