Si Georges Clooney est son égérie mondiale, une marque comme Nespresso utilise les services d’Ykone pour lui trouver des influenceurs qui touchent des populations locales en Amérique Latine, en Europe ou en Asie.
INfluencia : depuis notre dernière conversation au mois de septembre dernier, beaucoup de chose se sont encore passées dans l’agence que vous avez créée en 2008…
Olivier Billon : en effet. Nous sommes en train de boucler le rachat d’un des leaders du marketing d’influence en Asie. Avec leurs 120 salariés, nous allons pratiquement doubler nos effectifs car nous employons actuellement 150 personnes dans nos bureaux à Paris, Milan, Berlin, Munich, Genève, Miami, Las Vegas, Hong Kong, Shanghai, Singapour, Dubaï, Abu Dhabi, Riyad, Jeddah, Tunis et Bangalore. Nous étions jusqu’à maintenant très forts en Europe et au Moyen-Orient. Comme nous avons beaucoup de clients dans le luxe, nous avons préféré nous implanter au-début dans des villes comme Paris, Milan et Genève mais maintenant que nous souhaitons devenir un acteur mondial, nous devons avoir une présence à Londres, New York, Shanghai ou Mumbai. Être global nécessite des présences locales car le marketing d’influence est un secteur sur lequel vous devez connaître les spécificités de chacun des marchés visés par vos clients. Si Georges Clooney est son égérie mondiale, une marque comme Nespresso utilise les services d’Ykone pour lui trouver des influenceurs qui touchent des populations locales en Europe ou en Asie.
IN : la croissance externe est-elle votre unique stratégie pour vous développer sur de nouveau marchés ?
O. B. : loin de là. Entre 2021 et 2022, notre chiffre d’affaires est passé de 25 à 70 millions d’euros mais plus de 80% de cette croissance est organique. Le reste est lié au rachat d’une société allemande. Nous essayons toujours de privilégier la croissance interne mais nous ne nous interdisons pas de racheter des entreprises sur des marchés qui nous semblent trop compliqués pour nous lancer seuls. Nous avons les moyens pour boucler ce type d’opérations car nous avons levé, l’an dernier, 40 millions d’euros auprès d’un fond saoudien. Cet argent ne sert pas à combler des pertes car nous sommes rentables mais il est là pour nous aider à croître plus rapidement.
Sur Instagram, les contenus devenaient plus luxueux et ressemblaient de plus en plus à de la publicité traditionnelle, TikTok est le nouvel Eldorado
IN : comment se porte le marché du marketing d’influence en 2023 ?
O. B. : ce marché est en plein boom mais il est, en même temps, sous pression. Il progresse très rapidement en raison du succès de TikTok et parce qu’il a prouvé son efficacité aux marques qui visent la génération Z. Son taux de croissance annuel atteint aujourd’hui entre 15% et 20%. Toutes les plateformes ne se ressemblent pas, toutefois.
IN : quelles sont leurs particularités ?
O. B. : TikTok est le nouvel eldorado. C’est un vrai rafraichissement avec ses propres règles. Sur Instagram, les contenus devenaient plus luxueux et ressemblaient de plus en plus à de la publicité traditionnelle. Ce réseau commençait à s’institutionnaliser. Le secteur perdait peu à peu espoir de revoir des contenus viraux mais TikTok nous a prouvé à tous qu’ils pouvaient exister à nouveau et qu’il ne fallait pas nécessairement payer pour avoir de nombreuses vues sur la Toile.
Durant ma carrière, j’ai vu Tumblr, MySpace, Foursquare et Instagram progresser rapidement avant de retomber pour être remplacer par d’autres réseaux. YouTube est l’exception qui confirme cette règle car c’est la seule plateforme à ne pas pousser constamment des nouveaux contenus.
IN : TikTok ne risque-t-il pas de perdre sa « coolitude » comme tant d’autres plateformes avant lui ?
O. B : un réseau social, c’est comme une boîte de nuit. Dès qu’un jeune voit ses parents ou ses profs sur le dancefloor, il ne reviendra jamais plus. Durant ma carrière, j’ai vu Tumblr, MySpace, Foursquare et Instagram progresser rapidement avant de retomber pour être remplacer par d’autres réseaux. YouTube est l’exception qui confirme cette règle car c’est la seule plateforme à ne pas pousser constamment des nouveaux contenus. Une vidéo peut rester populaire trois ans sur YouTube. C’est tout simplement inimaginable sur les autres réseaux. Pour les marques, YouTube, qui n’a pas de réel concurrent, est une plateforme défensive qui leur permet de protéger leur réputation. Pour les entreprises qui sont plus agressives pour développer leur notoriété, Instagram et TikTok sont des réseaux plus adaptés.
Les vidéos sont et resteront les contenus les plus utilisées mais les clients cherchent aujourd’hui davantage de transparence et d’authenticité de la part des influenceurs.
IN : vous disiez aussi que votre marché est aussi sous pression. Pourquoi ?
O. B. : les marques sont beaucoup plus regardantes que dans le passé concernant la visibilité et l’engagement de leurs campagnes. Les vidéos sont et resteront les contenus les plus utilisées mais les clients cherchent aujourd’hui davantage de transparence et d’authenticité de la part des influenceurs. Les sujets liés à la transparence, à la provenance et à la durabilité vont prendre de plus en plus d’importance.
IN : quels sont les influenceurs les plus pertinents aujourd’hui pour les marques ?
O. B. : tout dépend des cibles qu’elles visent. Un influenceur avec plusieurs millions de followers sert d’égérie mondiale, une personne avec beaucoup d’abonnés dans un pays particulier permet à une marque de progresser sur ce marché et les nano et micro-influenceurs créent des bruits de fonds positifs. Ykone a toutefois décidé de ne pas travailler avec cette dernière catégorie d’influenceurs car nous estimons qu’ils apportent peu de valeur réelle.
IN : qu’en est-il des prix pratiqués dans ce secteur ?
O. B. : ils commencent à se normaliser. En dehors de certains profils comme les chanteurs et les acteurs qui demandent encore des sommes parfois sans rapport avec la réalité, la plupart des influenceurs savent aussi analyser les datas et cela leur permet de mieux connaître leur valeur. Dans certains pays, les marques payaient entre le tiers et le quart des sommes demandées par les influenceurs car leurs exigences étaient tout simplement irréalistes mais aujourd’hui, les prix se réduisent de 20% à 25% afin d’aboutir à un accord.
Faire un coup de com pour être montré du doigt plus tard dans un reportage de Cash Investigation ne mène pas à grand chose.
IN : les législateurs commencent également à s’intéresser de près à ce marché. Cela vous inquiète-t-il ?
O. B. : bien au contraire. J’ai reçu, il y a quelques jours à peine, une lettre de l’URSSAF qui souhaite des informations sur tous les paiements que nous versons aux influenceurs. Nous allons, bien entendu, le faire avec plaisir. Nous avons toujours été très proactifs à ce sujet car nous sommes les garants de la réputation des marques avec lesquelles nous travaillons. Nous collaborons uniquement avec des personnes qui sont dignes de confiance et quand un client nous demande de collaborer avec un influenceur basé à Dubaï, nous lui informons, par écrit, des risques qu’il prend. Faire un coup de com pour être montré du doigt plus tard dans un reportage de Cash Investigation ne mène pas à grand chose. J’ai également vu passer, la semaine dernière, un projet de loi qui souhaite interdire la promotion sur les réseaux sociaux des jeux d’argent, de la chirurgie esthétique, des paris sportifs et des investissements financiers risqués. Cela ne m’inquiète pas du tout. Ces évolutions montrent uniquement que notre marché est en progression et qu’il doit être régulé afin de mériter son rang et son statut.