Pourquoi la dernière campagne de Barilla s’est attirée les foudres de l’Extrême droite ?
À l’occasion de la journée commémorative des pâtes carbonara – cela ne s’invente pas – Barilla dévoilait son court-métrage Carbonara Day afin de promouvoir sa dernière recette, sans viande, sans œufs et sans parmesan… pour deux fois plus d’inclusivité. Une prise de parole qui parait logique et inoffensive mais qui lui vaut aujourd’hui d’être taxée de wokiste par les réseaux d’extrême droite. Le sens des priorités.
Plus les années passent, plus les annonceurs comprennent qu’il est essentiel d’afficher fièrement leur inclusivité dans leur communication afin d’en faire une composante essentielle de leur culture d’entreprise. Pas besoin de vous expliquer les conséquences sur le plan économique d’être perçu comme le vilain petit canard qui a loupé le train de l’histoire par des consomm’acteurs plus intransigeants et mieux informés que jamais. Tant que leur sincérité n’est pas remise en question… la recette marche à tous les coups. Mais jusqu’où les entreprises doivent-elles s’impliquer ? Entre les questions liées au genre, à la sexualité à l’identité… ou même à la guerre en Ukraine, quels sont les grands sujets sociaux et sociétaux qu’elles se doivent d’adresser et quels sont ceux qu’elles feraient mieux de laisser à des acteurs plus légitimes ?
Un mot de travers, un propos mal développé et mal amené, et l’étiquette du dangereux wokiste – un « gros mot » – vous colle à la peau. Le 13 octobre 2021, le ministre de l’Éducation nationale d’alors, Jean-Michel Blanquer, déclarait, presque terrifié, que « La France et sa jeunesse » se devaient « d’échapperà cette idéologie ». Une psychose partagée par beaucoup qui nous pousse à rappeler brièvement les contours historiques de ce terme pour comprendre à quel point on en abuse aujourd’hui dans les sphères médiatique et politique. Oui, même un spot publicitaire pour un plat de pâtes sans viande – notre sujet du jour – ou pour des M&M’s qui ne portent pas de talons aiguilles – on vous en avait parlé à cette occasion – peuvent aujourd’hui en être les cibles.
Le sens des maux
« Cette expression argotique a cheminé dans le monde afro-américain à partir des années 1960 », expliquait le ministre de l’Éducation Nationale – actuel cette fois – Pap Ndiaye au Monde en février dernier. Si elle tire ses racines de la lutte pour les droits civiques en faveur – but not limited to – des afro-américains, il aura fallu la mort dramatique de Michael Brown, un jeune Noir non armé, abattu par un policier blanc, et l’éclosion du mouvement Black Lives Matter pour que le hashtag#StayWoke se popularise rapidement sur les réseaux sociaux. Passé dans le langage courant, il désigne aujourd’hui « tous les individus conscients des inégalités et des discriminations subies par les minorités ethniques, sexuelles ou religieuses », selon le dictionnaire Merriam-Webster. Aux États-Unis en tout cas…
En France, « le terme de culture woke n’existe que dans les termes de ses détracteurs », expliquait récemment l’autrice et militante antiraciste Rokhaya Diallo, l’une des principales cibles de cet emploi péjoratif ces dernières années. Elle poursuit : « C’est vraiment devenu une tentative de disqualification de mouvements sociaux autour du féminisme, de l’antiracisme, de l’écologie », « orchestrée principalement la droite conservatrice », conclut Albin Wagener, maître de conférences en sciences du langage à l’université catholique de l’ouest, à Angers. On peut même affirmer qu’elle l’emploie… à toutes les sauces – elle était facile – ces dernières années.
Un plat de pâtes pour les offusquer tous
Le jeudi 6 avril dernier, l’Italie célébrait Carbonara Day, une journée commémorative dédiée à l’un de ses mets alimentaires les plus emblématiques. À cette occasion, la marque de pâtes Barilla dévoilait le spot publicitaire « Open Carbonara », afin de promouvoir une cuisine plus inclusive. L’agence Publicis Italy/Le Pub, aux manettes de l’opération, avait donc fait le choix de mettre en scène les différents régimes alimentaires qui existent aujourd’hui au sein d’une seule et même école. Une fois que les élèves se sont rendus compte qu’ils ne pouvaient pas tous manger la même chose, le père d’une élève, chef cuisinier, tente alors d’élaborer une recette alternative, sans porc, sans oeuf et sans parmesan. Pour ne froisser personne, c’était le but après tout, Barilla avait réuni en amont une équipe de six chefs spécialisés dans la cuisine halal, casher, ou encore végétalienne, dirigée par le chef étoilé Marco Martini, pour créer la nouvelle version de cette recette italienne traditionnelle.
« Prendre part au défi de faire une recette accessible à tous ceux qui ont des allergies ou des intolérances alimentaires ou qui ont fait le choix de ne pas manger de viande, était un bon challenge à relever en tant que chef. C’était très intéressant d’avoir pu prendre part à une cause qui me passionne, l’inclusion de tous, comme objectif pour réaliser une recette que tout le monde allait pouvoir utiliser », déclarait le chef étoilé Marco Martini qui dirige cette joyeuse équipe. Pourtant cette cuisine inclusive n’a pas manqué de faire réagir les médias d’extrême-droite ainsi que les réseaux sociaux, qui dénoncent un coup de marketing « wokiste » et s’inquiètent de la disparition d’une tradition au profit d’une société plus multiculturelle. Était-il nécessaire d’en faire tout un plat ?
Barilla propose des recettes de carbonara vegan, casher, halal, sans lactose, sans gluten, qu’elle appelle « tous régimes »@CNEWS en sort 6 min de diatribe antisémite, islamophobe, anti-vegan, en sortant en boucle les mots-clefs de l’extrême-droite, inclusif, woke, cancel culture https://t.co/c145ju1dGkpic.twitter.com/rV1P3Y2E2V
— ? Babar le Rhinocéros ? (@Babar_le_Rhino) April 11, 2023
Un nouvel espace sociétal à occuper
Pourtant, ce genre de révoltes populaires et médiatiques risquent de se multiplier – encore plus – à l’avenir tant les marques ont l’obligation de se montrer irréprochables… et d’orchestrer les coups de com nécessaires pour le prouver. La journaliste française Anne de Guigné, expliquait dans son livre Le Capitalisme woke, Quand l’entreprise dit le bien et le mal que le développement du concept de RSE leur impose aujourd’hui une nouvelle dimension politique : « Autrefois, l’État se préoccupait de l’intérêt général ; la société civile, de ses besoins et les opérateurs privés, de leurs profits (…) Les multinationales doivent ainsi assumer ce rôle inconfortable de porter les attentes et les frustrations de la société contemporaine car la place est vide : les autres grandes institutions (Eglises, partis politiques, syndicats, grandes idéologies…) qui structuraient la civilisation en Occident et organisaient le débat autour de valeurs communes se sont peu à peu affaissées ». Food for thoughts.
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