La personnalisation sauvera-t-elle le monde et par la même occasion la consommation ? On aurait tendance à le croire, en respectant toutefois certaines conditions.
Commençons par rappeler quelques faits, largement repris par la presse spécialisée ces derniers temps. L’utilisation des Adblockers qui a grimpé de 40% en un an, et qui atteint 1/3 des utilisateurs dans certains marchés. A tel point que le Président de l’IAB, Scott Cunningham, s’est fendu d’un mea culpa sous la forme de « Tous les efforts se sont concentrés sur l’optimisation du revenu chez les éditeurs et les outils d’hyper-targetting permettant de préserver les CPM (…). Notre volonté de gratter quelques centimes nous a sans doute coûté plusieurs dollars en matière de fidélité du consommateur ». De fait, la méfiance s’est installée lorsque nous naviguons sur internet, nous sentant de plus en plus assaillis par les marques. On reparle du mythe de l’internet gratuit avec nostalgie.
La personnalisation, l’homme qui tombe à pic ?
La confiance a disparu, alors même qu’on n’a jamais autant parlé du pouvoir donné aux consommateurs. Les préceptes de Seth Godin et son fameux » Permission marketing » ont fondu comme neige sous les feux de la surchauffe marketing orchestré par les acteurs du » Retargetting » et autres techniques visant à nous rappeler nos dernières visites, nos derniers paniers. Certes, ces pratiques ont prouvé leur efficacité redoutable. Mais n’est-ce pas au prix de l’aliénation du consommateur ? Nous, professionnels du marketing, n’aurions-nous pas intérêt à écouter nos conjoint(e)s, amis, parents, quand ils supplient – « mais laissez-moi tranquille ! » ? Car il en va, finalement, de rétablir une vraie relation avec les gens, basée sur la proximité.
En quoi la personnalisation permet-elle de rétablir cette proximité ? Nous avons tous entendu parler des bienfaits du bon discours, à la bonne personne, au bon moment. Dans un monde dominé par « l’infoglut » dont parlait déjà Seth Godin il y a 18 ans, adapter le message doit permettre de le rendre audible. C’est un premier pas, fructueux certes, mais qui ne prend pas toute la mesure du consommateur. Regagner sa confiance et son coeur signifie redéfinir les bases d’un échange intime avec lui. Les systèmes de notifications et d’alertes sur mobile illustrent ce mouvement vers la personnalisation, qui marche particulièrement bien dans le cas de l’information. A titre d’exemple, l’application de la Matinale du Monde. Autre réussite éclatante, l’application L’Oréal MakeUp Genius, permettant aux clientes de personnaliser leur expérience cosmétique en transformant leur iPad en salon d’essayage privé. Au total, 14 millions de téléchargements depuis 2014 et 250 millions de tests effectués à travers le monde. Mais au moment où ces » benchmarks » deviendront des standards de leur secteur, il faudra réinventer la suite. Pas pour jouer la surenchère, mais pour rester pertinents.
Personnaliser n’est pas jouer
Reste que le parcours vers la personnalisation demande patience et organisation. Il faut commencer par ce qu’il est possible de comprendre, analyser, faire, et dimensionner la technologie en fonction – pas l’inverse. Sinon, gare aux désillusions. Pour quelques réussites emblématiques, combien de segmentations clients au placard, combien de licences logicielles non activées, combien de données clients inexploitables ?
Un projet de personnalisation réussi doit s’étendre dans trois dimensions. La première, une recherche de la connaissance intime du client. Plutôt que de tester de multiples régressions dans la sphère des « 3rd party data », se concentrer dans un premier temps sur les données directement liées au parcours d’achat du client, si possible en mêlant démographiques et comportemental (on-line et off-line). L’exploitation fine des données de géolocalisation et de parcours on-line formera la combinaison gagnante des acteurs du e-commerce ces prochaines années. Deuxième dimension, la construction d’un véritable projet d’entreprise, se déployant à moyen-terme, autour d’une équipe personnalisation dédiée. Il faut exprimer une vision claire des résultats attendus de la personnalisation à moyen terme (par exemple, à 3 ans).
La construction de la courbe d’expérience et l’analyse des premiers résultats sont des impératifs, ce qui implique la mise en place d’un centre d’excellence. Enfin, troisième dimension, l’innovation. Une stratégie de personnalisation réussie passe par l’intégration des nouvelles formes de service, d’outils permettant un dialogue plus proche avec les audiences. 2016 verra l’arrivée massive des applications proposant un « dialogue » direct avec l’utilisateur au lieu des interfaces classiques. Ce dialogue peut avoir lieu avec des personnes réelles ou sous forme de routines intégrant une logique de machine learning. A titre d’exemple, les applications telles que Lark, Luka, Operator… Autre tendance en vogue, le social CRM, permettant d’utiliser les interactions sociales (notamment sur Facebook) afin de personnaliser les messages et offres aux visiteurs. Les acteurs ayant investi dans ces champs ces derniers mois, et ayant su patiemment construire leur religion sur le sujet, verront leur avantage concurrentiel grandir dans les prochaines années.