IN. : vous avez 57 ans, faites partie de la génération des pubards élevés au grain de grands créatifs admirés et mille fois récompensés. Rien ne vous y prédestinait… Comment êtes-vous tombé dans la pub.
O.D. : je me suis inscrit en droit à Aix en Provence, comme on s’inscrit en école de commerce aujourd’hui. J’ai suivi les cours pendant 48 heures, puis j’ai passé un an à faire semblant, (j’avais un studio il fallait bien que je rentabilise) de suivre mes cours tout en réfléchissant à ce que je voulais faire… Et puis j’ai eu la chance d’avoir un pote qui m’a dit : je monte à Paris faire une école de pub… Là, je lui demande si c’était une blague, -je ne sais pas qu’il y a des écoles pour fabriquer de la pub-, il m’explique sa formation, me raconte l’ECV, moi je dessine depuis toujours sans savoir à quoi cela va me servir, je dis banco… Et nous voilà partis à Paris à l’ECV.
Chez Lintas, ma vraie première agence mon interlocuteur me dit, « c’est bien, mais qui est ton rédac », et là je réponds enfin, c’est moi… le mec poursuit, et bien tu peux arrêter de dessiner, c’est bien ce que tu fais en rédaction…
IN. : vous dessinez très bien, mais concrètement, et comme souvent, il y a un malentendu, lorsque vous montez vos dossiers pour vous présenter en agence…
O.D.: à l’époque il n’y a pas formation de rédacteur… Et effectivement, je fais mon book dont je suis assez fier. Il est rempli de gouaches, d’illustrations, de fusains, de dessins d’achi, mais celui qui me reçoit regarde, juge que c’est très bien, mais demande assez vite : « qui est votre rédac ? ». Perplexe, seul au monde, vous repartez, vous reprenez votre dossier, et commencez à comprendre que les pubs que vous aimez, qui sont cultes sont le fruit d’une équipe, d’un tandem, d’un système humain et professionnel composé de plusieurs métiers… Alors, après un passage dans une petite agence qui a bien voulu de moi, je refais ce book en m’appuyant sur des marques fictives, et en créant des campagnes avec des mots… Et là, quand jefais un tour des agences avec mon nouveau book, un autre interlocuteur me redit, « c’est bien, qui est ton rédac », et là je réponds enfin, c’est moi… le mec me répond, ben tu peux arrêter de dessiner, c’est bien ce que tu fais en rédaction… C’est un vrai malentendu en fait, qui ne devrait pas exister. C’est chez Lintas que je démarre vraiment, et qu’Alexandre Bertrand m’apprend mon métier.
J’adore voir les étudiants aller vite, c’est fascinant, dès que tu te penches sur leurs projets, que tu t’intéresses à eux, que tu es pédagogue, ils pigent au quart de tour
IN. : tu finis pas creuser ton sillon…
O.D. : en fait, sur la demande de Jacques Séguéla, Alexandre Betrand s’en va remettre Synergie sur pied, et lui m’embarque . Un an après je pars rejoindre Benoit Devarrieux et Jean-Pierre Villaret qui créent leur agence. Je vais enchainer ensuite trois ans chez Publicis où je travaille sur Renault… La bagnole devient ma « marque de fabrique »… Je suis Gilbert Scher et Jean-Claude Jouis qui prennent Citroën chez EuroRSCG devenu Scher Lafarge, puis Les Gaulois. Me voilà avec 10 ans de belle voiture dans les pattes, je reviens chez Publicis. Et lorsqu’Olivier Altman quitte son job de patron de la création du groupe pour monter son agence Altmann+Pacreau, nous sommes nommés Cédric Guéret, Fabrice Delacourt et moi, patrons de la création de Renault, et de quelques autres budgets. J’y reste 5 ans avant de monter cette école…
IN. : tu es bien au chaud en agence, avec une grosse cote, comment naît l’idée de monter Le Quatre ?
O.D. : mon fils Elliot était à l’Iscom, et la directrice de l’époque m’appelle pour savoir si cela m’intéresse de consacrer du temps à l’école, d’enseigner, d’aider les jeunes… et j’y vais, je m’aperçois que j’adore transmettre tout ce que j’ai emmagasiné, lors de formations, d’interventions, de journées dédiées à leurs fameux dossiers… bref je m’implique pas mal. J’adore voir les étudiants aller vite, dès que tu te penches sur leurs projets. C’était assez fascinant. Tant et si bien qu’un jour, l’ancienne directrice de l’école m’appelle et me demande de réfléchir à un concept de formation autour de la création publicitaire. Elle me donne le week-end, et c’est parti comme ça.
je me suis toujours dit un jour je ferai quelque chose de ce vide autour de l’apprentissage, pour éviter les malentendus, la perte de temps aux jeunes qui tournent autour du pot.
IN. : il y avait quoi dans ce programme ?
O.D. : pour avoir vu des milliers d’étudiants dans ma carrière, je savais qu’il fallait recommencer pas mal de choses à zéro ne serait-ce que pour qu’ils ne soient pas perdus, et je me suis toujours dit un jour je devrais faire quelque chose autour de ce vide d’apprentissage, pour éviter les malentendus. La perte de temps. Faire en sorte qu’au terme de ces trois ans, ils sachent exactement ce qu’ils aiment faire. C’est primordial. Combien de jeunes se retrouvent dans des formations d’ingénieurs, de commerce, etc et déchantent parce qu’ils se sont fourvoyés. Au Quatre, tu es confronté à la réalité des métiers qui composent la création publicitaire et normalement tu sors de là en sachant ce que tu aimes et veux faire. Tu y es parce qu’un jour tu suis les cours qui t’intéressent et non pas par ce qui te paraît moyen, que tu as choisi par dépit ou à défaut de mieux.
Le Quatre c’est l’apprentissage de la direction artistique, de la conception rédaction, du planning stratégique, de l’activation digitale, de la réalisation, puis il y a quelques modules comme celui de l’insight : la campagne née au bon endroit, au bon moment. Il y a également un volet exploration créative…
Déjà, le respect, l’humanité, la pédagogie sont au centre du cursus. Sans ces trois éléments il n’y a pas d’apprentissage possible. La direction artistique, la conception rédaction, le planning stratégique, l’activation digitale, la réalisation, puis il y a quelques modules comme celui de l’insight : la campagne née au bon endroit, au bon moment. Il y a également un volet « exploration créative » emmené par Anne-Cécile Taulègne qui les emmène dans un hall de gare, un supermarché, un zoo, etc. L’idée est de s’immerger pensant une heure, réfléchir, s’en imprégner pour ensuite une semaine plus tard en 5 minutes, exposer sa réflexion, sous forme de poème, d’histoire, de sketch, de chanson…
IN. : donc en fait le Quatre est un second cycle qui démarre après deux années de tronc commun d’Iscom.
O.D. : exactement, c’est l’un des quatre piliers proposés après ce tronc commun. Le Quatre arrive alors pour proposer aux étudiants trois ans d’immersion au cœur de la création publicitaire.
IN. : comment expliquer qu’une école telle que Le Quatre n’ait pas été créée avant ?
O.D. : je n’ai toujours pas la réponse.
IN. : enseigner la création publicitaire aujourd’hui alors que la com est sur des sables mouvant, n’est-ce pas trop tard ?
O.D. : ce ne sera jamais trop tard. Le cerveau droit aura toujours du travail. Si la création n’a pas de valeur, elle n’existe pas. Si les marques créent des émotions mais qu’elles ne savent pas comment les exploiter c’est raté. Si des enseignes font des choses rigolotes qui ne s’appuient pas sur du solide, ne sont pas au bon endroit, ça ne sert à rien. La pertinence créative c’est tout un art.
IN. : beaucoup d’injonctions, de nouvelles donnes sociales, climatiques, économiques, qu’est-ce qu’il ne faut pas faire aujourd’hui en pub?
O.D. : des campagnes qui vont plaire à une population mais qui risquent d’en blesser une autre, ne serait-ce qu’à 5%, ce n’est pas possible. La publicité est un matériau vivant, Le Quatre est nourri par des cadors qui enseignent ce qu’ils vivent aussi, pas seulement ce qu’ils savent. Les enseignants ou conférenciers viennent d’agences comme The Good Company, de Sid Lee, de Buzzman, de BETC, etc, ils ne sont pas hors sol. Pour imager, je dirai que Le Quatre donne à ses étudiants un trousseau de clés, auquel il faut en ajouter d’autres régulièrement.
IN. : tous ces cadors sont rémunérés ?
O.D. oui tous (lire l’encadré) rémunérés, quand ils n’oublient pas de se présenter et qu’après un an ils se pointent en me disant « j’ai complétement oublié de donner mes heures… »…
IN. : le coût du cursus est de 7500 euros l’année, c’est cher, non ?
O.D. : le cursus est payant sur ses deux premières années, la troisième est en alternance, donc rémunérée par une agence ou une entreprise qui les engage.
j’aimerais un jour pouvoir comparer Le Quatre à la Miami Ad School, très, très bonne école de création publicitaire américaine.
IN. : d’autres cursus aussi complets, professionalisants existent-ils ailleurs dans le monde ?
O.D. : j’aimerais un jour pouvoir me comparer à la Miami Ad School, très, très bonne école de création publicitaire américaine. La philosophie du Quatre c’est de bosser la création publicitaire comme si vous y étiez. On y travaille beaucoup. On applique tous les mécanismes d’agence dès le départ, du brief, au rendu, avec tous ses obstacles. Alors c’est vrai qu’ils n’ont pas beaucoup de temps libre, ils sont un peu débordés au début, c’est h 24, mais je ne veux pas qu’on se dise « on est dans une école c’est cool », on est là pour leur apprendre à être malins…
IN. : vous entamez la quatrième année du Quatre, que donne cette première promotion ? Quelles conclusions ?
O.D. : après trois années de travail intense, ils ont démarché dans de très bonnes agences, cinq sont chez Buzzman, 5 chez VLM & Y&R, certains partis chez Australie.Gad, deux chez David Madrid et ça c’est magnifique…
l’idée majeure de cette école est d’être dans la vie, de se réactualiser sans cesse puisque la société évolue vite, sans oublier les fondamentaux, le cerveau droit !
IN. : quid de la tech qui envahit tous les interstices de la com ?
O.D. : comme je le disais plus haut, le trousseau de clés est complété au fil des tendances et réalités de notre société. La tech est enseignée par Gilbert Tieu, creative tech. Encore une fois, l’idée majeure de cette école est d’être dans la vie, de se réactualiser sans cesse puisque la société évolue vite, sans oublier les fondamentaux, le cerveau droit ! qui doit naviguer en eaux troubles et repérer ses ennemis…
IN. : le 23 mars, rendez-vous au 4 rue de Londres pour une expo et une soirée mondaine ?
O.D. : oui (rires), les meilleurs travaux des étudiants seront exposés dans les locaux, on fêtera nos quatre ans…
IN. : enfin, un dernier mot sur le projet de prendre des jeunes qui ne sont pas forcément au top dans leur vie, descolarisés, ou désocialisés, où en êtes-vous avec Les Déterminés ?
O.D. : il est en cours, le sourcing se fait grâce aux Déterminés. L’idée est d’accueillir à partir de l’année prochaine des étudiants descolarisés, des gamins compliqués que l’on va former gratuitement, l’Iscom paiera la moitié, une agence sera aussi partenaire. Pour cette première édition ce sera Change. Ce sera difficile, j’en ai conscience, mais être en prise avec notre société c’est aussi le rôle du Quatre.
En savoir plus
Son école s’appelle Le Quatre, comme le 4 de la rue de Londres, son quatrième étage, et le jour de sa rentée de classes. Malgré les incertitudes, les doutes, agir passionnément, c’est le moto d’Olivier Desmettre qui a créé Le Quatre il y a..4 quatre ans. A l’heure ou la pub est en plein questionnement, l’ancien patron de la création de Publicis Conseil estime qu’aujourd’hui plus que jamais, les jeunes ont besoin d’avoir toutes les cartes en main pour aborder le métier de créatif qui demande de la brillance, de la constance et énormément de travail. Pour ce faire, ce dernier met des huiles précieuses dans son 4X4 : l’humain, l’excellence et de grands de la pub qui se prennent au jeu de la transmission. Le kif ultime pour survivre dans une société oublieuse de l’apprentissage et de la vie de famille à l’école! Les publicitaires intervenant depuis trois ans au Quatre sont:
Philippe Boucheron ( DC Autralie GAD ), Michael Krikorian ( DC Buzzman ), Louis Audard ( DC Buzzman ), Tristan Daltroff ( DC Buzzman ), Adrien Plouard ( DC Romance ), Damien Veillet ( Rosa Paris ), Stephane Richard ( Jesus & Gabriel ), Eric Esculier ( Sid lee ), Antonin Jacquot ( Marcel ), Wilfrid Brimo ( réalisateur LA PAC ), Eric Galmard, Didier Aerts, Jorge Carreno ( Australie GAD ), Stéphane Maguet, Pierette Diaz ( DC BETC ), Barbara Paloc ( Directrice de création du comité d’organisation des JO 2024 ), Emmanuel Francois Eugène ( DC hungry& Foolish ), Camille Lallier ( Planneuse stratégique ), Romain Pergeaux ( EX DC artefact ), Remy Tricot, Anne Cécile Tauleigne, Christophe Caubel, Fred Lohnert ( Planneur stratégique ), Philippe Foliard.