Alors que le Nudge cherche à nous convaincre de ses talents pour modifier durablement des comportements, il se voit envisager sous un angle étrange : une solution de communication rigolote… et « Low-Cost ». À qui profite l’erreur ?
À en croire les posts de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux à son sujet, mais également de nombreuses publications signées parfois par des spécialistes, le Nudge serait » un petit message pas cher qui peut produire de grands effets « . Petit et pas cher… Une sorte de cadeau du ciel, une manne céleste qui viendrait à point faire diversion dans le giron d’une profession qui, accrochée comme une moule au rocher de fondamentaux datant des années 50, est toujours en quête de sens… et d’un second souffle. Pourtant, et au delà des quelques exemples qui tournent en boucle sur le net, le Nudge se matérialise souvent par une mécanique complexe, aussi bien dans l’élaboration que dans la mise en place. Bref, un dispositif Nudge ne se résume pas forcément à une mouche collée dans la cuvette des toilettes pour hommes…
Il y a environ 3 ans, une mouche quittait Amsterdam pour se faire remarquer sur nos réseaux sociaux, et devenir le mème que l’on sait. L’image en question n’aurait certainement pas atteint ce statut sans le contexte très particulier qu’elle impose, en première lecture, au récepteur : un urinoir. Ce point d’ancrage mémoriel n’est pas sans conséquences sur notre perception du Nudge aujourd’hui : dès le début de son histoire en France, l’action se situe dans… les toilettes. Juste à côté du poster » humoristique « … Il y a mieux pour lancer une carrière sur de bonnes bases. D’autant que cette mouche est venue, jusque chez nous, posée sur un support bien particulier : un sticker.
Le syndrome de la mouche
Dans la boîte à outils des communicants, on ne peut pas dire que l’autocollant soit la star des média planners. Jusqu’à hier, il était plutôt le support de communication du pauvre, tout juste bon à transporter le logo d’une marque sur le sac à dos d’un ado, et ce à peu de frais. Mais le voilà poussé sur le devant de la scène, pour un come-back inespéré de toute beauté. Car l’autocollant du XXIème siècle, piqué par une mouche, possède désormais de sacrés super-pouvoirs. Il serait capable de régler des problématiques comportementales complexes, contre lesquelles la pub s’est montrée particulièrement impuissante, comme nous faire pisser droit, mais pas que. En effet, notre sticker new-look a plus qu’un insecte dans son sac. Il pourrait également, agrémenté d’autres visuels, inciter des chauffards à ralentir, inviter à grimper des marches, et faire penser à éteindre la lumière.
Quatre ou cinq exemples de Nudges qui squattent la grande toile suffisent à créer la surprise, mais s’avèrent un peu justes pour générer une image qui dépasse celle du gadget : en l’état, la nouveauté annoncée manque de souffle et d’ambitions pour convaincre l’annonceur de l’intégrer régulièrement dans ses actions. Le plus simple pour y parvenir est de trouver sur le web d’autres exemples en grand nombre, et des preuves d’efficience, bien entendu. Et si possible des Nudges bien de chez nous, ce serait rassurant. Premier problème : aucun Nudge français n’est sorti du benchmark.
Seconde déconvenue, la littérature Nudge s’est avérée principalement anglo-saxonne : elle est riche et détaillée en exemples, mais fatalement en anglais. D’autre part, cette littérature évoque fréquemment des dispositifs Nudges qui reposent sur des mécaniques sans visuels, résumées par un descriptif un brin austère pour une époque où l’image supplante le texte. Problématique linguistique, aspect souvent spartiate de l’information… autant de biais cognitifs qui rendent le coût de la recherche trop important, occultent ce que nous avons peut-être sous les yeux et dirigent vers la facilité, à savoir ce qui est le plus » saillant » dans le contexte. Au final, coincé entre son urinoir et le sticker, le Nudge, ironie du sort, est victime d’une erreur de cadrage qui biaise totalement sa définition : il est résumé à un outil » low-cost « .
Photo de Une : Ferdinand Stöhr