23 septembre 2021

Temps de lecture : 3 min

Pierre-François Thaler, CEO d’EcoVadis : « La supply chain responsable, c’est 80 à 90% des enjeux RSE dans le monde »

Au cœur des préoccupations RSE, la mise en place d’une «Good» supply chain représente un des défis majeurs des entreprises face à l’urgence d’une transition de leurs modèles. Première plateforme mondiale de notation RSE de près de 120 000 entreprises pour le compte de plus de 600 grands donneurs d’ordres, EcoVadis couvre plus de 70% des entreprises du CAC40 et connaît le sujet comme personne. Rencontre avec Pierre-François Thaler, son cofondateur et CE0.
Pierre-François Thaler

The Good : Pourquoi la transition de la supply chain est-elle un défi aussi difficile à réaliser ? 

Pierre-François Thaler : Toute la complexité de la transition de la supply chain s’explique dans son extrême fragmentation. Les maillons de celle-ci se comptent parfois par milliers et l’impact des directions sur chacun d’entre eux reste à faire.

Par exemple, chez Schneider Electric, on compte des dizaines de milliers de fournisseurs différents à travers le monde. Lorsque l’on prend le sujet de la réduction des consommations d’énergies, c’est déjà sur le plan national un vrai défi à faire appliquer pour une centaine d’usines. A cela s’ajoute le fait que 80% des émissions sont liées à la chaîne d’approvisionnement des entreprises.

En bref, la supply chain responsable c’est 80 à 90% des enjeux RSE dans le monde. 80% sur le sujet carbone, mais jusqu’à 95% lorsqu’il s’agit du sujet des violations des droits de l’Homme. En effet, ces dernières arrivent rarement dans les usines des grandes multinationales mais surtout chez les sous-traitants. Avec un nombre moyen de 30 000 fournisseurs pour les entreprises du CAC 40, on peut dire que la fragmentation de l’impact est le problème majeur de cette chaîne.

The Good : Quels peuvent être les impacts concrets d’une chaîne d’approvisionnement mal gérée ?

P-F. T : Le premier impact pour l’entreprise est réputationnel : on l’a vu avec Apple, Gap ou encore Nike qui portent toujours les stigmates des problèmes de travail des enfants. Il vendent toujours autant de produits mais ce n’est pas oublié par l’inconscient collectif.

Le second est règlementaire : grâce à une législation qui s’étoffe un peu partout dans le monde, les entreprises sont désormais responsables de ce qui se passe dans leur chaîne de production. En Allemagne il y la Supply Chain Law, en France c’est le Devoir de Vigilance, et c’est d’ailleurs en train de devenir une réglementation européenne via une directive qui devrait être publiée d’ici à la fin de l’année pour une entrée en vigueur progressive dans différents pays.

Le troisième impact c’est le risque de perte de marché dans le B2B : on pense à Unilever, ou L’Oréal qui sondent désormais leurs fournisseurs au moment de leur sélection sur la gestion de leurs sous-traitants. Un contrôle plus assidu, qui oblige les fournisseurs à prouver une supply chain responsable.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous avons vu le jour en France il y a quatorze ans et pas aux Etats-Unis ou en Allemagne, notre contexte réglementaire, normatif et culturel y étant pour beaucoup.

 

The Good : Depuis votre lancement, observez-vous une évolution de l’engagement/performance des entreprises françaises  ?

P-F. T : Les entreprises françaises sur leurs pratiques RSE ou pratiques responsables sont plutôt en avance sur les autres. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si nous avons vu le jour en France il y a quatorze ans et pas aux Etats-Unis ou en Allemagne, notre contexte réglementaire, normatif et culturel y étant pour beaucoup. Notre baromètre annuel sur les performances des pays montre également que la France est quasi toujours sur le podium des 3 pays les plus performants sur le sujet.

Cependant, on note depuis 18 mois un effet de rattrapage des autres puissances mondiales notamment les Etats-Unis qui représentent 2/3 de notre croissance depuis 2020. Il y a une vraie prise de conscience de l’opportunité business énorme des GES. Sous la pression de l’urgence climatique et des entreprises américaines exportatrices, leurs entreprises investissent désormais beaucoup dans les programmes d’achats responsables et dans la réduction des émissions de gaz à effets de serre.

L’enjeu dans les 10 ans qui viennent dans la supply chain c’est de faire basculer des milliards d’achats vers des fournisseurs vertueux. Cela implique inévitablement un renouveau du capitalisme.

 

The Good : « Capitalisme responsable » : une notion durable ?

P-F. T : Oui ! Si l’on veut qu’il y ait innovation, recherche, transition, investissements et moyens financiers importants pour les accompagner il faut du capitalisme. Les modèles d’entreprises sociales et autres alternatives ont des modèles économiques encore trop marginaux. L’enjeu dans les 10 ans qui viennent dans la supply chain c’est de faire basculer des milliards d’achats vers des fournisseurs vertueux. Cela implique inévitablement un renouveau du capitalisme. Aussi, les associations comme Sedex en Angleterre ou la Responsible Business Alliance aux Etats-Unis qui tentent de pallier à un tout capitaliste jouent un rôle important d’évangélisation mais il faut aussi utiliser à mon sens des modèles à impact lourd.

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