Face à la crise que nous vivons actuellement, les planneurs s’interrogent plus que jamais sur ce que notre monde va devenir et sur la façon dont nous allons nous battre. Parce que les réflexions sont multiples et nécessaires, nous interrogeons chaque semaine l’un des 18 directeurs de planning membres fondateurs du Collectif du Planning Stratégique sur le sujet Covid-19.
Quel impact du Covid-19 imaginez vous sur les stratégies à venir des marques ? Pour le planning stratégique comme pour les autres métiers de l’agence, quels bouleversements doit-on attendre, et les connaît-on déjà ? L’après Covid-19, à l’échelle de la société, ce sera quoi ? : Trois questions auxquelles des directeurs de planning répondront chaque mardi pour le Collectif du Planning Stratégique.
Pour commencer, la parole à Sébastien Genty, Fondateur du Collectif du Planning Stratégique, Directeur Général | Directeur du Planning Stratégique DDB Paris.
IN : quel impact du Covid19 imaginez-vous sur les stratégies à venir des marques ?
Sébastien Genty : c’est évidemment une question très complexe. Tout d’abord parce que c’est comme une déflagration lente au démarrage, une sidération dans laquelle on a plongé plus qu’elle ne nous a saisie. On cherche des métaphores et des analogies dans un état oscillatoire en mouvement permanent (entre besoin de sécurité et désir de liberté, panique et relativisme, entre gravité et légèreté, réaction et anticipation, sur-consommation digitale et valorisation du contact humain…). Parce qu’il faut envisager un avenir à deux termes, celui de la sortie du confinement et celui d’une réorganisation stabilisée autour, sans doute, de nouveaux équilibres. Ensuite parce qu’il est difficile de généraliser tant la situation est différente selon les catégories (et selon les pays). L’activité des unes et des autres est affectée de façon totalement inégale. L’impact sur les revenus de certaines marques est évidemment phénoménal.
Une question complexe, parce que la durée même du confinement est incertaine. Et quoi qu’il en soit, il y a peu de chance que ce soit un on-off radical, mais sans doute davantage une période de transition plus ou moins longue. Parce que les marques vont être tiraillées pour certaines, de manière encore plus aiguë que d’habitude, entre la nécessité de l’efficacité à très court terme et la construction de profit durable à plus long terme. Complexe également parce qu’il faudra comprendre vite quels sont les changements de comportements qui vont s’imposer dans la durée – Les canaux utilisés et pour quels types d’achat, les catégories sur lesquels les consommateurs vont investir ou désinvestir, tous comme les valeurs qui vont prendre l’ascendant. Ce sera important et très intéressant. Certaines choses se dessinent mais c’est encore trop tôt pour se faire une image complète.
A cela s’ajoute la diversité des réactions, selon les typologies de population, puisque si cela était nécessaire, cette période de confinement, met à fleur de peau les inégalités, toutes les inégalités. On peut néanmoins formuler une hypothèse. Comme sur d’autres sujets, cette crise majeure pourrait agir comme un déclencheur de passage à l’acte. Passage à l’acte, de façon systématique et pour un plus de grand nombre de personnes, sur tout ce qui marque une prise de distance avec une consommation sans limite. Une chose est certaine, il faudra accepter la complexité, une part d’incertitude, la nuance, faire usage de bon sens et d’honnêteté, puis faire des choix, et ne jamais perdre de vue le long terme, la valeur des actes concrets, la recherche d’impact positif, l’importance immense de l’interne. Enfin, il faudra savoir rester à sa place, et ne pas s’inventer des missions que l’on ne peut assumer quand les temps sont plus durs. Surtout quand la réalité nous rappelle que le marché ne peut pas tout et que le « purpose » de marque ne doit jamais être vécu comme une substitution, mais au mieux comme une contribution.
Ce ne sont pas là des nouveautés, mais on peut penser que les marques, qui parviendront à avancer selon ces principes auront un avantage significatif.La stratégie a toujours été l’art de faire des choix tenus dans la durée, de formuler une hypothèse qui serve de base à l’action. On a cru un temps que l’on pouvait tout prédire et contrôler et que donc, d’une certaine manière, on avait moins besoin de stratégie. Il est possible que l’inverse soit davantage proche de la réalité future.
IN : pour le planning stratégique comme pour les autres métiers de l’agence, quels bouleversements doit-on attendre, et les connaît-on vraiment ?
S.G. : il y a la façon dont on travaille aujourd’hui et pour les semaines à venir et puis celle que l’on peut envisager à plus long terme. Aujourd’hui, nous sommes plongés dans un hyper-présent. Mais nous essayons néanmoins de préserver un équilibre autour de deux pôles : le temps de la réflexion et celui de l’échange pour être à même d’amener collectivement des points de vue rapidement. Ça nous amène plus que jamais à revenir à l’essentiel, plus de travail, d’humain et de vérité. L’activité est soutenue. Pour l’instant, nous y parvenons, parce qu’il y a un collectif qui fonctionne bien à l’agence.
Pour ce qui est de l’impact à plus long terme sur le métier, je peux imaginer la nécessité de comprendre l’humain, le monde dans lequel on vit, et les imaginaires collectifs qui vont se mettre en place, avec encore plus de sensibilité et de précision. Parce que c’est un fait social total, qui bouleverse l’humain, dont le consommateur n’est qu’une petite partie. Par ailleurs, tous les automatismes sont questionnés, chaque situation doit être prise dans sa singularité, il n’y a pas de mode autopilote (s’il n’y en avait jamais eu). La pudeur s’immisce dans les choix. Il n’y a pas de réponse écrite. Et pour autant, voire par conséquent, nous allons avoir besoin d’encore plus de netteté dans les partis pris et de rigueur dans leur application. Une exigence de cohérence, entre les discours et les actes, plus encore que de code entre supports. Autrement dit, concernant les changements sur le métier, j’y vois aujourd’hui plus une différence de degré que de nature.
IN : l’après Covid19, à l’échelle de la société, ce sera quoi ?
S.G. : quand on réfléchit à cette question, on se rend vite compte que toute réponse est soit un présent extrapolé, soit une formulation de son propre désir, soit encore une validation à venir de ses convictions antérieures. Les conséquences de tels séismes ne naissent pas de manière organique, cela dépend de ce que l’on en fait et donc du regard que l’on porte sur le moment lui-même. A cette étape, la vérité, c’est que j’ai beaucoup plus de questions que de réponses. Est-ce un réel moment de bascule ? Vers une plus grande distance à la consommation ? Ou au contraire une consommation exponentielle parce qu’elle sera vécue comme une part de liberté retrouvée ? Vers des comportements qui prennent de façon plus systématique en compte l’écologie, et l’éthique ? Vers le modèle chinois comme un nouvel horizon, au-delà même du marché que le pays a représenté sur les années précédentes ? Vers une autre hiérarchie de valeurs, qui questionnerait le rapport entre l’individu et le collectif, ou la conception de la réussite ? Vers un autre rapport au temps, issu d’un moment de ralentissement contraint ? Vers des marques qui définitivement se construisent sur l’intimité, et le particulier plus que sur la moyennisation ? De façon plus concrète, est-ce que ce sera une bascule, sans retour en arrière vers une consommation digitale plus massive ?
Peut-être qu’aucun de ces changements n’arrivera, on peut néanmoins être certain que notre rapport à la sécurité et au collectif va s’en trouver profondément affecté, puisque les gestes sociaux les plus simples sont aujourd’hui vécus, et pour un moment encore, sous l’angle de leur dangerosité.