21 février 2023

Temps de lecture : 5 min

Pascal Gauthier (Ledger) : « Le statut de licorne représente un tampon de respectabilité en France. Ce sont des lettres de noblesse. »

En levant 380 millions d’euros, Ledger est devenu en juin 2021 la 15ème licorne française. Avec une valorisation estimée à plus de 1,5 milliard de dollars, la start-up qui propose des solutions de stockage des actifs numériques revendique sécuriser environ 15 % de toutes les cryptomonnaies dans le monde. Son président & CEO, Pascal Gauthier ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. La débâcle de la plateforme américaine d’échange et d’achat de crypto-actifs FTX ne semble pas l’inquiéter plus que cela. Et pour cause...  
Influencia : comment est né Ledger ?

Pascal Gauthier : à l’origine, il y avait trois sociétés, La Maison du Bitcoin, ChronoCoin et BTChip. Les dirigeants de ces trois start-ups se sont rencontrés lors d’une conférence sur le bitcoin et ils ont tous réalisé qu’ils travaillaient chacun de leur côté sur des solutions de wallet physique afin de conserver les clés privées des propriétaires de cryptomonnaies. La principale caractéristique de ces portefeuilles est d’isoler totalement ces clés des ordinateurs et des smartphones qui peuvent être facilement piratés. Une des trois sociétés envoyait par la poste à ses clients des clés USB contenant leurs clés privées. Eric Larchevêque qui avait fondé La Maison du Bitcoin a persuadé les dirigeants de ChronoCoin et BTChip de s’associer avec lui et ils ont tous les trois créés en 2014 Ledger.

IN : quand avez-vous choisi de vous lancer dans leur aventure ?

P.G. : dès 2014. Ledger avait besoin d’argent et je suis devenu le premier investisseur à leur confier des fonds. En contrepartie de mon arrivée, j’ai demandé à siéger au conseil d’administration de la société et je suis devenu CEO en 2019 avant devenir président & CEO un an plus tard.

Jusqu’à 2017, nous nous demandions si notre modèle était un véritable business car nous vendions très peu de wallets mais du jour au lendemain, nous avons commencé à en écouler des millions.

IN : Ledger a rencontré un succès immédiat ?

P.G. : loin de là. La société n’a pas marché tout de suite. 2015 et 2016 ont été des années très dures. L’affaire Mt. Gox (Mark Karpelès, le PDG français de ce qui était à l’époque la principale bourse d’échange de monnaie virtuelle, avait été arrêté en août 2015 au Japon suite à une enquête sur le détournement de plusieurs millions de dollars n.d.l.r.) a provoqué un véritable hiver nucléaire sur le marché des cryptomonnaies.

IN : quand les beaux jours sont-ils revenus ?

P.G. : en 2017. Jusqu’à cette date, nous nous demandions si notre modèle était un véritable business car nous vendions très peu de wallet mais du jour au lendemain, nous avons commencé à en écouler des millions. L’explosion a été très forte fin 2017 mais tout est retombé l’année suivante. Nous sommes passés de millions à des milliers de vente très rapidement. Nous avons alors traversé notre première crise car ces coups d’accordéon sont très difficiles à gérer. Quand on grandit très vite, on fait forcément des erreurs.

IN : comment vous en êtes-vous sorti ?

P.G. : nous sommes toujours parvenus à lever des fonds au bon moment. Nous avons profité du boom de 2017 pour lever des liquidités qui nous ont permis de bien passer les années de disette en 2018 et 2019. Les 417 millions levés en 2021 nous ont aidé à supporter l’écroulement du marché l’an dernier. Nous avons, par ailleurs, toujours très bien géré notre cash. Nous anticipons les mouvements des marchés. Nous avions, par exemple, prévu l’écroulement du secteur en 2018.

Le cataclysme FTX a poussé beaucoup de consommateurs à chercher des solutions pour sécuriser leurs clés privées.

IN : l’effondrement de FTX ne vous a pas trop affecté ?

P.G. : si mais plutôt dans le bon sens… 2022 a été la première année durant laquelle Ledger s’est désolidarisé de son marché. Nos résultats l’an dernier sont aussi bons que ceux de 2021 qui avait été une année record pour nous. Le cataclysme FTX a poussé beaucoup de consommateurs à chercher des solutions pour sécuriser leurs clés privées. Cette crise nous a servi car elle a fini de valider notre modèle qui était jusqu’alors sans cesse challengé par le marché.

Nous avons ainsi vendu plus de 6 millions de wallets depuis notre création et Trezor, qui est clairement numéro 2, vient tout juste de livrer son millionième portefeuille

IN : avez-vous des concurrents ?

P.G. : bien sûr. Beaucoup de concurrents se lancent actuellement sur notre marché mais nous sommes encore un acteur dominant. Nous avons ainsi vendu plus de 6 millions de wallets depuis notre création et Trezor, qui est clairement numéro 2, vient tout juste de livrer son millionième portefeuille. Jusqu’à maintenant, nos principaux rivaux étaient surtout des wallets applicatifs que l’on peut télécharger sur son smartphone mais ces opérateurs ont récemment admis que leurs solutions n’étaient pas suffisantes pour sécuriser les clés privées et ils s’associent aujourd’hui avec nous pour proposer à leurs clients notre wallet physique. De concurrents, ils sont devenus partenaires et distributeurs de Ledger.

Si les Etats-Unis qui génèrent 35% de nos revenus est notre premier marché, l’Europe dans son ensemble représente un chiffre d’affaires plus important encore.

IN : quelle est la taille de votre société aujourd’hui ?

P.G. : nous employons 800 salariés et même si nous prônons la décentralisation, notre organisation est très centralisée pour des raisons de sécurité. Plus de 500 collaborateurs sont ainsi basés à Paris et une centaine se trouver à Vierzon où nous produisons et envoyons une partie de nos wallets. Nous avons aussi des équipes en Ukraine, à Londres, à New York, à Singapour et en Suisse. 97% de notre business est international. Si les Etats-Unis qui génèrent 35% de nos revenus est notre premier marché, l’Europe dans son ensemble représente un chiffre d’affaires plus important encore.

Les Français, comme la majorité des européens, sont assez conservateurs et ils ont des réactions un peu frileuses quand on leur parle de sujets comme les cryptomonnaies.

IN : être français est-il un avantage ou un inconvénient ?

P.G. : c’est une bonne question. A vrai dire, je pense qu’être français ne change rien. Nous avons levé beaucoup d’argent et les spécialistes du capital-risque (VC) en France n’ont jamais voulu travailler avec nous. Les Français, comme la majorité des européens, sont assez conservateurs et ils ont des réactions un peu frileuses quand on leur parle de sujets comme les cryptomonnaies. C’est pour cela que nous nous sommes vites tournés vers les Etats-Unis et l’Asie pour notre levée de fonds.

IN : cela fait quoi de devenir une licorne ?

P.G. : devenir licorne nous a permis de gagner l’estime de tout le monde et de valider notre modèle. Cela a prouvé que nous étions sérieux. C’est d’ailleurs quand nous sommes devenus licorne que Bpifrance est entré dans notre capital. Ce statut est comme un tampon de respectabilité en France. Ce sont des lettres de noblesse.

les records de cyberattaques vont être battus. Nous allons tous être en danger et pour éviter de devenir les victimes des cybercriminels, nous allons devoir nous protéger.

IN : où vous voyez-vous dans trois ans ?

P.G. : je pense que dans les prochaines années, la sécurité va devenir un thème central pour tous les citoyens. Tous les ans, les records de cyberattaques vont être battus. Nous allons tous être en danger et pour éviter de devenir les victimes des cybercriminels, nous allons devoir nous protéger. C’est vrai pour les propriétaires de cryptomonnaies qui vont devenir, à mon avis, un standard dans les années qui viennent, mais cela va concerner aussi tous les citoyens qui possèdent notamment un compte bancaire. Instagram est aussi une source de revenu importante pour de nombreux internautes et il est important pour eux que leur compte soit sécurisé. Ce constat me fait donc penser que nos ventes annuelles font passer de millions à plusieurs dizaines millions de devices. D’un point de vue plus personnel, j’espère encore être CEO de Ledger dans 5 ans. Dans 10 ans, je serai encore à ce poste si je suis très bon mais et dans le cas contraire j’aurai choisi un remplaçant que je pourrais épauler mais il est aussi possible que j’aille tenter de nouvelles aventures en faisant des investissements ici ou là…

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