En juillet 2017, le think tank Renaissance Numérique lançait une plateforme peu banale intitulée Seriously. Son objectif ? Désamorcer les discours de haine qui ne cessent de pulluler sur la toile. Cette année, elle passe à la vitesse supérieure en visant le grand public.
Au début du mois de mai, le Panorama de la haine en ligne, remis au secrétaire d’État chargé du numérique par la société Netino by Webhelp, dévoilait une statistique édifiante : 1 message sur 10 publié sur internet est porteur de haine. Par la force de la nature humaine, Internet est devenu au fil des années un espace sur lequel s’abat quotidiennement un déluge d’insultes ordinaires. Les réseaux sociaux en tête de cortège.
Un outil collaboratif, pédagogique et ludique
Pour lutter contre ce phénomène toxique, Renaissance Numérique, le think tank de la société numérique, a lancé en juillet 2017 une plateforme collaborative intitulée Seriously qui cherche à « désamorcer les discours de haine en ligne ». Un projet qui va donc bientôt fêter sa première année d’existence et qui va encore plus faire parler de lui à la rentrée 2018.
Comment cela fonctionne ? Complémentaire aux dispositifs de signalement, la méthode Seriously offre des arguments concrets et des conseils comportementaux aux internautes, à partir d’un parcours intuitif construit autour de trois fonctionnalités : des données factuelles pour objectiver le débat et susciter l’esprit critique -chiffres clés, études, graphiques, etc-, des conseils d’experts pour accompagner sur le plan émotionnel et psychologique les utilisateurs afin de dépassionner la discussion, et des ressources adaptées au format numérique pour aider l’internaute à illustrer son argumentation : vidéos, images, etc. En bref, désamorcer les clashs en générant le débat, selon le principe du win/win.
Comme l’explique Mike Fedida, l’un des responsables du projet : « Nous ne sommes pas dans une logique de bien pensance ou d’unique détenteur de la vérité. On propose une offre informationnelle et c’est aux citoyens, aux associations et au système éducatif de s’en saisir. Nous savons que nous ne pourrons résoudre ce phénomène à nous seuls, mais nous sommes là pour y apporter notre contribution ».
Une plateforme qui répond aux dérives de son époque
Initiée au lendemain des attentats de janvier 2015, Seriously a été développée par Renaissance Numérique en s’entourant d’un écosystème partenaire composé de chercheurs et associations concernés par cette problématique et en partant de deux constats implacables. Le premier est qu’Internet a conduit à une dérégulation du marché de l’information. En gros chacun peut s’exprimer librement, pour le meilleur… comme pour le pire -théories conspirationiste et autres propos racistes/homophobes/antisémites.
Le deuxième constat est que les autorités ne traitent souvent que la partie visible et évidente du phénomène, c’est à dire les propos explicites. La majorité des propos haineux se situant dans une zone « grise », c’est-à-dire difficilement appréhendable par le droit et les standards développés par les réseaux sociaux. Et c’est bien cette partie immergée de l’Iceberg que Renaissance Numérique a désigné comme son terrain de « jeu ». Combattre là ou le droit ne peut aller en s’inspirant des méthodes dites des communautés négatives pour les retransmettre aux communautés dites positives. Une sorte de Robin des Bois 2.0.
Un projet qui a le vent en poupe
Dès lors, qu’elles sont les perspectives d’avenir du projet ? Tout d’abord, une version 1.1 lancée à la prochaine rentrée scolaire et qui proposera un design plus abouti et une correction de quelques bugs techniques pour garantir une fluidité de l’expérience utilisateur. Le gros chantier du Think Tank est de développer dans un second temps une nouvelle version à visée éducative qui intégrera une IA encore en chantier. Cette « version 2 » pourrait être utilisée non pas comme un outil purement numérique mais pédagogique au sens large, complémentaire avec des ateliers, des jeux de rôles et des cours « Seriously » dispensés dans les écoles volontaires. Bref, adopter une véritable démarche pro active pour passer progressivement d’un public de convaincus au grand public.
Les plus jeunes en première ligne
Dans un sketch brillant, l’humoriste américain Louis C.K. abordait le sujet de la haine en ligne. Pour lui, poster un commentaire blessant sur Internet sans avoir son destinataire en face de soi empêche de subir le poids de sa réaction -tristesse et/ou colère- de ressentir de la culpabilité et donc de construire une réelle empathie. Une déresponsabilisation émotionnelle lourde de conséquences, spécialement quand il s’agit des digital natives… qui sont les premiers utilisateurs et donc les premières victimes des dérives des nouvelles formes de communications médiatiques.
Le Think Tank dévoilait dans une enquête en mars dernier que seulement 26% des 15-18 ans affirmaient n’avoir jamais été exposée a des contenus choquants sur la toile. Comme l’a démontré Renaissance Numérique, c’est aux citoyens eux-mêmes de s’emparer du problème et de se dresser comme rempart contre cet harcèlement 2.0, afin, bien sûr, de protéger nos jeunes chérubins, souvent propulsés sur Internet sans aucun gilet de sauvetage. La seule méthode qui permettra d’endiguer l’escalade de la Banalité du mal, théorisée il y a déjà plus d’un demi-siècle par Hannah Arendt.