INfluencia - À quel moment les marques ont-elles commencé à s’intéresser au marketing d’influence ?
Olivier Billon : C’est entre 2008 et 2010 qu’elles ont tissé un lien avec ce que l’on appelait alors « les bloggeurs ». Ces personnes étaient souvent des journalistes qui publiaient des écrits. Parfois, des photos et des vidéos illustraient leurs textes. Les échanges entre les marques et ces tous premiers influenceurs étaient gérés par les équipes de RP qui s’occupaient aussi des relations presse. Des voyages leur étaient réservés parce que les journalistes traditionnels n’aimaient pas se mêler à eux. Tout a changé avec l’arrivée d’Instagram en 2010…
IN - Pourquoi ?
OB : L’arrivée d’Instagram marque le passage du texte à l’image. Du jour au lendemain, l’image n’illustrait plus le texte, c’était le contraire. Durant cette période, nous sommes entrés dans l’ère de la production de contenu. Les photographes qui traînaient devant les défilés de mode pour shooter les looks à venir ont commencé à diffuser leurs clichés sur les réseaux. Au sein même des marques, des équipes ont été mises en place pour gérer la production de contenu. Les salariés en charge des RP se sont mis à collaborer avec ceux qui étaient au marketing. Et dans leurs tutoriels beauté, les marques ont finalement remplacé les mannequins par des influenceurs. Les personnes les plus actives sur les réseaux suivaient la mode et le gaming. Beaucoup étaient graphistes et d’autres testaient des produits électroniques en ligne.
IN - L’essor du marketing d’influence a-t-il été régulier ou a-t-il connu une évolution en dents de scie ?
OB : Son essor a été continu et assez régulier depuis 2008, année de la création d’Ykone. Certains incidents comme la crise des faux followers il y a quatre, cinq ans ont bien provoqué quelques remises en question, mais elles n’ont jamais duré bien longtemps.
IN - Qui est en charge du marketing d’influence au sein des marques ?
OB : Au fil du temps, les marques ont réalisé que le pays d’origine d’un influenceur n’avait pas forcément de lien avec la résidence de sa communauté. Je connais par exemple un Suisse qui a entre quatre et cinq millions de followers mais à peine 1 % d’entre eux vit dans la Confédération. Cette prise de conscience a eu un impact sur la gestion du marketing d’influence dans les entreprises. Aujourd’hui, les sièges des grands groupes se chargent du vetting, c’est-à-dire de l’approbation des influenceurs, ils définissent les briefs créatifs et les modalités contractuelles. Leurs filiales locales sélectionnent les influenceurs avec qui collaborer et elles gèrent les relations avec eux. Ce modèle ressemble à celui des achats médias dans les multinationales.
IN- Quels sont les secteurs les plus actifs sur ce marché ?
OB : Les marques de beauté et de luxe, et notamment des groupes comme L’Oréal et LVMH, sont très bien équipées pour gérer leur marketing d’influence. Il suffit de voir les enfants de Bernard Arnault s’afficher sur les réseaux avec des célébrités et lire le rapport annuel de L’Oréal, qui évoque sans cesse l’influence, pour comprendre à quel point les directions de ces sociétés sont convaincues de l’importance des influenceurs. Cette année, on commence à voir des constructeurs automobiles développer des campagnes de marketing d’influence. Ils ont pris dix ans de retard sur les marques de beauté. Je pense que ce réveil tardif est lié à l’essor des voitures électriques, qui forcent les fabricants à modifier leur storytelling pour séduire d’autres types de clients. Le tourisme est aussi un des secteurs les plus en avance sur les sujets liés au marketing d’influence.
IN - Pour quelles raisons ?
OB : Tout le monde sait qu’un hôtel « instafriendly » donnera envie aux gens d’y aller. Tout dans le nouveau W à Dubaï a été conçu pour inciter les gens à faire des photos et à les poster sur les réseaux sociaux. Ses chambres sont très riches en accessoires, ses cocktails sont particulièrement attrayants et sa piscine infinie a été placée sous le coucher de soleil pour des photos parfaites. Un de nos clients nous a demandé de visiter ses cinq hôtels au Sri Lanka pour améliorer leur « instagramabilité ». Retravailler l’offre des restaurants et des bars pour rendre les plats et les boissons plus photogéniques, mettre en avant des spots bien éclairés, trouver des idées originales comme des sièges creusés dans le sable sur une plage, améliorer l’expérience client avec des fleurs, des cadeaux et des messages de bienvenue dans les chambres… Tout cela encourage les visiteurs à faire des photos et à les publier sur le Net.
IN - Les photos ont aujourd’hui tendance à être remplacées par des vidéos sur les réseaux. Cela change-t-il la donne pour les marques ?
OB : Faire des images ne coûte pas cher, mais pour les vidéos, les marques ont dû accepter de lâcher prise et de passer à l’ère de la content factory. Au lieu de mettre un an à préparer une publicité de 30 secondes, elles doivent aujourd’hui produire en une semaine 30 spots d’une seconde. Les équipes en charge des contenus digitaux ont dû se rapprocher de celles spécialisées dans l’événementiel qui savent faire des contenus live. Certaines marques ont créé leur propre studio en interne, mais la majorité continue de faire appel à des agences externes pour produire leurs vidéos. Leurs social media managers – qui géraient auparavant les calendriers éditoriaux comme un rédacteur en chef peut le faire avec son chemin de fer dans la presse – doivent aujourd’hui produire des contenus sans forcément tout contrôler. Lorsque Samsung a donné à certaines stars des smartphones pour qu’elles fassent des live durant la cérémonie des Oscars, elle a pris des risques, mais cela a bien fonctionné.
IN - Les marques ne cessent de multiplier les formats des contenus qu’elles diffusent sur Internet…
OB : En effet. La sortie du Covid nous a fait entrer dans une nouvelle phase. Les marques ont en effet compris qu’elles devaient poster des contenus spécifiques à chaque réseau. Instagram n’est pas TikTok et un reel n’est pas une story. Elles commencent aussi à tester de nouveaux formats narratifs comme les podcasts et les web-séries. Les marques savent aussi qu’une campagne pertinente doit être locale. Leur professionnalisation se ressent dans les briefs qu’elles nous envoient.
IN - Combien les marques dépensent-elles en marketing digital ?
OB : Il n’existe aucun chiffre précis à ce sujet. Mon feeling est qu’elles investissent dans le marketing d’influence le quart du budget qu’elles consacrent aux médias sociaux et que cette dernière enveloppe pèse le quart des fonds qu’elles investissent dans les médias. En règle générale, lorsqu’une marque dépense tant dans une campagne d’influence, elle consacre un montant similaire dans le paid media afin d’amplifier son audience.
IN - Quels sont les indicateurs qui intéressent le plus les marques lorsqu’elles doivent évaluer leurs campagnes d’influence ?
OB : Il en existe trois principaux. Les KPIs de performance économique permettent de mesurer notamment le nombre de clics ou le trafic sur le site. Les indicateurs de sentiment et de perception évaluent les commentaires positifs postés sur les réseaux. Les ROI basés sur les contenus gratuits, la diffusion plus fréquente de posts et les vidéos plus longues sont ceux qui intéressent le plus les marques actuellement, car elles veulent s’assurer que les moyens qu’elles ont dégagés ont été bien alloués. Ce secteur s’organise. C’est la fin de l’eldorado où tout le monde se disait influenceur ou agence d’influence. Les marques aujourd’hui savent ce qu’elles veulent. Elles évitent les personnalités à risque et prennent soin de savoir avec quel influenceur elles s’associent. Nous autres, agences, devons leur rendre des comptes. Nous quittons l’ère de l’influence pour entrer dans l’ère de la réputation. Les cinq années folles que nous venons de traverser, durant lesquelles les budgets des marques alloués au marketing d’influence ont explosé, ne se reproduiront pas de sitôt. Les arbres ne grandissent pas jusqu’au ciel ! Notre marché se stabilise et les marques veulent optimiser leurs dépenses. C’est une suite logique…