Le constat est là. Pourquoi acheter un magazine comme Le Point, L’Express Télérama, ou GQ en version papier qui finira sûrement à la poubelle après une semaine alors que le même magazine existe sur iPad ? La presse papier connaît aujourd’hui les mêmes interrogations sur son modèle économique que le marché du disque il y a quelques années avec l’apparition du téléchargement en ligne et la révolution iTunes…
Cependant, « il y a encore des bonnes nouvelles pour le media traditionnel» comme le titrait l’exclusif magazine anglais Monocle en octobre dernier. Monocle, grand défenseur du papier qui préfère sortir deux hors-série saisonniers élégants (Monocle Alpino et Monocle Mediterraneo) dans un grand format papier plutôt que d’utiliser des supports électroniques, élevant le journal au rang d’objet à collectionner.
Le salut de la presse papier pourrait être là en fait. Proposer au consommateur un vrai produit avec une mise en page travaillée, une charte graphique soignée, des articles fouillés, des vrais « breaking news » comme les Anglo-Saxons savent les écrire, des intervenants de qualité et des pages shopping qui permettent de découvrir de vraies nouvelles marques. Le support papier deviendrait ainsi un objet de culte, un bien précieux à conserver, comme un beau livre que l’on feuillette et exhibe sur sa table de salon.
L’essor des Mooks
C’est aujourd’hui la philosophie développée par les Mooks (contraction peu élégante des mots « magazine » et « book »). Souvent trimestriels, affichant un prix autour des 15 euros, ces néo-revues se conçoivent comme de vraies bibles d’information proposant des contenus développés, une mise en page au cordeau, des histoires sous format bande dessinée ou roman à suite, des interviews, et des vraies signatures qui attirent les lecteurs. Les titres Usbek et Rica (nouvelle formule attendue pour décembre), Schnock, Muze, l’excellent The Believer ou XXI s’inscrivent dans cette voie et cela fonctionne. XXI, la revue de l’ancien reporter Patrick de Saint-Exupéry et de l’éditeur Laurent Beccaria s’écoule à 40 000 exemplaires chaque trimestre. Proposés plutôt dans les librairies que dans les kiosques à journaux, ils sont proches de la zone de caisse et des best-sellers et les consommateurs se les arrachent.
La presse hyper-localisée
À l’heure où les quotidiens régionaux et nationaux souffrent (restructuration, baisse du lectorat et des revenus publicitaires), une autre initiative « papier » connaît aussi des expériences intéressantes : la presse hyper-localisée. Un esprit « locavore », un élan communautaire où les rédacteurs sont aussi les lecteurs, un contact permanent auprès de sa ville et de ses quartiers créent l’animation d’une presse proche des gens et de la vie quotidienne.
De nombreuses expériences intéressantes de par le monde ont été tentées avec plus ou moins de succès: Tindle Newspapers, le groupe de Sir Ray Tindle, un octogénaire qui gère 4 journaux hyperlocaux dans le nord-est de Londres depuis 50 ans sans connaître la crise; le Nase Adresa Usti en Tchecoslovaquie, un quotidien distribué dans les cafés de Usti, une ville proche de Prague, conçu par des journalistes locaux pour des lecteurs qui fréquentent ces lieux. Ou encore en France, le projet de L’Institut Pratique du Journalisme de Paris-Dauphine et le journal 20 Minutes. Une association qui a donné au mois de mai dernier une édition spéciale «journal des quartiers». À la base, une idée simple: «que se passe-t-il à 20 minutes à pied de la rédaction du journal 20 Minutes? ». Toutes les rubriques du quotidien gratuit ont été ainsi adaptées à l’échelon hyper-local.
Et pour enfoncer le clou, soulignons le fait que ce renouveau du format papier vient de la génération « digital natives ». Usbek et Rica a été créé par Jérôme Ruskin, 26 ans. Adrien Bosc, 25 ans, a fondé Feuilleton, un magazine compilant des extraits de textes traduits du New Yorker ou du Vanity Fair. Et depuis le 31 octobre, le site Style.com, pure player de la mode et du style, propose en abonnement un magazine papier proposant des reportages sur les fashion weeks du monde, défilés, backstage et soirées en qualité print.
Alors non, le numérique ne tue pas le papier, il pousse au contraire les modèles établis à se repenser. On n’est pas prêt de voir la fin de nouvelles initiatives…
Guillaume CADOT
mylabstudio.com