22 mai 2023

Temps de lecture : 4 min

« Notre offre originale n’a pas vraiment rencontré d‘équivalent » : Jacques Letertre, (Société des hôtels littéraires)

La Société des hôtels littéraires fête ses 10 ans et annonce l’ouverture d'un 7e établissement, consacré à Stendhal, en 2024 à Nancy. Rencontre avec le président passionné et passionnant de cette entreprise 100% familiale, Jacques Letertre. Un « liseur » compulsif…
INfluencia : comment en arrive-t-on à investir dans des hôtels à thème littéraire ?

Jacques Letertre : J’ai acheté un premier hôtel en 1988 ; petit à petit, j’ai fondé un groupe comprenant une douzaine d’établissements trois étoiles. Lorsqu’il a été question de passer en quatre étoiles, à l’orée des années 2010, j’ai cherché ce qui pouvait différencier mes hôtels des autres. Depuis tout petit, j’ai toujours eu une passion dévorante pour les livres. Je suis ce que Stendhal appelait un « liseur » : le livre chez moi est compulsif. De plus, l’histoire du livre et de la France sont indissociables : nous sommes le pays au monde qui a reçu le plus grand nombre de prix Nobel de littérature.

Le meilleur moyen d’attirer des gens est sans doute de leur faire partager votre passion. J’ai donc créé la Société des Hôtels Littéraires pour partager l’amour des livres avec ces milliers de visiteurs que je ne connais pas, mais qui, je le sais, sont heureux de retrouver un auteur ou un ouvrage au hasard d’un voyage à Paris, Rouen, Clermont-Ferrand ou Biarritz. Et j’ai commencé par Proust, au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint-Augustin, car je suis un amoureux absolu de son œuvre. – « La recherche du temps perdu » a changé mon existence –

 

   Ne pas être présents dans toute la France mais faire correspondre un endroit géographique avec l’écrivain que nous aimons

 

INf.: : et aujourd’hui ?

J.L. : À l’époque, je n’étais pas certain d’en faire plusieurs. Quand j’ai créé le Swann, en 2013, c’était un essai. Mais devant le succès rencontré – une fois la transformation et les travaux terminés, le chiffre d’affaires du Swann a grimpé de 40 % -, nous avons décidé d’en lancer un deuxième, puis un troisième. Nous avons aujourd’hui six hôtels opérationnels, tous des quatre étoiles. Trois sont à Paris :  le Swann (8e), Marcel Aymé (Montmartre) et Arthur Rimbaud (10e).  Il y a aussi Gustave Flaubert à Rouen, Alexandre Vialatte à Clermont-Ferrand et Jules Verne à Biarritz.  Nous allons ouvrir dans un an le septième, consacré à Stendhal, à Nancy, ville où l’écrivain situe la première partie de son roman Lucien Leuwen. C’est un auteur pour lequel je détiens déjà une importante collection de livres, de lettres et d’éditions originales.

L’idée n’est pas d’être présents dans toute la France mais de faire correspondre un endroit géographique avec l’écrivain que nous aimons. Autour de ces hôtels, il y a une histoire cohérente, et pas seulement un travail de communication.  Avant l’acquisition d’un établissement, il faut que nous aimions l’écrivain lié au lieu d’implantation. Le prochain, après celui consacré à Stendhal, portera nécessairement le nom d’une femme de lettres : Colette ou George Sand.

En outre, il faut que la ville soit assez grande pour justifier un mélange de clientèle professionnelle et touristique ; et pour qu’un hôtel soit rentable, il faut au moins 40 chambres. Les villes idéales seraient Nantes, Bordeaux ou Orléans.

 

INf. : qui sont vos clients ?

J.L.: Une partie de la clientèle est composée de gens qui aiment les livres ou qui viennent dans nos hôtels car ils en ont entendu parler, grâce à la presse et à nos soirées littéraires ; d’autres parce que les hôtels sont tous situés en centre-ville, où ils veulent se rendre pour leur travail ou pour visiter. Nous avons aussi beaucoup de touristes étrangers, curieux de s’immerger dans l’univers de grands écrivains français. Et puis il y a aussi les passionnés, comme ce groupe de blogueurs indiens venu passer quinze jours au Swann ; cependant, ils ne représentent pas plus de 5 à 10% de notre clientèle.

 

   Nous concevons chaque hôtel comme de véritables petits centres culturels au sein de la ville et de leur quartier

 

INf. : qu’est-ce exactement qu’un Hôtel Littéraire ?

 

J.L.: Ce sont des hôtels qui rendent hommage à l’écrivain choisi par de multiples approches artistiques pour offrir un parcours culturel original à leurs hôtes. Les chambres portent le nom de personnages (par exemple, nous avons sélectionné 81 noms sur les presque 200 personnages de la Recherche), de poèmes ou de livres, et sont illustrées d’aquarelles pour proposer aux visiteurs un séjour sur mesure dans l’univers de l’auteur.

Des bibliothèques multilingues d’au-moins cinq cents livres sont à la disposition des lecteurs, non loin des éditions originales et des reliures d’art exposées dans les vitrines. Chaque hôtel possède un espace dédié à l’exposition des collections réunies au fil des années sur chaque écrivain : des manuscrits, des créations de grand couturier, des œuvres d’art et des objets d’époque côtoient des créations contemporaines d’artistes locaux qui réinterprètent les classiques.

La vie y est rythmée par des soirées littéraires, des remises de prix, des expositions artistiques et des spectacles. Avec ma directrice littéraire Hélène Montjean, nous concevons chaque hôtel comme de véritables petits centres culturels au sein de la ville et de leur quartier.

 

 Nous rencontrons désormais d’autres types de clientèle
INf. : covid, concurrence de Airbnb, baisse des voyages professionnels de courte durée, etc. Comment vous êtes-vous adapté ?

 

J.L. : L’expérience a montré que, lorsqu’il y a un ralentissement de l’activité nous ralentissons moins que les autres et quand tout repart nous repartons plus vite et mieux que les autres. En ce qui concerne le confinement, nous avons profité de cette période pour faire de nombreux travaux dans les hôtels, ce qui a motivé nos troupes et les a aidé à passer cette période délicate autour d’un projet commun.

Nous sommes dans un secteur encore en plein essor et Paris est une ville très attractive pour les touristes. Or, on y a détruit plus de 15 000 chambres d’hôtel intramuros. De plus, notre offre originale n’a pas vraiment rencontré d‘équivalent.

Nous rencontrons désormais d’autres types de clientèle : les clients professionnels qui venaient le jeudi, vont rester le week-end et leur famille les rejoindront ; sans oublier ceux qui, de plus en plus, pratiquent la « staycation » (je vais dormir dans un autre quartier de ma ville que je ne connaissais pas).

Nous avons également utilisé les espaces communs, qui ne servaient qu’aux petits déjeuners, pour organiser des évènements culturels ; nous louons aussi nos salles de sport à des professeurs extérieurs. L’idée est que l’hôtel ne soit plus seulement un simple hôtel.

 

  Nous sommes une entreprise à mission, soucieuse de promouvoir le livre et la littérature auprès du plus grand nombre

 

INf. : Vous restez une entreprise familiale ?

J.L.: Oui, nous sommes une entreprise 100% familiale. Mon fils Alban, qui était d’abord directeur financier du groupe, occupe aujourd’hui le poste de directeur général.

Sous son impulsion, la Société des Hôtels Littéraires a choisi de s’inscrire parmi les pionniers de la transition énergétique et écologique dans le milieu touristique. Nous avons rejoint la communauté Coq vert de la BPI en tant que membre éclaireur afin d’aider à notre tour les entreprises soucieuses de participer à cette évolution du secteur hôtelier. Tous les Hôtels Littéraires ont reçu le label international Clef verte, le premier label de tourisme durable pour les hébergements touristiques.

En parallèle, nous sommes une entreprise à mission, soucieuse de promouvoir le livre et la littérature auprès du plus grand nombre, certains que la culture est la clé de voûte du développement durable. Les Hôtels Littéraires se font mécènes et deviennent des acteurs culturels incontournables dans leur ville ou dans leur quartier en proposant un accès libre et gratuit à leurs espaces de recherche et de lecture, à leurs collections et à leurs évènements publics.

 

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