La crise sanitaire et ses dommages collatéraux auprès des talents indépendants les alerte. Qu’ils soient graphistes, rédacteurs, directeurs artistiques, motion designers, community managers, stylistes, vidéastes ou développeurs, la précarité de leur statut se révèle au grand jour. L’implosion du monde publicitaire en cours les incite à réfléchir à un nouveau système : ils inventent justement., une maison créative basée sur deux principes : lutter contre une forme d’isolement des talents et partager les bénéfices. Pour la première fois les talents indépendants vont pouvoir bénéficier d’un modèle redistributif, (30% des bénéfices seront redistribués.) Ces free lance, dont Pascal Grégoire rappelle qu’il sont plus d’un million de personnes, indispensables au monde de la communication d’aujourd’hui, ont désormais leur point de ralliement : la maison créative justement. Sa spécificité est de faire appel à des talents de tous univers artistiques pour répondre à des briefs de communication de marques dans une démarche humaine et sociale, qui rémunère la créativité et les idées à leur juste valeur.
PHOTOGRAPHIES DE FIFOU (Pascal Grégoire) Et DE RAPHAËL DELORME (Nathalie Cortial)
Par ici l’interview des instigateurs de justement. Pascal Grégoire et Nathalie Cortial.
INfluencia : tous deux sortis du circuit agence classique, vous vous êtes immédiatement trouvés sur la même longueur d’ondes. Avant de penser busines, vous évoquez créativité, artistique…
Nathalie Cortial : J’ai toujours aimé l’image et le concept et quand j’ai eu la chance de devenir entrepreneure, j’ai saisi l’opportunité de lancer le studio Zorse : un ancien atelier d’artiste de 300 m2 situé à Malakoff que j’ai transformé pour en faire un lieu de productions. C’est également un espace évènementiel pour des conférences et ateliers, nous y organisons aussi des expositions autour de thématiques sociétales (la dernière traitait du nouveau rapport des genres). J’avais aussi à cœur de m’engager dans l’écosystème de la photographie c’est pourquoi j’ai rejoint l’association Les Filles de la Photo, (créée par Florence Moll, Chantal Nedjib et Marion Hislen), dont je suis depuis un peu plus d’un an secrétaire générale, et dont le propos à travers des actions très diverses est de promouvoir et défendre la photographie et ses métiers.
C’est vrai qu’avec Pascal nous avons été très touchés par de nombreux témoignages de talents en grande difficulté, et tous deux nous avions en commun l’envie d’aider, d’entreprendre avec ceux qui à nos yeux ont une grande valeur ajoutée dans le processus créatif. Les talents qui ont choisi l’indépendance pour gagner en liberté sont trop souvent invisibilisés et précarisés et rarement payés à leur juste valeur. Le systéme uberise chaque jour un peu plus les ressources créatives indépendantes : il est urgent d’inverser la tendance.
IN. : vous, Pascal on a bien failli vous perdre… La pub c’était fini !
Pascal Grégoire : oui c’est vrai que je me suis lancé dans l’édition, par l’écriture tout d’abord, puis en participant à la création de Novice, maison d’édition. Lorsque j’ai choisi une nouvelle vie la Covid n’était pas au programme. Ma vie s’est arrêtée net et j’avoue que si l’écriture est aujourd’hui ma priorité j’ai eu du mal à rester inactif face à ce désastre que nous vivons. J’avais envie d’aider, j’ai créé SAGA sounds, un studio de production de podcast avec deux jeunes associés, j’ai continué à investir dans Maison Fragile que je soutiens depuis sa création… mais c’est vrai que le métier me manquait, sans pour autant vouloir revenir à ma vie d’avant. L’idée de ce nouveau modèle social, l’idée de défendre les talents, et de faire ce que je sais très bien faire m’ont fait basculer. C’est le moment de participer à l’effort collectif, de mettre en lumière les grands oubliés de la crise, qui font fonctionner cette filière créative si utile à l’économie. Mon moteur a été celui-là. Nathalie et moi partageons beaucoup de points communs : l’esprit d’entreprise, la créativité et la volonté de faire bouger les choses. La solidarité et le social doivent être au cœur de préoccupations des entreprises.
IN. : les initiatives nouvelles ne manquent pas, des plateformes de mise en relation entre agences ou annonceurs et freelances… Que proposez-vous de vraiment nouveau avec justement.? Et quelle est la genèse de ce nom ?
P.G. : nous apportons une réponse nouvelle qui se résume par une phrase simple : le bonheur des uns fait le bonheur des autres. En se sentant sécurisés et valorisés les talents peuvent exprimer pleinement leur créativité. En fonction du projet nous créons une équipe sur mesure que nous animons et orientons pour garantir le résultat final. Aujourd’hui les annonceurs ont le choix entre des agences qui ont de grosses structures à faire fonctionner ou des plateformes où elles vont piocher des talents qui n’ont jamais travaillé ensemble, qu’il faut coordonner, orienter. Nous sommes une solution nouvelle plus agile et plus efficace.
N. C. : On s’est vraiment rencontré là-dessus. Nous pensons que reconnaitre les talents et les aider à mieux gérer leur quotidien c’est le début d’un cercle vertueux. Quand on est talent indépendant, on vit dans une certaine forme d’isolement. Concrètement, nous allons les aider à mieux gérer leur quotidien et à développer leur réseau lors d’évènements que nous allons organiser dès que cela sera à nouveau possible. Ces rendez-vous que nous avons appelé « les cafés des justes » proposeront des rencontres, la mise en avant de certains talents à travers des expositions par exemple, mais aussi des formations pour favoriser l’acquisition de nouvelles connaissances.
Évidemment, le réseau aura son espace d’échange online afin de pouvoir discuter de points de vue, de projets et notre compte Instagram sera une vitrine pour leurs réalisations, travaux, projets. Nous avons des tonnes d’idées pour eux mais il faut d’abord commencer par le commencement!..
P.G. : le second point concerne la rémunération de ces talents. Le plus souvent ils doivent courir après les règlements qui n’ont pas lieu avant 60 ou 90 jours, même de la part de grosses structures. Cela peut paraitre basique mais l’une de nos ambitions est de payer les talents qui nous font confiance 30 jours maximum après la livraison de leurs travaux. Et, c’est là que notre nom prend tout son sens, nous proposons pour la première fois un modèle redistributif puisque 30% de notre bénéfice sera redistribué en fin d’exercice.
IN : vous pensez que le modèle « agent » ne fonctionne pas ?
P.G. : nous n’avons pas du tout le même rôle que des agents, et nous ne sommes pas une structure de mise en relation. Notre rôle est de créer une équipe ad-hoc et sur mesure en fonction du projet, du brief client. Nous l’animons, nous l’orientons et garantissons le projet de la conception à sa réalisation. Les talents n’ont pas d’exclusivité avec nous, ils sont libres d’entrer ou de sortir du réseau, et de créer des collaborations avec d’autres talents du réseau sans nous si nous n’avons pas de valeur ajoutée à leur apporter. Ce rapport est possible car nous connaissons tous nos talents. Nous voulons une relation avec eux basée sur la confiance mutuelle.
IN. : quels sont les retours des annonceurs, et le profil de ceux que vous pourriez intéresser ?
P.G. et N.C. : nous vivons une révolution des modes de travail. Il y aura des entreprises qui sauteront à pieds joints dans l’aventure avec nous car cela correspond à leur engagement. Tout comme les consommateurs, les entreprises ont aujourd’hui envie et besoin de transparence et d’innovation sociale, de travailler avec des gens engagés, qui placent l’humain ou l’éthique au cœur de leur modèle.
Parcours de Pascal Grégoire
Pascal Grégoire commence son parcours comme professeur d’économie. En 1988 il rentre comme créatif chez Clm/BBDO. A 27 ans, puis devient directeur de création de l’agence Bélier… Après plusieurs postes de directeurs de création il fonde en 1997 la filiale à Paris de l’agence anglaise mythique Leagas Delaney . Il devient en 2003 Président de CLM BBDO avant de fonder trois ans plus tard l’agence indépendante la chose. En 2020 ll fait le choix de quitter le monde de la publicité pour se consacrer entièrement à l’écriture et au monde de l’édition. Dans son livre « Goldman Sucks », (éd. Cherche Midi, 2018), il signe un premier roman sur les coulisses de la finance internationale, autour d’une famille, au cœur de la crise de 2008. En 2020 il signe un nouveau roman « Monsieur le maire » toujours aux éditions du Cherche-Midi. Finaliste du prix littéraire d’Europe 1, ce roman est une critique du monde politique à la française, et retrace l’histoire si ordinaire et pourtant essentielle de ces citoyennes et citoyens qui vouent leur vie à leur commune.
Parcours de Nathalie Cortial
Nathalie Cortial commence sa carrière commerciale chez JWT et rejoint rapidement les équipes de l’agence .V.. Elle accompagne ses clients et ses équipes lors de la fusion avec DDB-Paris avant d’être recrutée comme directrice associée chez Marcel . Les partenariats montés avec des startups pour ses clients, l’esprit entrepreneurial de Marcel lui donnent envie de se lancer à son tour. Début 2019, elle lance le studio Zorse, studio qu’elle fonde à Malakoff pour accueillir des productions, des évènements et des expositions autour de thématiques sociétales. Parallèlement, elle rejoint l’association Les Filles de la Photo, 1er réseau professionnel féminin de l’écosystème de la photographie dont elle est aujourd’hui secrétaire générale. L’association promeut et défend la photographie et ses métiers à travers des actions concrètes auprès des photographes, des opérations d’influence et des évènements tels que des conférences et des tables rondes.
*éd. Cherche Midi, 2018, 2020
**illustration de Une : Mathieu Persan
***PORTRAITS
Nathalie Cortial, Raphaël Delorme
Pasal Grégoire, Fifou