11 avril 2022

Temps de lecture : 8 min

« Nous ne pouvons pas lutter avec Vianney, ou Eddy de Pretto. Notre marché se situe ailleurs », Antoine Bisou, Microqlima

Hier, INfluencia réalisait l'interview de Pascal Bittard, patron du label  Idol. Aujourd'hui,  c'est au tour d'Antoine Bisou, fondateur et directeur artistique de Microqlima d'occuper nos colonnes. L'objectif, en apprendre plus sur cette aventure autour de L'Impératrice, et le succès de ce  groupe d’électro pop parisien.

L’Impératrice cartonne depuis quelques années. Après un développement éclair sur le marché étasunien, le groupe d’électro pop s’est retrouvé propulsé il y a deux ans sur le line up de l’iconique festival Californien Coachella. Un véritable accomplissement pour une formation française, signée, qui plus est, en indépendant. Loin de se laisser griser, ses six membres sont retournés en studio pour nous livrer il y a tout juste un an Tako Tsubo, leur second album.

 

 

Un projet salué par les critiques qui les a conduit jusqu’à une nomination surprise à la dernière édition des Victoires de la Musique, dans la catégorie Révélations. De quoi fêter ça sur les planches du Zénith le 28 mars dernier et par la même occasion fouler la plus grosse scène parisienne de leur carrière. Success is sweet.

Pour en apprendre plus sur les stratégies mises en place pour faire grandir le groupe et conquérir le marché US, mais également sur les évolutions structurelles rencontrées par l’écosystème musical indépendant ces dernières années, nous avons eu la chance de converser avec Pascal Bittard, président et fondateur d’Idol, et Antoine Bigot, fondateur et directeur artistique de Microqlima, respectivement distributeur et label du groupe. Nous avons publié hier notre entretien avec Pascal Bittard, découvrez à présent celui d’Antoine Bisou, tête pensante de l’un des labels les singuliers de notre industrie.

 

INfluencia : comment avez vous mis en place cette fameuse stratégie de conquête des États Unis pour L’Impératrice dont Pascal Bittard nous parlait hier ?

Antoine Bisou : quand Pascal (Bittard) en parle, il ne veut pas dire que nous nous sommes rassemblé autour d’une table pour concocter un plan machiavélique (rire). Notre point de départ a été de nous rendre compte que le groupe suscitait un certain engouement à l’étranger, ce qui est plutôt rare pour une formation française, et cela nous a aidé à prendre confiance pour investir ce champ là. Mais il fallait au préalable en comprendre les raisons. À la sortie de leur premier album en 2018, Matahari, nous avons traduit toutes les chansons en anglais pour toucher le public anglophone. Nous pensions que cela aiderait le groupe à mieux passer en radio et en playlist, mais en réalité c’est tout l’inverse qui s’est produit. Les versions qui ont le plus marché à l’étranger étaient les versions françaises et c’est à ce moment là que nous avons compris que L’Impératrice véhiculait un certain exotisme à la française. Sur le deuxième album, nous avons beaucoup tâtonné. Nous avons d’abord imaginé de signer, avec l’accord de Pascal au préalable, sur un label US. Mais le Covid, et le manque de perspectives à l’export qu’il induisait, nous a incité à faire marche arrière. Résultat, nous sommes resté chez Idol et nous en sommes très satisfait. Cela nous a donné le temps nécessaire pour comprendre que la musique de L’Impératrice n’est pas faite pour être bastonnée par une essoreuse américaine. Nous préférons finalement construire leur succès de manière organique, lentement mais surement, en engageant nous même des attachés de presse dans chaque pays ciblé. Aujourd’hui, nous coordonnons tout depuis la France en conjuguant un marketing digital assez intelligent et le playlisting sur les plateformes permis par Idol. La tournée qui reprend depuis peu va également nous faire beaucoup de bien. Mais le plus important pour nous est que cette conquête passe d’abord par la musique. Pour ce faire, nous essayons de signer des partenariats avec des producteurs étrangers, surtout américains, et ainsi trouver la collaboration adéquate au niveau du son. Si nous y arrivons et qu’un morceau de L’Impératrice se met à cartonner en radio, nous serions alors en position de force pour discuter avec les labels.

IN : au vu de ce que vous nous expliquez, pouvons-nous supposer que ce deuxième album a été spécialement calibré pour le public américain ?

A.B : ce n’est pas si bête de le supposer car quand les membres du groupe ont commencé à le composer, ils avaient clairement le marché américain en tête. Cette volonté est nait de la frustration de se heurter à un certain plafond de verre en France pour ce type de musique. Certes, nous avons réussi à remplir le Zénith de Paris il y a peu, mais on ne pourra jamais lutter contre des artistes mainstream, tels que Vianney ou Eddy de Pretto, dont les producteurs investissent beaucoup d’argent dans des productions calibrées pour la France, mais qui sortent très peu de nos frontières. Notre marché se situe ailleurs. La force de L’Impératrice est que 75% de leurs streams sont générés hors de notre territoire. On a donc préféré capitaliser là-dessus et créer un son que les Français n’ont pas. Ce deuxième album a grandement été influencé par des artistes américains, et surtout californiens, à l’image d’un Tyler the Creator ou d’un Anderson .Paak. On a même fait mixer et masteriser le projet par un ingénieur du son américain très reconnu. Cela nous paraissait être le moyen adéquat pour contourner ce fameux plafond de verre.

IN : comment avez vous réussi à faire vivre ce second album en plein Covid ? À quel point l’interdiction de se produire en concert vous a-t-elle impacté ?

A.B : cela s’est fait en plusieurs temps. Au moment de la pandémie, nous avons choisi de décaler la sortie de l’album. Cela nous a permis, notamment, de le reproduire, et d’en améliorer certains aspects, donc on ne va pas s’en plaindre. C’est à peu près à ce moment là que Coachella a pris la décision d’annuler son édition 2020 – puis celle de 2021 un an plus tard –. Le groupe a tout de suite compris que, dans ce contexte, les artistes qui ne sont pas actifs et capables de raconter une histoire pour ramener leur public dans leur univers n’avaient aucune chance de marcher. On s’est donc grandement investis, dans un premier temps, sur la vidéo. Les membres sont presque devenus des Youtubeurs, ce qui a pu les amuser mais surtout les exténuer, car poster et faire vivre des vidéos sur Internet prend beaucoup de temps et d’énergie. C’était aussi très stressant pour moi de reposer toute notre stratégie là-dessus, sans pouvoir compter sur notre jambe gauche qui est bien évidemment la tournée. Suite à ça, alors que tous les artistes faisaient leurs petites reprises dans leur coin, on a réalisé que cela ne rendait pas justice à la musique, encore plus pour L’Impératrice qui a toujours beaucoup bossé ses lives. En bref, on en avait marre des captations de 3mn balancées sans grande réflexion sur Instagram. Donc on a choisit de recréer virtuellement la tournée que nous avions prévu de faire. On a tourné un concert que l’on a ensuite adapté à chaque pays dans lesquels nous devions nous produire, avec des horaires d’ouverture virtuelle calibrés sur les horaires locaux, une vente de ticket virtuelle, des premières parties, etc. Nous voulions vraiment pouvoir dire : « Ce soir nous sommes à Mexico et pas ailleurs ». Comme on s’y attendait, cela n’a pas forcement été concluant financièrement mais beaucoup plus en terme de retombées médiatiques.

IN : par la nomination récente du groupe aux Victoires de la Musique, sentez vous une ouverture des institutions aux artistes indépendants ? Une ouverture loin d’être désintéressée pour continuer à toucher un public jeune.

A.B : nous ne sommes par les premiers artistes indépendants à être salués aux Victoires, mais il vrai que c’est très rare. Pour expliquer le fonctionnement des Victoires de la Musique, il s’agit d’un vote de toute la profession. Je vois donc cette ouverture avant tout comme un plébiscite pour arriver à une plus grande variété d’artistes présentés, et nous en sommes très fiers. À titre personnel, je regrette juste qu’ils aient enlevé les catégorie spectacle et disques et choisi plutôt de les genrer.

IN : à la fin du concert au Zénith, le groupe vous a personnellement salué pour tout ce que vous avez fait pour eux. Avez vous ressenti une forme d’épanouissement personnel ou étiez vous déjà tourné vers la suite ?

A.B : complètement. Mais ce qui est drôle c’est qu’au début de notre collaboration, je les ai vus pendant longtemps se coltiner des salles de deux cent personnes tout au plus, et j’étais comme un fou, entre le stress et l’émotion. Alors que là, pendant le concert du Zénith, j’étais juste super confiant en eux et en nous et ça m’a permis de l’apprécier beaucoup plus comme un spectateur… et c’est trop bien (rire). Ça m’a aussi permis de me retourner deux secondes sur tout le chemin parcouru au cours de ces dix dernières années.

 

IN : à présent, j’aimerais vous poser quelques questions relatives à votre collaboration avec Idol. Pascal Bittard nous révélait hier : « Ce dont je suis le plus fier c’est d’avoir grandi au contact de certains labels comme Microqlima qu’on a accompagné et qu’on a aidé à structurer ». Comment, de votre point de vue, s’est opérée cette maturation ?

A.B : on leur doit beaucoup, vraiment. En 2016, quand j’ai commencé à vouloir créer ma propre structure, j’ai fait le tour d’une multitude de labels et de distributeurs différents en leur proposant plusieurs deals possibles : contrat de licence, de rachat etc. Au moment de rencontrer Idol, j’y allais un peu en reculant car j’avais des doutes sur la capacité de cette structure, relativement petite, à faire face aux mastodontes de l’industrie. Mais j’y ai trouvé des gens qui souhaitaient avant tout bosser sur un pied d’égalité avec moi, là où j’avais parfois pu sentir du mépris à mon encontre chez leurs concurrents, avec Idol, il n’y a jamais eu de refroidissement face aux obstacles, ce qui m’a séduit. Ils m’ont tout de suite encouragé à recruter des employés, à acquérir des locaux, à apprendre telle ou telle chose sur le marketing pour finalement me faire prendre confiance en mes capacités. C’est extrêmement sécurisant de savoir que quelqu’un, ou qu’une structure, assure tes arrières. Cela me permet de prendre des risques, mais aussi de rester indépendant, ce qui est un vrai luxe.

IN : Pascal nous expliquait que son expertise sur la distribution en physique vous a beaucoup apporté au début de votre collaboration. Cette dimension est-elle aussi importante que par le passé ?

A.B : finalement elle n’était pas si essentielle à l’époque non plus. En allant les chercher, j’étais avant tout conscient de la nécessité de playlister mes artistes sur le digital. De jour en jour, le physique diminue. Mais malgré tout, sur un projet comme celui de L’impératrice qui se veut grand public, on est obligé de passer par là. Donc c’est difficile à dire. Aujourd’hui, ce qui prend le plus de place est le B to C, à savoir les boutiques en ligne pour le merch, le direct to consumer, que des éléments dont Idol ne s’occupe pas.

IN : non pas que c’est ce que l’on vous souhaite, mais que manque-t-il aujourd’hui à une structure comme Microqlima pour se priver d’un distributeur ?

A.B : le vrai avantage d’Idol, et qui nous sert, est qu’ils sont prêt de 60. C’est un avantage de nous allier avec quelqu’un de plus gros que nous, qui sera plus écouté par l’industrie et qui obtient plus souvent des services préférentiels que je ne pourrais jamais allé chercher avec mon seul catalogue. Mais surtout, il faut choisir ce qu’on veut dans la vie. Personnellement, la distribution ne m’intéresse pas. C’est la DA qui me passionne. Cela vaut également pour les artistes qui choisissent de se priver d’un distributeur en pensant que leurs marges seront plus importantes alors que pas du tout. L’union fait la force.

 

 

 

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