En créant une bibliothèque virtuelle remplie d’articles sensibles dont les auteurs ont été emprisonnés, exilés voire tués, Reporters sans frontières a su tirer parti d’une faille : face à la censure sur Internet et au muselage de de la presse, les jeux vidéo deviennent des médiums d’information libres et compromettants pour le pouvoir.
C’est à l’occasion du 12 mars, journée internationale contre la censure sur Internet, que l’association Reporters sans frontières (RSF) a lancé son immense bibliothèque sur Minecraft, le jeu vidéo de construction virtuelle le plus populaire au monde. L’objectif : offrir aux joueurs de pays censeurs l’accès à des articles habituellement hors de portée. Cette « Uncensored Library » propose dans ses collections des écrits interdits dans cinq pays : Russie, Arabie Saoudite, Mexique, Égypte et Vietnam.
« Dans ces pays où les sites Internet, les blogs et la presse libre sont strictement limités, Minecraft est encore accessible à tous » explique RSF dans son communiqué de presse. Toute l’agilité de la campagne repose ainsi sur les possibilités de contournement de la censure qu’offre un célèbre jeu vidéo. Là où l’internet de surface est graduellement contrôlé par les États, l’économie du jeu vidéo bénéficie d’une relative immunité puisque ses contenus sont généralement apolitiques. « Les joueurs ont le droit de lire les livres, mais pas celui d’en changer le contenu » précise l’association.
12,5 millions de blocs et 250 heures de travail
Minecraft est un jeu extrêmement populaire dans le monde. Selon la plateforme, le mastodonte de la construction virtuelle a rassemblé plus de 112 millions de joueurs tous les mois en 2019. C’est donc un terrain propice à une sensibilisation massive et internationale. L’avantage de Minecraft, c’est aussi le relatif jeune âge de ses utilisateurs. « Cela permet de toucher tout le monde, et particulièrement les prochaines générations » explique Nguyen Van Dai, activiste vietnamien.
Pour bâtir l’édifice, il n’aura pas fallu moins de 12,5 millions de blocs et 250 heures de travail. Le dôme, large de 300 mètres, ferait de la bibliothèque le deuxième plus grand bâtiment de Minecraft. Derrière la fabrication de ce monument se cache le studio international BlockWorks, une entreprise de créatifs et développeurs qui parie sur la maximisation de « l’énorme potentiel de Minecraft en matière de marketing, de média et d’éducation »
Un gout pour des campagnes originales
Ce n’est pas la première fois que RSF se fait remarquer pour ses campagnes singulières. En novembre 2019, l’association avait lancé son petit film « voici ce qui resterait de l’information sans journalisme indépendant ». Réalisée par l’agence BETC, on y voyait des photos des plus grands dictateurs en train de passer des moments en famille et de câliner des animaux. L’objectif était de sensibiliser le grand public à l’importance d’une presse libre et des méthodes mises en place pour embellir son image.
Autre campagne marquante toujours réalisée par BETC, celle de décembre 2017 où des chefs d’État hostiles à la liberté de la presse sont déguisés en pères Noël dans un court clip vidéo. Dans la même lignée que la première, cette campagne intitulée « la magie de Noël a hélas ses limites » joue sur le contraste entre l’esprit joyeux des fêtes de fin d’année et l’écran de fumée qui en résulte en matière de libertés de la presse. En 2019, 49 journalistes ont été tués pour avoir exercé leur mission d’information. Une baisse encourageante face à une année 2018 sanglante qui a compté 80 journalistes décédés.