INfluencia : le dispositif des soirées électorales de France Télévisions va recourir à la réalité augmentée en s’appuyant sur le hall du siège du groupe. D’où vient cette idée et quels étaient les objectifs recherchés ?
Arnaud Vincenti : C’est une idée que j’ai depuis que je suis à France Télévisions et que, pour aller à mon bureau, je traverse ce hall très graphique et monumental, qui est un immense rectangle. L’architecte a créé dans le bâtiment des lignes de fuite et des perspectives qui sont à notre disposition. La séquence de la présidentielle va se dérouler au coeur du bâtiment de France Télévisions et le hall va devenir un hub connecté à tous les lieux de la soirée électorale. J’ai cherché à mettre en scène cette unité de lieu pour servir l’éditorial, disposer l’information pour qu’elle soit méta-compréhensible, un peu comme de la data visualisation, et aussi évidente à comprendre qu’une photo de reportage. En voyant la disposition des éléments de réalité augmentée dans cet espace, on comprend que l’on part du passé vers le futur, ou que les 12 candidats sont suspendus au sens propre du terme dans un temps de latence, en attente de leur prochain destin. L’identité visuelle des soirées électorales est incarnée par une Marianne inspirée de l’art cinétique et de l’hommage de Victor Vasarely à Georges Pompidou. Elle sera la grande héroïne de cette soirée avec une incrustation dans le hall du siège. Ce parti pris de la direction artistique autour de la réalité augmentée vise à donner du souffle au slogan de la séquence présidentielle de France Télévisions : « donner de la voix à la démocratie ».
L’unité de lieu va servir l’éditorial et permettra de disposer l’information pour qu’elle soit méta-compréhensible, un peu comme de la data visualisation
IN : vous aurez recours à des technologies qui sont utilisées dans le sport, comme la cable cam qui va se déplacer dans le hall, ou dans le cinéma, notamment avec les écrans XR connectés, que Disney a inauguré pour sa série Mandalorian et qui ont aussi été utilisés dans le film Gravity…
A.V. : la cable cam va se déplacer en longueur et en hauteur et embarque surtout un très grand nombre de séquences de réalité augmentée. Elle filme le réel mais envoie son positionnement précis à un ordinateur graphique qui fait faire à une caméra virtuelle rigoureusement les mêmes mouvements. Le fonds réel de la caméra est incrusté et superposé avec le point de vue 3D de la caméra virtuelle, donnant le sentiment que ces objets calculés par l’ordinateur graphique sont au sein même de la réalité. Les écrans XR connectés seront utilisés pour organiser la rencontre à travers un écran entre Laurent Delahousse et Anne-Sophie Lapix, qui présenteront la soirée de France 2, l’un dans le hall et l’autre sur le plateau du journal télévisé un niveau plus bas, en ayant recours à la technologie parallaxe qui crée de la profondeur.
IN : 2022 marque-t-elle un cap pour tester des innovations technologiques ?
A.V. : tous les cinq ans, la séquence présidentielle coïncide bien avec la maturité de certaines technologies. En 2017, on parlait beaucoup de réalité augmentée mais pas encore d’écran connecté. C’était l’avènement d’un logiciel Unreal que nous avons utilisé pour la première fois en Europe pour faire du studio virtuel. Maintenant, tout le monde l’utilise et nous avons depuis internalisé un savoir-faire autour de la fabrication de studios virtuels. L’innovation a gagné en maturité et nous avons réfléchi à la manière dont elle allait pouvoir servir un propos pour être au service de l’éditorial. C’est un gros travail collaboratif et de co-construction.
Tous les cinq ans, la séquence présidentielle coïncide bien avec la maturité de certaines technologies
IN : de quelle manière ?
A.V. : il y a de plus en plus d’horizontalité et de transversalité dans nos métiers. La multi-compétences au service d’un grand projet sert davantage que l’innovation technique ou visuelle en elle-même, et c’est même l’innovation collaborative qui permet de servir ces grands projets. Beaucoup de collaborateurs de l’entreprise ont été mis au courant très tôt du concept et ont pu le nourrir de leurs talents. Il y a un an au sein du MediaLab, 80 personnes ont participé à un projet PrésiLab de design thinking pour nourrir les idées disruptives autour de la présidentielle. La mise en place de ce que nous présentons le 10 avril a commencé il y a environ 9 mois. Il y a un mois, les décors ont été montrés à Anne-Sophie Lapix et Laurent Delahousse, pour qu’ils puissent entrer dans cette histoire collective et nourrir leur propos. Au fur et à mesure du projet, les équipes sont passées de 4, à 10 puis 20 collaborateurs. Plus de 50 personnes travaillent pour monter le décor installé dans le hall.
80 collaborateurs ont travaillé il y a un sur un projet PrésiLab de design thinking pour nourrir les idées disruptives autour de la présidentielle. La mise en place du projet a commencé il y a environ 9 mois
IN : le projet a été monté en interne à 90 % via La Fabrique, qui regroupe les moyens de fabrication de France Télévisions. En s’appuyant sur quels types de compétences ?
A.V. : sur les compétences de deux cellules internalisées qui travaillent de manière très agile l’une avec l’autre : l’atelier vidéographique, qui s’est occupé de l’architecture design avec des graphistes et des opérateurs 3D, et la cellule Graphismes en temps réel (GTR) qui regroupe des développeurs et des geeks. Notre MediaLab vient en surplomb ou en renfort pour impulser des idées innovantes, par exemple sur la VR ou les interfaces d’écrans tactiles. Cet écosystème internalisé est de plus en plus agile, avec une politique managériale collaborative qui permet d’orchestrer de manière très pragmatique des projets comme un prime time ou une soirée électorale.
IN : y a-t-il des idées que vous n’avez pas pu réaliser car la technologie n’est pas encore mature ?
A.V : il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas encore faire avec la réalité augmentée, notamment parce que les présentateurs ne la voient pas. Il faudrait qu’ils chaussent des lunettes qui n’existent pas encore ou qui ont encore un volume trop important pour être portées dans le contexte d’une émission de télévision. Il y a encore plein d’innovations optiques à venir et, dans dix ans, il existera peut-être des lentilles de contact qui leur permettront de voir la réalité augmentée et leur prompteur… Nous avons quand même des idées très ambitieuses que nous allons tester en répétition, qui peuvent être assez spectaculaires et intéressantes. Si on juge qu’elles sont probantes, on les mettra dans le prime.
IN : comment pourriez-vous réutiliser ce que vous proposerez à partir du dimanche 10 avril ?
A.V. : la parallaxe pourrait être utilisée dans les décors de l’information, par exemple pour les vues de Paris qui sont dans les éditions des journaux télévisés. Celles que nous utilisons ont été tournées en haut du Louvre. On pourrait construire un Paris en 3D qui créerait une perspective dans les JT. Avec les studios virtuels, les invités arrivent dans un grand aquarium vert qui, en présentiel, est totalement désincarné. Il n’y a pas d’enjeu pour le présentateur ou pour les invités. Quand on reconnait le studio du journal, que l’on crée une unité de lieu tangible autour de soi, la tonalité de l’interview est différente.
Marianne, qui sert de logo à l’identité visuelle de France Télévisions pour la présidentielle, sera incrustée en réalité augmentée sur l’une des faces du hall du siège du groupe.
La réalité augmentée permettra de mettre en perspective différents éléments, comme ici les scores successifs obtenus par les différents présidents élus.
Des éléments de data visualisation viendront s’intégrer sur les murs du hall et pourront être commentés par un ou une journaliste situé sur la coursive du premier étage.