Lorsqu’ils ont créé leur PME en 2008, Christian Caillé et Mireille Breheret ont tout de suite pensé à passer le flambeau à leurs salariés. Leur promesse sera tenue en 2020.
Préparer sa sortie au moment même de son entrée. Passer le flambeau à ses salariés au lieu d’empocher une jolie plus-value en préparant une revente. Utopique ? Loin de là… En France tous les ans, plus de 185.000 entreprises sont susceptibles d’être cédées, ce qui permettrait de sauvegarder 750.000 emplois. Mais seulement 60.000 d’entre elles sont effectivement mises en vente chaque année et à peine la moitié d’entre elles finissent par trouver un repreneur, si l’on en croît les statistiques de Bercy. Une des raisons principales qui explique ces chiffres pour le moins alarmants est que la cession des sociétés est fréquemment mal préparée par les dirigeants en place. La transmission est souvent un sujet tabou tout particulièrement chez les entrepreneurs qui n’imaginent pas perdre leur « bébé » malgré leur âge avancé. Christian Caillé et Mireille Breheret ont, eux, choisi une stratégie totalement inverse.
Faire ses preuves
Lorsqu’ils ont fondé en juin 2008 à Couëron en Loire-Atlantique leur entreprise spécialisée dans l’usinage et la coupe des métaux par tournage fraisage ainsi que la chaudronnerie et la soudure, les deux associés se sont fixés pour objectif de permettre à leurs salariés d’autofinancer le rachat de leur société. « Notre première priorité a été de développer notre activité pour être crédible dans le paysage industriel nantais qui est un secteur très conservateur », assure Christian Caillé. Pour se démarquer de la concurrence, Delta Meca s’est positionné sur la fabrication de pièces urgentes, techniques et unitaires . Un pari gagnant. La PME compte aujourd’hui plus de 200 clients et emploie 46 personnes dont 7 apprentis et elle a réalisé l’année dernière un chiffre d’affaires de plus de 5 millions d’euros.
Vive la SCOP
En mai 2015, les deux entrepreneurs décident de franchir une nouvelle étape en lançant la toute première SCOP d’amorçage en France. Les principes fondamentaux du statut d’une Société Coopérative et Participative sont assez simples : les salariés doivent être majoritaires au capital, chaque actionnaire a une voix et ce quelque soit le pourcentage du capital qu’il détient. Les bénéfices doivent, quant à eux, être répartis en quatre : une part d’une valeur minimale de 15% doit être conservée pour la réserve légale, une tranche d’une valeur moyenne de 45% doit être bloquée pour les fonds de développement, au moins 25% des profits sont redistribués sous forme de salaires et la portion la plus faible est versée sous forme de dividendes. Avant de passer en SCOP d’amorçage, Delta Meca a reçu une validation collective lors d’une Assemblée Générale Ordinaire. 33 des 35 collaborateurs que comptait l’entreprise à l’époque ont adhéré à ce projet qui leur permettait d’utiliser leurs dividendes pour autofinancer la compagnie. Le montant de la vente a été négocié en amont. « Il a été fixé à 20.000 euros par salarié mais cette somme peut être payée en sept ans », précise Christian Caillé.
Des successeurs désignés depuis quatre ans
Les deux fondateurs de la PME nantaise ont parallèlement choisi leurs successeurs. Damien Vostry et Arnaud Chevalier prendront officiellement les rênes de l’entreprise en 2020. « En choisissant ces jeunes il y a quatre ans déjà, nous leur avons donné le temps de se préparer à leurs futures fonctions tant en interne qu’en externe, ajoute Christian Caillé. Ils ont suivi plusieurs formations en management dans des CCI et dans des associations patronales. Ils ont aussi préparé le plan de financement et gérer la construction de notre nouveau bâtiment de 1000 m² » . Cette transmission, le patron de 59 ans la voit arriver avec une certaine excitation et sans aucune amertume ni regret.
« Cela m’émeut beaucoup de passer le flambeau à des jeunes, avoue t-il. Cela me fait du bien. Et ne pensez pas que je vais mettre mon nez dans les affaires de la société après 2020. Pour s’épanouir, les dirigeants doivent avoir les coudées franches. Notre exemple montre que la SCOP est un modèle qui marche. Le patronat et les syndicats le critiquent car en donnant le pouvoir aux salariés, ces instances perdent leur influence. C’est pourquoi je suis furieux de constater qu’il n’y a pas plus de 2500 SCOP en France. Pourquoi vouloir réinventer un système qui fonctionne déjà ? »