INfluencia : Votre coup de cœur ?
Pascal Crifo : Je suis un enthousiaste et un optimiste, donc j’ai souvent des coups de cœur, notamment au cinéma. Récemment, j’ai été particulièrement marqué par « L’histoire de Souleymane », que j’ai trouvé extraordinaire. Ce film aborde le sujet des migrants en France et les difficultés qu’ils rencontrent pour s’en sortir. Ce thème est souvent débattu sur les plateaux télé, où des intervenants, véritables pyromanes, lancent des punchlines travaillées par des conseillers en communication pour gagner les prochaines élections.
Mais comme tous les sujets de société, lorsqu’on les observe à hauteur d’homme ou de femme, et non à travers le prisme du débat médiatique ou politique, on comprend mieux les enjeux. C’est le talent de ce film de nous expliquer tout cela en 1h30. Il est extrêmement bien filmé, avec un rythme captivant, et on suit le personnage principal dans ses journées, ce qui nous permet de saisir tous les enjeux du débat, quel que soit notre point de vue.
Je ne suis pas sorti indemne de la salle après avoir vu « L’histoire de Souleymane »
Il y a une vraie urgence dans ce film. C’est vraiment du grand cinéma, une fiction à la frontière du documentaire. Et je ne parle même pas de la performance du comédien, qui a raconté sa propre vie et que l’on a vu aux César.
C’est un véritable chef-d’œuvre qui m’a bouleversé. Je ne suis pas sorti de la salle indemne. De plus, c’est mon fils qui m’en a parlé dès sa sortie et m’a dit qu’il fallait absolument que je le voie. Cela prouve que rien n’est perdu et que la génération suivante a peut-être des clés de compréhension que ma génération n’a pas.
Il faut faire la guerre aux « du coup » !
IN. : Et votre coup de colère ?
S.P. : Il y a une manie, un tic, qui me met dans une colère absolue : ce sont les « du coup » dans toutes les phrases. Proust n’aurait pas aimé ça ! Aujourd’hui, c’est une véritable invasion de « du coup ». Ce sont les punaises de lit des conversations : on ne sait pas comment s’en débarrasser.
Je fais régulièrement des réunions Teams, et parfois, quand je m’ennuie, je compte les « du coup » de chacun. J’établis un palmarès que je partage avec les membres de la conversation. C’est effrayant : ça commence les phrases, ça les finit, ça les ponctue. Ceux qui sont atteints de cette maladie se disent : « Aïe, il faut que j’enlève les ‘du coup’». Alors, ils les remplacent par des « pour le coup », qui ne sont que des « du coup » déguisés. Je n’en peux plus. Et du coup, aïe, je viens moi aussi de le dire – rires – c’est un enfer.
Comme tous les mots à la mode, il va nous falloir dix ans pour nous en débarrasser. Je pense que c’est dû au fait qu’il y a un nouveau mode de langage dans les réunions par écran interposé, où tout est saccadé et nécessite des ponctuations, d’où l’omniprésence des « du coup ». L’enfer… On les voit même infiltrer les films, les dialoguistes captant l’air du temps.
Alors, je le dis haut et fort : il faut faire la guerre aux « du coup » ! Comme on n’a pas trouvé d’antidote, j’invite tout le monde à les combattre jusqu’au dernier (rires).
Face à la chute du mur de Berlin, c’était la première fois que je voyais l’histoire s’écrire en direct
IN. : L’évènement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
P.C. : Je voudrais en citer deux : le premier est la chute du mur de Berlin, car j’étais passionné d’histoire et en terminale à cette époque. Après 40 ans d’opposition entre les blocs, cet événement m’a marqué car c’était la première fois que je voyais l’histoire s’écrire en direct. Le deuxième est la pandémie de Covid-19, exceptionnelle par sa nature de crise mondiale, digne des plus grands films de science-fiction. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, tout le monde a vécu simultanément la même expérience. Le monde entier s’est arrêté, comme dans un film. Cela a profondément transformé de nombreux aspects de la vie : le quotidien des gens, le monde du travail, notre rapport à la santé, à la vie et à la mort… C’est un événement marquant pour notre génération, peut-être même plus que les conflits que nous vivons.
Si vous aviez une baguette magique pour exaucer mes vœux, je choisirais d’abord d’être Zizou
IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire
P.C. : Quand j’étais petit, je voulais être Zizou. Je rêvais la nuit, de jouer en équipe de football professionnel et j’y ai encore rêvé jusqu’à 35-40 ans. Comme je n’avais pas les capacités nécessaires, j’ai vite compris qu’il valait mieux poursuivre mes études, ou en tout cas ne pas les abandonner.
Aujourd’hui, je m’amuse toujours autant dans mon métier ; chaque nouveau brief est un monde qui s’ouvre, et je trouve cela formidable. Cependant, si c’était à refaire, je choisirais peut-être quelque chose de très différent, comme la photographie sous-marine dans la nature avec les animaux. Ce serait une activité à long terme, loin des diktats économiques, des modes et de l’air du temps qui nous enferme dans certains réflexes. Mais si vous aviez une baguette magique et pouviez exaucer mes vœux, je choisirais d’abord d’être Zizou.
Si je devais lancer un concept de restaurant, il serait spécialisé dans les vinaigrettes
IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)
P.C. : J’apprécie les petites réussites, et ma plus belle très petite réussite, c’est… la vinaigrette. Je ne suis pas un grand cuisinier, mais j’ai envie de bien faire. J’achète beaucoup de livres de cuisine et je m’efforce de progresser. J’ai fini par devenir très doué pour les vinaigrettes, car j’aime les épices et l’huile d’olive. En connaissant les différentes variétés d’huiles et d’épices, je parviens à créer des vinaigrettes qui me valent de nombreux compliments. Quand je cuisine d’autres plats, on me dit souvent : « Oui, c’est bien. On sent que tu t’es donné du mal. » Mais c’est souvent un peu trop cuit ou pas assez, et honnêtement, ce n’est pas aussi bon que ce qu’on peut manger ailleurs. En revanche, mes vinaigrettes sont incroyables. Si je devais lancer un concept de restaurant, ce serait un établissement spécialisé dans les vinaigrettes, avec quelqu’un pour apporter la salade.
Je suis très fier de ma maîtrise des vinaigrettes, car c’est gratifiant d’avoir de petits succès de temps en temps. Et puis, il y a quelque chose d’intéressant dans la préparation d’une sauce ou d’une vinaigrette : on essaie d’associer les ingrédients pour créer le meilleur mélange possible et le liant. On devrait peut-être s’inspirer de la vinaigrette en politique (rires).
Peut-être finirai-je par trouver la paix et la sagesse d’un vieux philosophe
IN. : Votre plus grand échec ? (idem)
P.C. : C’est la colère. Il m’a fallu du temps pour comprendre que, lorsqu’elle est canalisée dans la créativité, les idées ou l’art, la colère devient un moteur exceptionnel. Un écrivain en colère est souvent meilleur qu’un écrivain apaisé, et un guitariste en colère peut produire des performances extraordinaires.
Cependant, lorsqu’elle s’immisce dans les relations humaines, la colère est désastreuse. Elle ne génère que souffrance et mauvais moments. J’ai beaucoup travaillé sur moi-même et tenté de me psychanalyser pour mieux gérer cette émotion. Avec l’âge, j’y parviens de mieux en mieux. Peut-être finirai-je par trouver la paix et la sagesse d’un vieux philosophe (rires).
Je suis bien plus séduit par les héros anonymes de l’histoire
IN. : Vos héros réels ou fictifs, dans l’Histoire
P.C. : De nombreux personnages historiques me touchent, mais je suis bien plus séduit par les héros anonymes de l’histoire. On peut admirer Churchill pendant la Seconde Guerre mondiale pour son rôle extraordinaire et son apport d’espoir à une nation, tout comme de Gaulle. Cependant, ce qui me fascine, ce sont ceux qui ont fait de la résistance sans que l’on ne connaisse jamais leurs noms, ces jeunes qui ont débarqué sur les plages de Normandie et se sont sacrifiés pour les autres. Tous ceux qui ont donné leur vie, ou encore ceux qui travaillent dans l’humanitaire, m’inspirent profondément.
Dans un registre plus léger, j’ai un héros de fiction qui m’a accompagné toute ma vie : Rocky Balboa. Je suis littéralement amoureux de ce personnage, qui m’a même donné envie de pratiquer la boxe. Bien que tous les films de la saga ne soient pas des chefs-d’œuvre, je les connais tous par cœur, dialogues compris. Ils m’ont construit et accompagné tout au long de ma vie. J’ai commencé à les regarder avec mes parents, notamment mon père, et j’ai continué à les suivre au fil des ans. J’ai un lien intime avec ce héros ; je l’adore.
Rocky incarne des leçons formidables de résilience et de dépassement de soi. Il canalise sa colère uniquement sur le ring, ce qui en fait une véritable école de la vie pour les adolescents. Même à 50 ou 55 ans, dans les derniers films, il continue de boxer sans jamais abandonner.
IN. : Que faites-vous quand vous ne travaillez pas ?
P.C. : Quand je ne travaille pas, j’écris. J’adore écrire, cela me procure des émotions intenses. J’écris des scénarios, des essais, des romans… J’en ai commencé une cinquantaine et en ai terminé quelques-uns. J’aime ces deux exercices. Il y a une sorte de dualité entre le cinéma et l’écriture : quand je vais au cinéma, je retiens les mots, et dans un livre, je vois les images. Lorsque j’écris un roman, je m’invente des mondes et je vis avec les personnages que j’ai imaginés, ce qui est très ludique.
Si demain je n’avais plus envie de faire mon métier, j’essaierais peut-être de me consacrer entièrement à l’écriture
Je n’en ai pas fait mon métier et ce n’est pas grave, peut-être ne le ferai-je jamais. Certains de mes écrits ont déjà vu le jour mais ils ne sont pas très visibles. J’ai publié des nouvelles dans des concours il y a longtemps. Cependant, j’ai ralenti le rythme quand j’ai commencé à travailler davantage, car je n’avais plus la disponibilité. De plus, je n’étais plus assez en colère, je commençais à m’embourgeoiser et à devenir ennuyeux.
Mais je m’y suis remis et j’arrive maintenant à écrire plus régulièrement le week-end, rendant cette activité un peu plus routinière. Bien sûr, cela crée des frustrations ; parfois, on se heurte à la médiocrité de ce qu’on a écrit, on trouve cela nul et on jette tout. Mais ce n’est pas grave, cela me fait du bien. Et je sais que je continuerai toute ma vie. Si demain je n’avais plus envie de faire mon métier, ce qui n’est pas le cas, j’essaierais peut-être de me consacrer entièrement à l’écriture.
Je ne suis pas un aventurier. Dans Koh-Lanta je suis éliminé en semaine 1 !
IN. : Quel objet emporteriez-vous sur une île déserte ?
P.C. : Un bloc de papier et un crayon pendant deux mois, le temps de l’introspection pour écrire quelque chose d’intéressant, et un bateau pour partir et aller le faire publier. Mais attention, il faut que l’île déserte soit paradisiaque. Je ne suis pas un aventurier. Dans Koh-Lanta je suis éliminé en semaine 1 ! (rires).
* L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu »
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