27 juin 2024

Temps de lecture : 6 min

Soledad : « moi je continue sur ma ligne de nage, pendant que l’on bouffe des images à vomir sur Internet dont on se fout de la qualité »

Depuis 30 ans, Soledad Bravi fait partie de nos vies. On a grandi avec les aventures de Fonelle dans le ELLE, avec Les Paresseuses aux éditions Marabout, on a forcément une affiche d’Image Republic sur une étagère, ou un livre des bruits, publié à l’école des loisirs. En mars dernier, Soledad publiait une BD intitulée Les 20 discours les plus éloquents. Malraux, Badinter, Camus, etc. À lire et à zyeuter absolument par ces temps où la parole se perd dans la nada.

INfluencia: comment démarre l’aventure de Soledad ?

Soledad : ma mère était illustratrice. À la maison, il y avait toujours des crayons de couleur, de la peinture, des papiers à découper, par terre, dans le salon. Quand on revenait de l’école, ma mère ne nous faisait pas faire nos devoirs, elle ne voulait pas qu’on soit fatigués. Alors on dessinait. J’étais assez bonne en imagination en revanche mauvaise à l’école. Quand j’ai eu mon bac, il allait de soi que je fasse une école de dessin. Je suis entrée à Penninghen (ESAG), un endroit très scolaire, très militaire. Je me suis sentie cadrée et j’ai appris peu à peu toutes les techniques autour du dessin.

IN. : la pub, vous y êtes restée combien de temps ?

S.Br. : 4 ans. J’ai commencé par un stage chez Ecom où j’ai appris ce qu’était « le concept ». J’ai adoré. J’avais aussi l’impression de faire partie d’une bande de copains et de rire toute la journée. À l’époque je travaillais avec Bertrand Suchet et Olivier Vouckevitch qui est devenu l’illustrateur d’humour bien connu Voutch. C’est aussi là que j’ai rencontré mon mari Jean-Luc (Bravi). Ensuite, je suis allé chez BDDP, j’ai trouvé cela beaucoup moins drôle, et je suis tombée enceinte, j’ai préféré être avec ma fille que d’être dans la pub… Cela fait 30 ans que je suis illustratrice.

IN. : c’est là que vous changez de cap…

S.Br. : oui, j’ai commencé par dessiner le logo de la future agence de Jean-Luc, Louis XIV et ensuite j’ai fait du porte-à-porte, mon dossier sous le bras en téléphonant aux directeurs artistiques des magazines. À l’époque, on répondait encore au téléphone dans les entreprises (rires), je ne sais pas comment les jeunes font aujourd’hui… C’est une vraie question, ça doit être atroce. Bref, j’ai eu de la chance après avoir frappé à plusieurs portes que Le Figaro Madame prenne mes dessins pour les pages de fin, de tout-petits dessins. Puis, je suis remontée dans les pages du magazine et mes dessins se sont agrandis.
Un jour, le DA du ELLE, Yves Goube, m’appelle pour illustrer unenouvelle rubrique « le courrier électronique de Fonelle » écrit par Sophie Fontanel. Je devais créer une fille différente d’une semaine sur l’autre : ultra mode, complètement accro au shopping, un peu délurée.

IN. : pour nous lectrices vous êtes toujours dans le ELLE… C’est mythique.

S.Br. : être présente dans le ELLE à l’époque, c’était une carte de visite de fou. Tout le monde lisait le Elle, il était partout, dans les agences de pub, les maisons d’édition, chez le dentiste, le coiffeur… Les éditeurs ont commencé à m’appeler. Marabout en tête pour faire ma première couverture de livre. Ils avaient acheté aux Anglais une collection qui s’appelait « Les lazy girls », qui est devenue « La collection des paresseuses » en français. Le premier titre était « la sexualité des Paresseuses », j’ai dessiné une culotte avec une flèche dessus indiquant : « ici ».


C’était drôle, assez impactant pour l’époque, et cela a tout de suite donné le ton à la collection. Des petits guides pour les filles qui n’ont pas le temps, qui ont des journées de dingues : aller chercher les enfants à l’école / faire les courses / vider le lave-vaisselle / lancer une machine / faire les devoirs des enfants / le bain / le dîner… et après tout ça, elles n’ont plus envie de faire du sport et elles culpabilisent. Ce que l’on appelle aujourd’hui la charge mentale, ce concept n’existait pas du tout il y a 20 ans. Ensuite il y a eu les paresseuses et le sport, les régimes… Les coffrets… De fil en aiguille, entre le ELLE et le succès des Paresseuses, les marques de luxe ont commencé à me joindre…

IN. : vous avez toujours été demandée en fait, quel luxe !

S.Br. : être dans le ELLE ce n’était pas rien, j’en étais d’une certaine manière l’ambassadrice, c’était chic, sélect, mode, bienveillant et déluré en même temps, je savais que je devais rester dans cette élégance et assez vite des marques de luxe m’ont contactée : Pierre Hermé, Clarins, Chanel, Colette…

IN. : on se souvient avec émotion de votre couverture pour le ELLE lors des Attentats de Charlie…

S.BR. : Oui, la rédactrice en chef de l’époque, Françoise Marie Santucci, m’a appelée pour me demander de faire la couverture, j’étais paralysée… je ne pouvais pas, c’était trop violent, terrifiant et puis l’idée de la colombe m’est venue, c’était évident qu’il fallait un message d’apaisement.

IN. : en tout cas vous étiez assez incontournable…

S.Br. : mon dessin est très reconnaissable, positif, ironique, nonchalant. J’ai collaboré aussi avec Image Republic, grâce à eux, mes dessins sont devenus des affiches, je suis entrée un peu partout, au Bon marché, dans les boutiques de déco, dans les librairies … Je fais également des livres pour enfants. J’aime me diversifier, changer de public, passer de filles en imper Burberry à des petits qui tirent la langue. Je me suis spécialisée en 0-5 ans.

IN. : pourquoi ce choix ?

S.Br. : parce que c’est un âge où les enfants ne connaissent pas grand-chose, c’est un terrain vierge et moi je suis là pour semer des petites graines, de bonnes choses positives, pour les aider à grandir.
À cet âge-là, ils ne savent pas lire, c’est ce moment tendre où on prend notre enfant sur nos genoux, on l’entoure de nos bras pour lui faire la lecture. On est en communion avec lui. J’essaie de faire des livres à la fois pour les enfants et pour les parents, qui lisent et relisent chaque soir les livres… souvent le même, parce que ce que les enfants aiment ce qu’ils connaissent et qu’ils ont aussi aimé la façon dont on l’a lu. C’est magique.

IN. : la question de faire vieillir ses héroïnes, un peu comme le fait une Florence Foresti dans ses spectacles s’est-elle posée à vous ?

S.Br. : non, je ne me suis jamais posé cette question, je dessine des filles drôles qui sont dans l’ère du temps, peu importe leur âge, elles sont toutes les femmes.
J’ai arrêté le ELLE après 20 ans, un peu avant le covid. Et je me suis plongée dans la création de livres. J’ai publié 5 livres avec Pascale Frey ancienne journaliste, une collection intitulée « Avez-vous lu les classiques de littérature ? ».

IN. : que pensez-vous d’ailleurs de cette ruée des médias tels que Vieux, Mesdames, S sur les seniors ?

S.Br. : c’est malin parce que les 60 ans d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que l’image qu’on a de nos parents. On ne vieillit pas de la même manière aujourd’hui. Le mot retraite me fait flipper, parce qu’il est lié à l’époque de mes parents, j’imagine tout de suite une femme qui marche dans la mer avec ses amies ou un homme qui joue au golf avec des cheveux blancs …

IN. : que pensez-vous de l’autre ruée, celle de l’IA sur la création ?

S.Br. : en fait, cela ne me concerne pas pour l’instant, elle ne peut pas encore copier mon cerveau. Je suis plus terrifiée par le monde qui s’abime. Je regarde les images sur Internet et tout est de mauvais goût. Les clients pensent faire des économies et prennent n’importe qui pour faire une campagne sur Instagram. Tout cela détruit le niveau de la création. Tout est bas de gamme. Tout est moche. Des cœurs et des commentaires abominables. On vomit sur tout le monde planqué derrière son téléphone. Et on bouffe des images et on s’en fout de leur qualité.


Donc moi, je continue dans ma ligne de nage… Là, je viens de sortir un livre sur les 20 discours les plus éloquents. J’ai passé une année extraordinaire à travailler dessus. Il est sorti en mars, et c’est un tel bonheur de relire Malraux, Camus, Yourcenar, Badinter, Veil, Hausner… Relisons tous ces écrits pour comprendre ce qui s’est passé, instruisons-nous pour comprendre pour qui voter.

IN. : une chose est sûre comme vous disiez tout à l’heure vos dessins sont partout…

S.Br. : la multiplicité des supports c’est intéressant, voir ses dessins autrement que sur du papier, enroulés autour d’une bouteille, floqués sur des sweat-shirts, posés sur des porte-clés, des trousses, des mugs… c’est archi excitant et ludique. Dès qu’une routine s’installe, je cherche autre chose à faire, un nouveau sujet qui va me booster ou me remonter le moral. Hop et c’est reparti. J’ai de la chance, mon métier est très gai.

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