Nous glissons petit à petit vers un retour à l’animalité. Alexandre Kojève, philosophe français d’origine russe, établit ce constat dans son Introduction à la lecture de Hegel après une fine observation de la société de consommation naissante aux États-Unis. Pour lui, l’homme revient à l’animalité par le biais de la civilisation américaine de l’après première Guerre mondiale qui l’entoure, le comble de biens, de services répondant immédiatement à ses besoins. Il s’agit là d’un glissement entre désir humain et désir animal, car là où le désir humain est contrôlé, autolimité par la culture ou la conscience, le désir animal s’oriente pour sa part vers une recherche de satisfaction immédiate : un animal qui a faim sera parfaitement satisfait s’il mange.
Dans cette société vue par Kojève «les hommes construiraient leurs édifices et leurs ouvrages d’art comme les oiseaux construiraient leurs nids ou les araignées tissent leurs toiles, exécuteraient des concerts musicaux à l’instar des grenouilles et des cigales, joueraient comme jouent les jeunes animaux et s’adonneraient à l’amour comme le font les bêtes adultes. » Nul doute que Kojève serait lui-même bluffé par ses visions assez prophétiques à l’heure d’Internet et des nouvelles technologies.
Une chose est sûre, ce «village global» bruissant, grouillant, se rassemble de plus en plus autour de cette animalité, et de la foule. La foule décide: celle de marché, celle des réseaux sociaux. Dans cette animalité, la “pensée de la place publique” a une grande importance. La foule est en effet de plus en plus présente.
Ces jours de septembre nous rappellent les foules fuyant le 11 septembre 2001, ou celles des flash mobs. Cet affleurement, cette viscosité, cette capacité à se rassembler, à vivre ensemble, à avoir peur ensemble, mais aussi à se retrouver et à partager, à espérer (on pense aux foules du printemps arabe) est le nouveau visage de l’humanité. En cela, elle retrouve sa primitivité. L’autre n’est pas loin, il est collé à nous. Nous nous tenons chaud dans un contact orgiaque très dionysien.
Est-ce un hasard si Pan, cousin indo-européen de Dionysos, dieux des troupeaux et de la nature tout entière est aussi le dieu de la foule et en particulier de la foule orgiaque et hystérique? Pan avait la capacité de faire perdre à l’humanité son côté humain pour lui redonner son animalité dans la promiscuité de la foule. Le mot panique vient de là. Les foules regroupées dans les rassemblements des Indignés, lors d’événements sportifs, de concerts rock ou de rassemblements religieux tels les Journées mondiales de la jeunesse catholique nous le rappellent sans cesse: Pan nous appelle.
Nous ne cherchons rien d’autre en nous fondant dans cette foule que de nous perdre dans un grand ensemble, de communier, de nous retrouver au chaud, entre nous, dans une grande fête archaïque.
Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur, en librairie le 15 septembre). Préface de Michel Maffesoli.
* Informations sur « La Renaissance Media », journée de conférences organisées par l’UDECAM