Je doute donc je suis. Chaque jour, nous sommes envahis de questions existentielles ou futiles… Dois-je choisir cet hôtel ? Dois-je postuler dans cette entreprise ? Faut-il que je change de TV maintenant ? Il est bien, ce dentiste ? Stranger Things, ça donne quoi ? Comment attraper Mewtwo ? Par Arthur Kannas
Aujourd’hui, on est tous habitués à poser directement la question sur Google, son moteur de suggestions affichant parfois même directement la réponse dans un menu déroulant. Mais souvent, on trouve des réponses à des questions que l’on ne se pose même pas : tout le monde parle de Stranger Things, c’est quoi ? Wow ! cette plage a l’air magnifique derrière ces pieds en éventail, je me la note !
Si l’on cherche l’avis d’un pair, on connaît tous également l’expérience de poser une question, ou de suivre des conversations sur le flux de commentaires d’un post Facebook, une vidéo YouTube, ou derrière un hashtag Twitter. Si l’on met de côté Quora, ou les sites d’avis spécialisés, l’espace conversationnel public est aujourd’hui davantage structuré en étant adossé à de la production de contenus. Ces derniers et les conversations attachées éveillent notre curiosité, nourrissent notre opinion, forgent nos décisions. Cette emprise possible sur notre comportement c’est l’influence, telle que les marques la recherchent depuis des années. L’influence agit sur la réputation d’un produit, d’un service ou d’une marque parce que le contenu émane de tiers, des pairs considérés davantage crédibles que la marque elle-même.
Retour sur l’évolution de l’influence : Google, le détonateur
Tout commence vraiment, il y a 15 ans dans un web hyperportalisé (Yahoo, Aol, MSN), où la Longue Traîne s’est soudain distinguée, favorisée par la montée en puissance de Google, ce moteur de recherche affamé de contenus frais, fréquents et crédibles. L’ère de l’influence peut commencer. Derrière la somme d’une infinité de petites audiences se cache en effet la puissance d’un web libre, critique et populaire. A travers les forums, les sites personnels, puis les blogs, les conversations naissent, s’enflamment et s’assèchent sur ces espaces propices aux avis et à la discussion, espaces qui remontent naturellement dans les résultats du moteur.
Attentives, les marques y détectent des leaders d’opinions. Dans un web déjà conversationnel, les passionnés et les experts prennent rapidement le pouvoir. À l’époque, Xbox par exemple l’a bien compris. Partant d’une poignée de fans, capables de produire spontanément et quotidiennement du contenu de qualité, la marque de jeu vidéo de Microsoft a construit peu à peu en France un réseau d’une centaine de webmasters de sites amateurs, qui vont finir par cumuler hors des radars des instituts de mesure d’audience, plusieurs millions de visiteurs uniques chaque mois. De quoi préparer confortablement une décennie de conversations souvent positives, parfois critiques, sincères toujours, autour d’une marque naissante et à ce moment de son histoire terriblement challenger face à ses concurrentes.
La détection de tels “influenceurs”, capables de changer le cours d’une conversation, de fédérer des énergies et d’affecter in fine le comportement de millions de personnes indécises devient rapidement un art, dans tous les secteurs. Technologie, voyage, beauté, gastronomie ou politique, aucune thématique n’échappe à la scrutation méthodique des agences et de leurs outils.
La bascule transactionnelle
Les marques vont se ruer sur l’influence comme on se rue sur un Graal marketing. D’autres vont s’y ruer comme sur de l’or : en effet, avec les outils de blogging, les efforts pour produire du contenu diminuent et une nouvelle génération d’éditorialistes apparaît, autant pour s’exprimer que pour profiter de l’aubaine relationnelle avec les marques. Très vite, les relations “tarifées” vont apparaître. Impatientes, les marques veulent être sûres d’obtenir des retombées, au risque parfois d’écorner la crédibilité éditoriale de l’influenceur, qui se prête néanmoins généreusement au jeu. D’abord en nature, via des prêts de produits très longue durée, puis de manière plus ouverte, par des transactions.
Certains influenceurs deviennent “professionnels” : ils vivent de leur capacité à influencer leur audience. Les régies d’Influenceurs et autres “talents managers” se développent, et les marques accèdent plus facilement aux audiences des influenceurs… et aux métrix qui vont avec. Seulement voilà, quand on parle régie, on parle audience. Volume. Reach. Conversion. En quelques années les opérations “bloggeurs” s’essoufflent car l’impact et le volume ne sont pas au rendez-vous, dès que l’on se met à les comparer à ceux des investissements publicitaires. Surtout que depuis quelque temps, il est désormais possible de toucher directement les internautes de manière ciblée, sans passer par la case Influenceurs.
Facebook: le court-circuit
La Longue Traîne a pris un coup. Les blogs aussi. La faute à la reportalisation effrénée du web autour de nouveaux carrefours sociaux qui changent la donne : avec Facebook, on peut désormais toucher chaque internaute directement, avec un message publicitaire massif et ciblé (*). Les marques et leurs fans se parlent enfin en direct. Pourquoi alors vouloir maintenir des relations indirectes via des influenceurs? De l’autre côté, YouTube est une usine à (vidéo) stars. Les conversations deviennent rapidement des monologues de Youtubeurs, que des hordes de jeunes fans dégustent comme du petit lait. Heureusement que le live n’est pas loin. Les interactions et les conversations vont pouvoir reprendre.
YouTube, Instagram, Snapchat : le retour du comeback de l’influence ?
A-t-on encore besoin d’être un expert pour être écouté ? Avec l’avènement des nouveaux réseaux “égocentriques” comme YouTube, Snapchat ou Instagram, c’est le “moi” qui domine. Ces réseaux, passés maîtres dans l’art de fabriquer des comètes de célébrité pour démontrer que chez eux “tout est possible”, tolèrent que les marques discutent de promotion de produits et services avec leurs idoles. L’influence ressemble désormais, de plus en plus, à de l’endorsement, où les marques rémunèrent des talents à fort bassin d’audience pour (re)présenter leurs produits plus ou moins librement et plus ou moins officiellement.
Ce système a une vertu (discutable) principale : tenter de faire oublier qu’il s’agit de publicité. Le format est “natif” c’est à dire qu’il prend la forme d’un contenu classique, et qu’il se glisse avec naturel dans le flux des contenus consommés. De plus, il échappe ainsi aux fourches caudines des adblockers au succès croissant. On travaille donc encore avec une toute nouvelle génération d’Influenceurs, plus visuels, plus “live” et plus pragmatiques quant à leur relation avec les marques. Leur passion n’est plus le territoire sur lequel ils s’expriment, mais leur relation avec leurs fans. Merci public !
En 15 ans, l’influence a muté. Elle prend davantage de formes et recouvre davantage de techniques. Faire de l’influence aujourd’hui, c’est mixer des enjeux PR, des enjeux marketing et des enjeux média. C’est comprendre comment naissent les influenceurs sur le web en général, et sur les plateformes en particulier. C’est comprendre les différents leviers de l’efficacité des contenus. On n’a pas fini de converser.
(*) aujourd’hui la promesse de ciblage fin de Facebook semble non tenue. Facebook va redevenir un ‘média de masse