Dépassée, sclérosée voire têtue, la presse n’a plus la côte… Pourtant cet univers a tous les atouts pour voir le bout du tunnel et réussir sa transformation numérique et technologique. Car ce qui compte, ce n’est pas le support mais faire passer l’information…
Ce n’est un secret pour personne : la presse française, dans toute sa globalité, subit un bouleversement sans précédent. Si pour certains organes de presse et journalistes, le digital représente l’ennemi, certains cherchent à s’adapter et à trouver de nouvelles solutions, souvent innovantes, voire visionnaires. Le 10 avril, Frenchweb titrait » la diffusion papier chute, la progression du numérique ne satisfait personne » . Pourtant, dans la suite de l’article, on apprenait que « la fréquentation des supports numériques de presse (internet et applications confondues) est en hausse de 22% entre 2014 et 2013″.
L’avènement des robots-journalistes ?
Le dernier débat (pour ne pas dire scandale du point de vue de certains professionnels) vient du journal Le Monde, qui lors des dernières élections cantonales, a utilisé des robots-journalistes – Génération Automatique de Texte (GAT), pour couvrir les résultats de 30.000 communes et 2.000 cantons. Pour beaucoup, c’est le début de la fin du journalisme d’investigation et la disparition progressive d’un des plus vieux métiers du monde. Pourtant, la pratique est courante aux États-Unis où l’Associated Press (l’AFP américaine) l’utilise régulièrement pour ses dépêches.
Pour la développeuse Laurence Dierickx, qui a exposé son point de vue dans les colonnes du site meta-media, le métier de journaliste n’est pas en danger, mais les craintes sont légitimes. Ce qui va surtout changer, c’est le rapport homme-machine : « les témoins sollicités et les sources analysées convergent dans le même sens : celui de faire des machines des alliées plutôt que des adversaires, en leur confiant des tâches répétitives et chronophages qui permettent aux journalistes de dégager du temps pour l’enquête et le reportage.«
En effet, le journaliste aura toujours le contrôle, ne serait-ce que pour évaluer la pertinence des données, les faire évoluer et y apporter de la réflexion. Laurence Dierickx reprend ainsi : » La question de la qualité des données pose surtout problème lorsque l’on fait appel à des bases de connaissances tierces, comme les données publiques ouvertes, qui peuvent apporter des informations de contexte. Une génération de type journalistique nécessite des données à jour, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce type de données. Pourquoi ? Parce qu’une donnée n’est pas figée une fois pour toutes, elle est susceptible d’évoluer avec le temps. Cela nécessiterait un travail de suivi quasi permanent pour les maintenir à jour. Dans l’open data public, cette question est problématique, car elle suppose des moyens humains et financiers que les administrations ne dégagent pas forcément. La chercheuse Isabelle Boydens souligne aussi que ces données prolifèrent dans l’environnement non contrôlé d’internet : leur qualité est donc potentiellement douteuse. «
La curation, fer de lance de l’information
En parallèle, de nouveaux outils ont fait leur apparition. On citera notamment Medium, un média numérique natif lancé en 2012 par Evan Williams, qui avait créé Blogger en 1999 avant de co-fonder Twitter. Cet hybride entre social média et site d’informations est un fer de lance de la curation de contenus, avec la promesse que tout internaute peut devenir journaliste, bien qu’il s’agisse en fait de simples relais d’informations.
La vidéo en position forte
Du côté du Figaro, c’est un autre enjeu qui se joue. En effet, le quotidien a décidé de miser sur YouTube et vient d’annoncer une collaboration avec l’agence de vidéo marketing Left Productions pour développer ses 8 chaînes YouTube. Le Figaro a compris l’intérêt du réseau social où il cumule 2M de vues mensuelles. » C’est un vecteur indéniable pour toucher de nouvelles audiences, expérimenter et construire nos futurs modèles » , précise Bertrand Gié, directeur des Nouveaux Médias* du Figaro. « Le Figaro peut devenir un acteur dominant sur YouTube, au même titre que Canal +, TF1 ou M6 qui ont choisi d’investir massivement sur cette plate-forme« , estime Augustin de Belloy, CEO de Left Productions. Une vision d’ailleurs partagée par certains médias (Entreprise ou marque – ici médias – créée sur Internet et n’existant que sur Internet), à l’image de Vice, qui a pour vocation de « révolutionner le paysage média international ».
Le mobile contre-attaque
Autre révolution dans le paysage médiatique : le mobile ! Devenu incontournable, il se présente comme un nouvel eldorado pour les médias, presse ou tv. Pour Richard Sambrook, directeur de l’école de journalisme de Cardiff et ex-BBC, « le mobile c’est un univers qui va révolutionner nos pratiques » en matière d’information. « Présent sur toute la chaîne de production, depuis le tournage d’images jusqu’à la diffusion, notamment sur les réseaux sociaux, en passant par l’édition, le mobile est auto-suffisant ». Et si les télévisions traditionnelles sont encore la principale plate-forme d’écoute, « cela va changer et elles ont du souci à se faire ». Pour Michael Rosenblum, l’un des pères du vidéo journalisme : « Avec 3 milliards de mobiles sur terre, il y a potentiellement 3 milliards de journalistes qui produisent des sons, des images, des histoires à tout instant. La technologie nous dicte ce que nous devons faire. Agréger la voix de milliards d’utilisateurs de portable ».
Un nouveau modèle de journalisme immersif
Pour certains journalistes, l’innovation est une conquête qui se mène seule, à l’image de Karim Ben Khelifa et de son projet The Enemy. Via ce projet, il exploite toutes les nouvelles technologies à sa disposition et propose une nouvelle manière d’appréhender le métier de journalisme, de manière plus immersive. En effet, depuis plusieurs années, l’immersive est une tendance lourde de la recherche publique en Europe et se présente comme une alternative de poids au journalisme traditionnel. The Enemy est soutenu par le CNC Nouveaux médias, le Tribeca Film Institute et la Soros Foundation. Il a également été sélectionné au New Frontiers Lab du Sundance Institute.
La presse a besoin d’innovation numérique
Pour accompagner ces innovations, la World Association of Newspapers and News Publishers (WAN-IFRA) a mis en place la Global Alliance for Media Innovation (GAMI), un département dirigé par Stephen Fozard. L’enjeu est de réunir au sein d’une même communauté d’intérêts tous les acteurs de la chaîne et d’établir un dialogue productif, à l’échelle internationale, entre la communauté des éditeurs et les écosystèmes dispersés des start-ups et des laboratoires de recherche où naissent les produits et services du futur, dont ont besoin les médias pour renouveler leur modèle. Pour Stephen Fozard : » a Global Alliance for Media Innovation a pour vocation d’encourager les rencontres entre organismes de presse, centres de recherches et professionnels du digital pour créer des projets collaboratifs et permettre d’innover ensemble » .
La Global Alliance for Media Innovation collabore d’ailleurs avec le Fonds Google pour l’innovation numérique, avec qui elle a organisé le 24 mars dernier un événement dédié à l’innovation dans la presse. Google se targue d’avoir financé 29 projets en 2014 pour 16,1 millions d’euros : 7 projets de pure players, 5 de la PQR, 4 de la presse nationale et 4 d’hebdomadaires spécialisés. Parmi eux, Les Echos, Le Figaro, L’Opinion et Le Parisien, qui ont reçu des financements pour plusieurs dossiers.
Le papier résiste
Vous l’avez compris, la presse française connait actuellement une révolution industrielle sans précédent et seuls ceux qui sauront s’adapter pourront perdurer. Pourtant, du côté des magazines essentiellement, certains continuent à faire confiance à la tradition du papier, et ce, malgré un recul de 3% en 2014, annoncé par l’OJD. Ainsi, Prisma Presse a récemment sorti deux supports féminins : Flow et As You like, qui se présente finalement comme une version plus éditorialisée de la plateforme HelloCoton. Un raisonnement que ne contredira pas Eric Fottorino, ancien directeur de la rédaction du Monde, qui a « toujours été indigné d’entendre que parce que le numérique était là, le papier était mort » comme il l’expliquait début avril aux étudiants de l’école de la Communication et du Journalisme IICP.
* ndlr : Dans CB News