La puissance d’une marque est généralement jugée par sa capacité à toucher le plus grand nombre d’individus. Un constat simpliste qui s’apparente pourtant à un numéro d’équilibriste. Mais comment procèdent les mastodontes pour ne pas se casser la figure ?
Coca-Cola, Apple, Heineken… sont toutes des marques leaders sur leur marché, des best-cases, pour les publicitaires. Leur secret ? Incarner une marque aspirationnelle dont la valeur ajoutée ne réside pas uniquement dans le produit, mais dans la revendication d’une vision unique du monde et un système de valeurs concordant. Au-delà de chaussures de course performantes, Nike vend la performance individuelle, le dépassement de soi. La proposition d’un lifestyle qui permet de nouer des liens indéfectibles avec un public spécifique, sensible à ce discours. Contrairement aux idées reçues, leur stratégie n’est pas de s’adresser à tous, mais de parler à chacun.
La stratégie de la puissance, c’est faire le choix de l’ordinaire
Spontanément, la solution pour devenir une grande marque serait d’incarner une posture généraliste et de produire un discours qui peut potentiellement séduire le plus grand nombre de personnes (et de préférence les prospects). Une stratégie de la puissance qui consisterait à sélectionner un profil socio-démographique (25-49 ans, villes de 20 000 à 100 000 habitants), de lui adresser un message générique qui « lui correspond » et de diffuser son discours sur un média de masse comme la télévision. Parler au plus grand nombre suffit-il à atteindre les objectifs de croissance ? Pas si simple. Cette démarche top-down (un émetteur – un message – un récepteur) manque d’aspérités. Elle plaît un peu à tout le monde, sans plaire réellement à personne. La relation nouée avec le client est superficielle et risque d’être très courte lorsqu’un concurrent avec de meilleurs arguments et/ou un meilleur produit arrivera sur le marché.
La figure aspirationnelle, personnification de la marque dans le monde des Idées
Avant toute cible aspirationnelle, il y a une figure aspirationnelle qui incarne les valeurs de la marque et qui donne vie au mythe de celle-ci. La marque de vêtements outdoor Pantagonia cultive un imaginaire autour de l’aventurier en quête initiatique : il va se reconnecter à lui-même par ses exploits en pleine nature. Cet idéal est éloigné de la réalité de vie de ses clients. C’est bien pour cela qu’elle est dite « aspirationnelle » : elle est en élévation, au niveau du monde des Idées. Ainsi, cet aventurier mis en scène dans les communications de Pantagonia n’existe pas véritablement (ou alors en très petit nombre). Il correspond à un idéal auquel les acheteurs de la marque aspirent, qu’ils ne deviendront jamais.
La cible aspirationnelle, l’incarnation physique de la figure aspirationnelle de la marque
Pour ancrer dans le réel cette figure de proue, les marques vont chercher une incarnation physique. Elles la trouvent dans des communautés spécifiques qui répondent à deux critères : l’adéquation avec la vision de la marque et le rôle d’influenceur dans son secteur, sans l’obligation d’être médiatisé. Un groupe d’individus qui porte les valeurs de la marque, qui prend la parole pour elle et qui incarne un idéal auquel la cible d’acheteurs est sensible, voilà ce qui définit clairement la cible aspirationnelle. En d’autres termes, ce sont des trendsetters, des experts ou simplement des connaisseurs dans un secteur donné qui partagent le même état d’esprit que la marque. L’objectif étant de déclencher le bouche-à-oreille autour de la marque, la cible aspirationnelle doit être composée d’un nombre suffisant d’individus. Il ne faut donc pas la confondre avec une cible de bloggeurs, bien qu’un ou plusieurs bloggeurs peuvent être érigés comme représentants médiatiques de celle-ci.
Une fois la bonne cible identifiée, c’est à la marque de l’adresser, de nouer une relation avec elle et de la transformer en ambassadrice. Red Bull, la marque « qui donne des ailes » a comme figure aspirationnelle l’individu en quête de sensations fortes, qui consacre sa vie à la pratique des sports extrêmes. Dans le réel, elle prend vie à travers les amateurs de ces sports. Ses représentants médiatiques sont les sportifs de haut niveau, trop peu nombreux et trop déconnectés de la réalité des acheteurs pour incarner à eux seuls la cible aspirationnelle. La marque sollicite directement sa cible aspirationnelle, notamment lors de sa course « Caisses à Savon » au cours de laquelle sont réunis tant les sportifs professionnels qu’amateurs. Ainsi, Red Bull s’offre de la visibilité directement auprès de la cible aspirationnelle et la cible d’acheteurs spectatrices et indirectement grâce à la conversation générée après l’événement.
Parler à tous et à chacun
Identifier et s’adresser à sa cible aspirationnelle n’est pas décorrelé d’une stratégie de puissance. Au contraire, la force d’une grande marque réside dans sa capacité à jouer la complémentarité entre une stratégie de puissance et une stratégie affinitaire, entre « s’adresser à tous » et « parler à chacun », entre être accessible et être personnalisée. Heineken est une marque qui maîtrise cet art de l’équilibre : elle s’adresse au mass market avec des campagnes publicitaires mettant en scène la célèbre bouteille, diffusées sur des médias de masse comme la télévision ; tout comme elle touche sa cible aspirationnelle de jeunes urbains en quête d’expériences sociales fortes, grâce à du sponsoring de festivals branchés comme le Pitchfork à Paris. Ainsi, malgré une consommation très répandue, Heineken parvient à conserver une image de marque premium et désirable.
La stratégie de la puissance, soit s’adresser à tous, permet de frapper fort sur un temps court pour des retombées immédiates. La stratégie de l’affinitaire, soit s’adresser à certains, s’inscrit quant à elle dans le long terme. Il s’agit de construire une relation privilégiée avec sa cible aspirationnelle et de s’appuyer sur le bouche-à-oreille pour diffuser ses valeurs. Les marques qui durent sont celles qui savent se reconnecter au réel à taille humaine. Au-delà de la puissance, il faut faire le choix du sensible.