Le groupe Les Échos-Le Parisien indique cultiver deux grandes valeurs : l’exigence de qualité et un esprit résolument tourné vers l’innovation. Qu’en est-il de la démocratie ?
Nous sommes un groupe de médias qui chacun dans son domaine essaye de défendre la notion de l’information de qualité et fiable. Nous estimons que la presse d’information générale est un socle de la démocratie. C’est ce qui va guider tout ce que nous faisons. Mais pour que la presse favorise la démocratie, il faut que les citoyens aient confiance en elle ! Pour cela, il faut veiller à diffuser des informations sourcées, documentées, vérifiées. Cela concerne chacun de nos titres. Les Échos est un socle de la démocratie parce qu’il n’y a pas de démocratie sans un marché qui fonctionne et des entreprises qui se développent, d’ailleurs les régimes autoritaires suppriment très vite la liberté du commerce. Les Échos arrive en 1908, au moment où doit se développer le commerce. Depuis lors, il est devenu une référence dans son domaine. Le Parisien, qui date de l’après-guerre, se définit comme étant à hauteur de femmes et d’hommes, il informe les citoyennes et les citoyens sur des sujets de transport, d’immobilier, de politique, de santé, de sport… Récemment encore on a réaffirmé de façon très forte que nous sommes un journal républicain et laïque, dans cette tradition qui fait la France, en publiant cette fameuse une « L’abaya à l’école, c’est non ».
Nous avons des journalistes qui luttent à leur façon pour qu’il y ait des faits qui soient les ingrédients du dialogue démocratique.
On parle de démocratie bousculée, en crise ou encore en danger. Le groupe Les Échos-Le Parisien joue-t-il un rôle spécifique dans ce contexte ?
Nous considérons que nous ne devons pas faire évoluer notre exigence par rapport à la vérité et aux faits sourcés et vérifiés, on met en œuvre des moyens importants, il y a 720 journalistes dans le groupe, pour cette collecte de l’information qu’on considère comme une fabrique d’ingrédients pour le dialogue démocratique. Je cite souvent cette phrase d’Hannah Arendt qui disait au siècle dernier « la vérité est un objet de discussion ». Il y a maintenant de nombreux livres qui traitent de questions comme « qu’est-ce qu’une vérité ? » « qu’est-ce qu’un fait ? » Dès lors que les rédactions des Échos et du Parisien sortent une information, c’est qu’elle a été plusieurs fois vérifiée, c’est un fait et il n’est pas discutable. On doit avoir confiance en ces médiateurs de la vérité que sont les journalistes. Par ailleurs, on partage la devise du Washington Post : Democracy dies in darkness (« la démocratie meurt dans les ténèbres »). On lutte contre les ténèbres, nous sommes les héritiers des Lumières, les tenants de faits vérifiés, des sciences, des informations économiques stabilisées et nous luttons contre les fake news, la désinformation et les manipulations. Or, nous sommes dans un monde dans lequel la puissance des réseaux a fait qu’on a une capacité à mettre en circulation et à propager des contre-vérités, des erreurs, massivement. Nous n’avons pas un desk de lutte contre les fake news comme à l’AFP, mais des journalistes qui luttent à leur façon pour qu’il y ait des faits qui soient les ingrédients du dialogue démocratique. À partir de là, la conversation peut commencer. C’est ça notre contribution à la démocratie. Mais si la responsabilité de la transmission d’une information vérifiée est la nôtre, le socle démocratique tient aussi à des décisions politiques : il faut que les pouvoirs publics soutiennent le financement d’une information de qualité, indépendante et pluraliste. C’est une position que je défends avec force dans le cadre des États généraux de l’information.
Le Parisien est la première marque de presse sur YouTube devant Brut, elle enregistre 250 millions de vidéos vues par mois sur l’ensemble des plateformes sociales.
Les gens, et en particulier les jeunes, s’informent de plus en plus sur les plateformes et les réseaux sociaux… Quelle est votre stratégie numérique ?
Notre stratégie est de préparer l’avenir en allant chercher les lecteurs, et notamment les plus jeunes, là où ils sont. Il y a une plateformisation de l’information, on a donc mené des opérations très lourdes de transformation des versions des sites internet et des applications, en investissant des dizaines de millions d’euros depuis dix ans. Le Parisien s’est adossé à la plateforme technologique Arc Publishing développée par le Washington Post. Cela a eu des résultats probants : Le Parisien, c’était 5 000 abonnés numériques il y a six ans à mon arrivée ; aujourd’hui, nous sommes passés à 110 000 abonnés numériques. Les Échos vit sa 14e année consécutive d’augmentation de sa diffusion et il est arrivé à 80 000 abonnés numériques. Là encore, c’est une réussite et une belle performance économique. Au total, le Groupe Les Échos-Le Parisien adresse ses contenus à 500 000 abonnés dont plus de la moitié sont exclusivement numériques !
Notre stratégie numérique passe également par le passage de nos médias de l’écrit à la vidéo, qui est le format roi sur les réseaux sociaux. Par exemple, Le Parisien est la première marque de presse sur YouTube devant Brut, elle enregistre 250 millions de vidéos vues par mois sur l’ensemble des plateformes sociales. C’est six fois plus que Le Monde ou Le Figaro ! De son côté, Les Échos a fait l’acquisition de la startup Datagora, spécialisée dans la démocratisation de l’accès aux statistiques via des vidéos sociales.
Notre pérennité économique passe par la numérisation de nos audiences et de notre modèle publicitaire.
Le groupe Les Échos-Le Parisien affiche un chiffre d’affaires record de 420 millions d’euros pour 2023. Comment se porte le groupe ? Quel est votre modèle économique ?
Nous avons constitué depuis 2018 un groupe puissant et influent, qui compte plus d’une trentaine de marques. Autour de nos deux marques phares, le groupe a notamment construit des pôles thématiques leaders grâce à des acquisitions ciblées : boursier.com (pôle finance), Mezzo et medici.tv (pôle musique), Historia (pôle arts et histoire). Notre croissance passe également par une stratégie de diversification : prise de participation dans des événements (changeNOW), dans les études (OpinionWay)… Notre pérennité économique passe par la numérisation de nos audiences et de notre modèle publicitaire. Aujourd’hui, 54% des revenus des Échos sont numériques, là où Le Parisien est autour de 25%, ce qui reflète encore une fois la différence historique et la différence ontologique. Il y a une grande marge de progression. Le paradigme clé est qu’il vous faut trois ou quatre abonnés numériques pour compenser la disparition d’un abonné papier. Le sujet est de développer une masse d’abonnés numériques suffisante pour compenser la perte programmée des abonnés papier. Ce qui nous nuit dans la phase actuelle, c’est la proportion de collègues à mener des guerres de prix qui sont destructrices. On constate que régulièrement certains titres de presse nous disent « abonnez-vous pour 1€ par mois pendant 3 mois », ça ne peut pas rapporter, c’est destructeur de la valeur. La publicité papier et numérique se porte plutôt bien cette année encore pour notre groupe, on est en avance sur notre budget et on se défend très bien par rapport à l’année dernière. Les Échos est une pépite publicitaire incroyable, beaucoup d’annonceurs veulent absolument inclure dans un plan média Les Échos et Le Parisien, un journal très puissant qui touche 20 millions de Français tous les mois.
Baisse annoncée des recettes publicitaires et concurrence très vive des Gafam. Quelle est la position du groupe Les Échos-Le Parisien ?
La publicité est une source de financement essentielle, qui permet notamment de réduire le prix d’accès à nos contenus d’information. Or, la famille de la presse a perdu au moins 50% de recettes publicitaires en dix ans. À horizon 2030, quatre grandes plateformes, Alphabet (Google, YouTube), Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), Amazon et ByteDance (maison mère de TikTok) renforceront un peu plus leur domination en concentrant 45% des recettes publicitaires sur le marché français ! Je ne rêve pas d’un monde dans lequel il n’y aurait que quatre endroits où annoncer. Je rêve d’un monde beaucoup plus divers, les marques y ont intérêt aussi pour toucher le public le plus large possible.
Là où les combats communs peuvent être menés, ce sont ceux qui passent par des stratégies juridiques.
Des actions collectives menées par les groupes de presse d’information ne pourraient-elles pas être envisagées sur ces sujets ?
Nous partageons des convictions, comme la défense de la valeur d’un abonnement, la défense de la valeur de nos contenus, on essaie de le dire et le partager. Mais là où les combats communs doivent surtout être menés, c’est dans le domaine des stratégies juridiques. Nous devons être soudés, car on a face à nous des entreprises qui pèsent des centaines de milliards alors qu’on pèse des dizaines de millions. Récemment, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à X de nous communiquer un certain nombre de données commerciales sur les revenus qu’elle tire de la reprise en ligne de nos contenus. Il faut contraindre ces acteurs et créer un effet de levier, sinon on n’arrivera pas à se faire rémunérer. Google et Meta ont dû payer 800 millions d’euros d’amende à la France en trois ans, mais ces 800 millions d’euros vont dans les caisses de l’État… pas les nôtres. Nous sommes en train d’instruire des actions en recherche de dommages avec un collectif de titres. Et puis l’avenir nous réserve peut-être d’autres batailles. Au moment où se multiplient les LLM (large language model) et leurs usages, la question de l’utilisation de nos contenus, comme celle du partage de la valeur avec les créateurs de ces contenus, vont de nouveau se poser avec acuité. Il n’est pas concevable que ces systèmes conversationnels soient nourris d’ingrédients qu’ils n’auraient pas payés. L’argument assez fallacieux du renvoi et du partage de trafic ne peut plus fonctionner avec des LLM, qui sont des sites de destination… face aux acteurs de l’IA, la seule modalité de rémunération pour tous me paraît être celle, comme dans le domaine de la musique, de la licence légale !
Avec 2050NOW, nous comptons un dispositif incomparable dans le paysage média. Il est aussi un élément clé de notre stratégie de conquête du public jeune.
Le groupe Les Échos-Le Parisien a lancé en avril dernier 2050NOW, un media numérique dédié aux enjeux écologiques. À travers ce projet qui comporte aussi un centre de connaissances, la volonté est-elle de devenir un acteur engagé de la société de demain ?
Nous croyons résolument à l’utilité sociale de l’information et à la force motrice des entreprises pour engager la transformation durable de la société. À côté des marques médias du groupe Les Échos-Le Parisien, qui se sont pleinement emparées de cet enjeu, à côté de ChangeNOW qui a battu un record d’affluence en 2024, nous avons lancé ce nouveau média 100% numérique et un écosystème pour innover et accélérer les entreprises dans leur transformation écologique. Avec 2050NOW, nous comptons un dispositif incomparable dans le paysage média. Il est aussi un élément clé de notre stratégie de conquête du public jeune.