INfluencia : le 1er avril 2021 a été une date importante pour les éditeurs de sites internet français : qu’est-ce qui a changé ce jour-là ?
Paola Prévot : cette date a marqué la fin de la période de grâce instaurée par la CNIL pour l’application du RGPD. Mais celui-ci est en vigueur depuis mai 2018, rien n’empêchait les sites internet de mettre en place les bons mécanismes de recueil du consentement des internautes avant le 1er avril 2021 ! Pourtant, face aux nombreux chantiers que les éditeurs ont à gérer, il y a eu, chez certains, la tentation de faire traîner cette question, puisque la CNIL leur avait laissé du temps pour s’adapter. Désormais, pour les éditeurs, la question est de trouver le moyen de donner aux internautes la possibilité de faire un choix éclairé, transparent et simple, pour qu’ils acceptent ou refusent l’accès à leurs données personnelles, sans que cela ait un impact majeur sur les inventaires publicitaires.
IN. : ces changements préfigurent aussi des changements plus importants, sur la collecte et l’exploitation des cookies tiers…
P.P. : ce sont deux choses bien différentes, même si ces deux sujets sont liés par la pression du législateur : celui-ci entend protéger les internautes et mettre un peu d’ordre dans les pratiques digitales. C’est cette pression qui a conduit Google à annoncer la fin des cookies tiers dans l’environnement Chrome à horizon 2022, même si ce processus a déjà été initié depuis plusieurs années par d’autres navigateurs, comme Firefox et Safari.
IN. : 2022, c’est demain. Comment s’y préparer ?
P.P. : c’est une échéance qui peut paraître lointaine, mais elle va arriver très vite ! Plus de cookies tiers, ça veut dire que la donnée “third party”, telle qu’elle est générée aujourd’hui, n’est plus exploitable. Mais cela veut aussi dire que les éditeurs ont une carte à jouer dans cette disparition des cookies tiers, en mettant en valeur les données “first party”, quand ils en possèdent. Les éditeurs peuvent dès à présent enrichir ou créer des bases de données, tout en commençant à tester les différentes technologies dont on entend actuellement parler, comme les solutions d’ID et les outils d’exploitation de la donnée first party.
IN. : beaucoup d’acteurs commencent à proposer des solutions pour continuer à exploiter les données dans le monde post-cookies tiers : quelle(s) solution(s) a/ont des chances de s’imposer ?
P.P. : on voit émerger plusieurs tendances, du plus précis au moins précis dans l’exploitation des données :
– la valorisation des données “first party”, celles qui appartiennent aux éditeurs, quand un internaute accepte de renseigner et partager des informations.
– l’exploitation des données liée aux cookies “first”, sur le type de terminal utilisé, la langue, le moment de connexion, l’adresse IP, etc.
– l’utilisation de données plus contextuelles, recueillies au sein de l’écosystème de l’éditeur : cela peut être le type de pages visitées, les centres d’intérêt, etc.
– le recours à des cohortes, ce que Google prépare avec sa technologie FLOC, mais qui, pour l’instant, ne pourra pas être déployé en Europe, car elle ne répond pas aux exigences du RGPD. Dans tous les cas de figure, il faudra s’assurer d’obtenir le consentement de l’internaute, c’est une condition sine qua non.
IN. : pour obtenir ce consentement, certains éditeurs en viennent à forcer la main des internautes, avec des “cookies walls”, qui conditionnent l’accès aux contenus à l’acceptation des cookies : qu’en penser ?
P.P. : il y a eu beaucoup de réactions d’internautes mécontents face à ces cookies walls. Notre conseil, c’est de faire de la pédagogie, quelle que soit la stratégie de l’éditeur, avec un message clair à destination des internautes. Il faut faire comprendre qu’on est dans une période de transition. Il y a des choix forts à faire aujourd’hui, mais ce sera au bénéfice de l’internaute à long terme. Le péché originel d’internet a été de faire croire que les contenus étaient gratuits : c’est le moment d’expliquer que ce paradis n’existe pas. Il faut le faire comprendre aux internautes. Progressivement, de bonnes pratiques vont émerger à la fois pour mieux respecter le choix des internautes et leur permettre de continuer à accéder à des contenus gratuits. L’essentiel est de pouvoir continuer à proposer un internet libre, gratuit si possible, et accessible à tous. Tous ces changements vont nous permettre d’évoluer dans un environnement plus sain pour les éditeurs, les internautes et les annonceurs.
IN. : quel est le rôle des annonceurs dans ce processus, qui risque surtout de favoriser les plus gros, ceux qui sont en mesure de collecter le plus de données et ont les moyens pour les exploiter ?
P.P. : bien sûr, pour les annonceurs, la solution de facilité est de travailler avec Google et Facebook. Mais si on adopte uniquement cette approche, nous pensons qu’il y aura un appauvrissement du reste de l’internet et, encore une fois, une augmentation du contrôle et du pouvoir de quelques acteurs au détriment de tout l’écosystème. Il est donc primordial de prendre en compte la diversité de l’internet, et donc, pour les annonceurs, d’avoir différents partenaires, pas un seul ou deux au sein des GAFA, car les internautes ne sont pas présents uniquement sur ces plateformes-là. Nous pensons qu’internet doit rester ouvert. L’intérêt des internautes est de pouvoir accéder aux contenus auxquels ils ont l’habitude d’accéder. Or, le problème avec les GAFA, c’est qu’ils drainent une très grosse partie des budgets publicitaires, alors qu’ils ne génèrent pas les contenus proposés aux internautes.