Début 2000: à la frilosité – « l’aveuglement », ne manquions nous pas de dire en agences – d’annonceurs ne percevant pas l’utilité d’Internet, répondaient de longues démonstrations produites par des web agencies bien décidées à obtenir un peu mieux que des queues de budgets.
Fin 2010 : l’aveuglement a changé de camp. Ou, pour faire à la fois plus nuancé et plus savant: le discours orchestré par les experts et chantres du tout digital confine parfois à l’ethnocentrisme; l’impression que ceux-ci analysent le reste du monde au travers du prisme tout particulier que constitue leur propre rapport (passionnel) au média, et au digital en particulier.
Ecoutons, pour illustrer mon propos, Chris Anderson nous brosser, en introduction de sa dernière prophétie (the web is dead, Wired* US Septembre), la journée type d’un gars apparemment comme un autre: «You wake up and check your email on your bedside iPad — that’s one app. During breakfast you browse Facebook, Twitter, and The New York Times — three more apps. On the way to the office, you listen to a podcast on your smartphone. Another app. At work, you scroll through RSS feeds in a reader and have Skype and IM conversations. More apps. At the end of the day, you come home, make dinner while listening to Pandora, play some games on Xbox Live, and watch a movie on Netflix’s streaming service».
Alors oui, voilà probablement une journée type pour quelques uns. Mais pour l’écrasante majorité des consommateurs (français ou pas), absolument pas concernés par Flipboard, Stickybits ou Scvngr, cette petite histoire doit paraitre aussi exotique que les pratiques d’Indiens d’Amazonie qui n’auraient pas encore vu l’homme blanc.
On me dira: c’est Wired, c’est vachement visionnaire, on y anticipe l’avenir sans se soucier de «moyennes molles». En prenant cet exemple, on pourrait me reprocher de caricaturer la caricature.
Soit. Tentons alors autre chose, en France, cette fois, à travers l’exemple d’un ouvrage à destination des praticiens, en l’occurrence le « Guide de l’influence », de Vincent Ducrey, paru récemment. Là aussi, pour guider les lecteurs (et les annonceurs!) dans les méandres des meilleures pratiques digitales, il nous présente quelques journées «types» de consommation media. Et bien qu’il précise que ces témoignages ne sauraient remplacer quelques statistiques représentatives, l’auteur retient pour sa démonstration les quotidiens ultra-pluggés de…Loic Le Meur et d’une consultante en social media de 22 ans!
Moi qui ai pu observer les comportements de ma nièce et de mon neveu cet été (respectivement 21 et 18 ans), tout aussi valablement «représentatifs» dans une logique de témoignage que les individus pré-cités, j’arrive à des «journées types» fort différentes: 2 à 3 heures de TV (télé réalité et jeu tv) pour ma nièce, du magazine people et 20 minutes à une demi-heure de facebook par jour; du streaming de série US en quantité, Halo 3 en réseau, quelques magazines de son oncle et un brin de facebook pour mon neveu. Et puis c’est tout ! (Non, ils n’ont pas de smartphone, mais achètent plein de fringues et autres trucs de jeunes).
Rappelons donc une première évidence (la suite la semaine prochaine) :
La vision véhiculée par les experts, blogueurs, contributeurs et autres spécialistes sur-connectés du media et s’exprimant régulièrement sur celui-ci (y bénéficiant, par leur maitrise de l’outil, d’une part de voie nécessairement écrasante) ne représente pas toujours les pratiques de l’individu de base, pourtant très largement majoritaire. Au fait, celui-ci consomme, même s’il n’a pas d’Ipad !
C’est ce que rappelait en substance Jack Wakshlag, Chief research officer de Turner Broadcasting lors d’une session de la dernière conférence Future of Entertainment au MIT. Devant un auditoire s’attendant au discours inverse, l’ami Jack assénait quelques vérités chocs quant au poids réel d’Internet dans la consommation de programme de divertissement. Du genre «In this country, 95% of all videos that is consumed is just plain old tv, 4% is time shifted tv, and 1% is online video ». Ou comment Jack, pas mécontent de son coup, battait froid les explorateurs en transmedia storytelling, revenus un instant à la réalité.
Par Vincent Balusseau, ancien Directeur général de Première Heure, et aujourd’hui doctorant en Sciences de gestion
* Magazine américain de référence consacré aux nouvelles technologies