INfluencia : Votre coup de cœur ?
Pierre Berville : Une illustre inconnue, Marie Nizet, que j’ai découverte par hasard. Pour moi comme pour beaucoup, les vrais grands poètes du vingtième siècle sont les auteurs interprètes de chansons Brassens, Ferré, Moustaki, Gainsbourg, voire Souchon, Cabrel etc. Chez les femmes c’est un peu la même chose. Les chants de Mylène Farmer me parlent plus que ceux de Maria de Heredia (la fille de José Maria, et la femme de Henri de Regnier).
Mais je n’ai jamais renoncé à m’instruire. C’est donc l’esprit ouvert que j’ai entrepris la lecture de l’anthologie « L’érotisme dans la poésie féminine » de Pierre Béarn déniché chez un bouquiniste à l’intention d’une amie. Les premières pages, parcourues avec une petite curiosité, n’étaient pas parties pour me faire changer d’avis. Je connaissais déjà les noms de Louise Labé, et d’Anna de Noailles mais bon, pour moi le coup de foudre n’était toujours pas au rendez-vous. Jusqu’à ce que je découvre quelques extraits des poèmes de Marie Nizet. Dont je suis tombé dingue.
Marie Nizet est la Camille Claudel de l’art poétique
On ne sait pas grand-chose d’elle. Elle a d’abord publié quelques ouvrages en vers ou en prose, parfois sous pseudo. On remarqua un peu un roman sur Dracula qui inspira, parait-il, Bram Stoker. S’ensuivit ensuite une longue éclipse littéraire et sociale que l’on n’explique pas. Jusqu’à, presque 40 ans plus tard, la sortie posthume du recueil « Pour Axel, de Missie », consacré au grand amour de sa vie, une sorte d’aventurier, imprimé à titre posthume à mille exemplaires. Ce livre est pour moi, et je pèse mes mots, un chef d’œuvre absolu.
Certaines vont profiter de l’occasion pour revendiquer que les femmes sont les grandes oubliées de l’histoire en général et de l’histoire littéraire et artistique en particulier. En l’occurrence, ce n’est pas faux. Marie Nizet est la Camille Claudel de l’art poétique. En termes de reconnaissance, elle méritait cent fois mille fois mieux. Il n’est pas trop tard pour réparer ce fâcheux oubli. Via son formidable portail Gallica, la BNF a eu la géniale idée de mettre gratuitement « Pour Axel » à la disposition de tous. Voici le lien. Téléchargez-le et dévorez-le. Il est possible que vous me disiez merci.
Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler…
IN : Et votre coup de colère ?
P. B. : L’affaire » Depardieu. Entre ceux qui croient savoir, ceux qui ne savent rien et ceux qui aimeraient bien savoir, ceux qui écrivent des tribunes pour, ceux qui font des tribunes contre, ceux qui ont un avis, ceux qui donnent leur avis sur l’avis des autres, ceux qui se contredisent, ceux qui envoient leurs avocats, ceux qui excusent tout, ceux qui ne pardonnent rien, etc. Tous font résonner les immortelles paroles de Pierre Dac : « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler sont les deux principes majeurs et rigoureux de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir … »
IN. : la personne ou l’événement le plus marquant dans votre vie
P.B. : Grandir dans une bibliothèque… Je me suis toujours interrogé sur ma vocation tardive d’écrivain. Et je me suis rendu compte que j’ai toujours vécu entouré par l’écrit. Il y a une sorte d’histoire familiale. Mon père était assez érudit, ma mère institutrice. Mon grand-père maternel qui était concierge au lycée d’Oran mais analphabète, a appris à lire et écrire à 40 ans. Mon beau-père était bibliophile et possédait des dizaines de milliers de livres dans tous les genres. Comme nous vivions dans un hlm, la place manquait et, à la naissance de ma petite sœur, on m’avait fait un lit dans un sofa dans le salon encombré de tous ces ouvrages que je dévorais. J’avais le monde entier à portée de la main. Ces trésors m’ont mené vers l’écriture. Conception rédaction, trouver un bon titre, un bon script, une bonne idée de présentation, puis écrire des chansons et enfin des livres : c’est cela qui a compté le plus pour moi. Même mes histoires d’amour ne trouvaient leur réalité que quand je pouvais les écrire ne serait-ce que dans ma tête.
IN. : Si c’était à refaire ?
P.B. : Je commencerais par la fin. J’aurais tout de suite des sous, un métier d’auteur, des enfants magnifiques. Après cela, peu importe de finir fauché. J’ai eu le parcours inverse et je ne m’en plains pas…
IN. : Votre plus grande réussite
P.B. : quand j’ai terminé mon premier bouquin. C’est la question qu’on se pose quand on écrit son premier livre : suis-je capable de le terminer ? Ça semble inatteignable. Ensuite, porté par ce miracle, finir les suivants parait un tout petit peu moins dur.
Je n’ai jamais réussi à mincir
IN. : Et votre plus grand échec :
P.B. : N’avoir jamais pu mincir. Je suis trop hédoniste, et trop gourmand. J’ai arrêté de fumer très facilement grâce à une technique, où quand j’avais envie de fumer une cigarette, je disais : « c’est qui le patron, ici ? ». En ce qui concerne la nourriture, je n’ai jamais réussi à faire en sorte que ma volonté prenne le dessus. Faut-il le regretter ? Je n’en sais rien.
IN. : Que vous reste-t-il à apprendre ? :
P.B. : À mourir sans m’en faire
« Moi qui ai eu une vie sociale très riche, ne suis pas timide et ai eu de nombreux enfants, je chéris la solitude »
IN. : Quand et où êtes-vous le plus heureux ? :
P.B. : Finalement, moi qui ai quand même eu une vie sociale très riche, qui ne suis pas particulièrement timide, qui ai eu de nombreux enfants, je chéris la solitude. Et même cette sensation d’ennui, de vacuité. Et je suis heureux quand je rêvasse seul. C’est ce qui se rapproche le plus pour moi du bonheur. Ce sont les moments où la frontière entre la conscience et l’inconscient se fait ténue. Où n’importe quoi me saute à l’esprit. Où se tissent les mots de ce que j’écrirai, ou pas, car l’écriture est une activité joyeusement solitaire.
IN. : quel personnage emmèneriez-vous sur une île déserte ?
P.B. : Spontanément j’emmènerais Jack London, d’abord parce qu’il a plein d’histoires à raconter et je ne m’ennuierais pas. Ensuite parce que j’ai de l’admiration pour lui, donc il pourrait devenir un ami. Et aussi parce que c’est un type qui est capable de construire une cabane, un piège à ours, puisqu’il a fait ça toute sa vie.
* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur « d’ À la recherche du temps perdu »
En résumé
L’actualité de Pierre Berville
Après son livre de souvenirs « J’enlève le haut : les dessous de la pub à l’âge d’or » (éditions Aquilon) et son premier roman « la ville des ânes », paru en octobre 2021, Pierre Berville termine son prochain livre, un roman noir dont l’histoire se passe à Levallois et le personnage principal est un garagiste. Rendez-vous dans quelques mois…