The Good : Tout d’abord, présentez-nous cette Foundationnal study ? 35 pays, 35 secteurs, sur une thématique aussi large que la RSE. Comment avez-vous procédé ? Qu’êtes-vous allés chercher ?
Pierre Gomy : Il s’agit d’une initiative globale afin de comprendre quels sont les enjeux principaux en termes de responsabilité sociale et environnementale des entreprises à l’échelle de la société. Et aussi de regarder spécifiquement sur 35 grands secteurs (food, beauté, santé, auto, énergie, luxe, etc…) quelles actions sont attendues de la part des marques par les consommateurs et comment elles peuvent les aider à adopter des comportements plus vertueux.
Nous avons soumis aux répondants – 1000 personnes par pays – les 17 ODD (Objectifs de développement durable) de l’ONU, et leur avons demandé quels thèmes leur semblaient les plus importants dans l’absolu, et quel était leur degré d’attente pour chaque thème sur chacun des 35 secteurs. Nous avons aussi segmenté les résultats par pays afin d’identifier les attentes principales dans chacun d’entre eux.
Ainsi chaque marque peut identifier ce qu’elle doit surveiller sur sa catégorie, même si à l’échelle de la société l’enjeu semble moins important. Par exemple, si je prends l’item de la pauvreté, qui est un thème très prégnant pour l’ensemble de la société, certaines catégories – banque/finance, alimentaire- sont plus attendues que d’autres pour résoudre les problèmes.
TG : Que pouvez-vous nous révéler sur le marché Français ? Quelles sont les attentes globales de nos concitoyens ? Quelles différences avec les autres pays d’Europe ?
PG : Ce qui nous a particulièrement frappé c’est que pour 59% des consommateurs Français, le sujet de la responsabilité, est de la responsabilité des producteurs et des entreprises. Jusqu’ici, les consommateurs ont eu le sentiment qu’on leur demandait de faire tout le boulot. Aujourd’hui ils sont presque 60% à dire « ce n’est pas à nous de faire, c’est au business de nous proposer des solutions ». Et notamment parce qu’il y a un sujet économique – le prix des produits responsables- et parce qu’il est de plus en plus difficile de se faire une idée de ce qui est vraiment bon ou mauvais.
C’est la confirmation que les entreprises ont un rôle important à jouer, plus que les pouvoirs publics par exemple. Il y a une certaine efficacité qui est attribuée aux marques même si les consommateurs ne sont pas dupes de l’intérêt commercial qu’elles y trouvent (pour 73% des Français).
En France les thématiques les plus importantes sont celles-ci : la biodiversité, la pollution de l’eau, la déforestation, la pauvreté et l’accès à l’eau potable. Nous sommes assez proches du reste de l’Europe. Seule la thématique santé, très présente dans les autres pays, ressort moins en France.
Autre point important, c’est que le sujet du réchauffement climatique n’apparait qu’en 8e position, en France comme en Europe d’ailleurs.
TG : Comment expliquez-vous ce faible score du réchauffement climatique alors que ce sujet est très présent dans les médias, et que nous sommes tous alertés sur l’urgence climatique ?
PG : Ce que l’on note c’est que ce sont les choses les plus concrètes qui paraissent les plus importantes. En France, c’est la biodiversité, la déforestation, la pollution de l’eau. Par ailleurs cela dépend du niveau d’éducation : plus le niveau d’éducation est élevé, plus la préoccupation carbone et réchauffement climatique remonte, peut-être lié à une meilleure capacité à conceptualiser ce sujet.
C’est un point marquant : cela veut dire qu’il faut mener une action de pédagogie sur le réchauffement climatique, et de le relier à des aspects concrets.
Un autre élément intéressant est de voir que ce sont les plus âgés qui sont les plus sensibles à toutes les thématiques environnementales. Alors que l’on ne cesse de parler de la génération Greta, je m’attendais à l’inverse. Finalement les plus jeunes sont plus sensibles au sujet de pauvreté, aux thématique sociales, l’inclusion sous toutes ses formes. Cela atteste là aussi d’attentes liées au concret, à la vie de tous les jours.
Nous sommes sur une vision très micro, terre-à-terre et quotidienne. Pour arriver à une vision macro, il y a besoin de beaucoup de pédagogie, de répétition pour que chacun puisse avoir un récit global en tête.
TG : Quelles sont alors les priorités RSE que les marques doivent résoudre sur leur secteur ? Existe-t-il des points communs entre catégories ?
Pierre Gomy : Nous avons fait l’exercice d’analyser les ODD les plus récurrents sur l’ensemble des catégories. Chose assez étonnante en France, la préoccupation principale commune est la surconsommation et les déchets : dans 57% des 35 catégories analysées ce thème arrive en tête. Pour moi cela marque quand même qu’on a une population en France qui est prête à accepter l’idée de décroissance… ou a tout du moins, que les consommateurs attendent que les marques les incitent à moins consommer et à ne pas gâcher. Il y a des attentes fortes de la part des consommateurs qui demandent aux marques d’arrêter de les séduire, de leur donner envie, pour au contraire leur proposer de mieux consommer, leur proposer des produits réparables, de l’interopérabilité entre les produits.
Quand on regarde catégorie par catégorie, on note que les attentes sont parfois éloignées des chevaux de bataille sur lesquelles les marques communiquent. Par exemple, le secteur de la banque-finance est attendu avant tout sur la résolution des problématiques de pauvreté et faim, la fin des inégalités, et l’évasion fiscale ! Ces deux derniers thèmes sont aussi présents dans le secteur du luxe, avec la surconsommation…Je ne suis pas sûr que ce soit sur ces thèmes qu’elles communiquent…
TG : Quels sont les enseignements-clés de cette étude pour les marques ?
PG : Cette étude permet aux marques de mieux se positionner au regard des attentes spécifiques en matière de RSE sur leurs secteurs. C’est un peu la to-do liste pour chaque catégorie des thématiques sur lesquelles une marque doit être crédible et transparente avant d’aller résoudre d’autres thématiques. Je pense par exemple aux conditions de travail pour le secteur de la mode, ou à celui du respect des animaux en cosmétique. C’est ce que l’on appelle les facteurs « d’hygiène », c’est à dire que si elles ne montrent pas leurs efforts sur ces critères là, tout ce qu’elles feront /diront par ailleurs ne sera pas vraiment crédible. Elles risquent d’être taxées de manque de sincérité parce qu’elles n’ont pas résolu les problèmes que les consommateurs estiment essentiels pour cette catégorie en particulier.
Cet article a d’abord été publié sur The Good