9 avril 2025

Temps de lecture : 4 min

« Nos métiers ont une fâcheuse tendance à l’auto-caricature… Je fais très attention à ça », Fanny Camus-Tournier

Après avoir bourlingué dans les plus stylées des agences, de La Chose à Hérézie, en passant par Buzzman et Ogilvy Paris, Fanny Camus-Tournier est aujourd'hui Freelance. Cela fait deux ans qu'elle s'épanouit en pratiquant ce métier essentiel en agence. Au parloir, la plus percutante et spirituelle des femmes de pub.

INfluencia : Fanny, vous avez fait le choix il y a deux ans de devenir freelance ? Pourquoi ?

Fanny Camus-Tournier : parce que je voulais très sincèrement tout arrêter. Et puis… me voilà : même métier, même vertiges répétés de la page blanche, mais des conditions plus épanouissantes pour moi.

IN. : vous êtes planneuse stratégique, avez travaillé au sein de belles agences, diriez-vous que ce métier se pratique « du dehors » aussi bien que de l’intérieur ?

F.C-T. : oui. à une grosse condition près : l’expérience. Quand une agence ou une marque t’appelle, c’est souvent parce qu’il n’y a pas le choix : parce que l’enjeu est gros, parce que les équipes ne sont pas dispos, parce que « on n’a jamais fait de travail sur la marque, mais là c’est le moment« . Dans un contexte comme dans un autre, il faut être efficace, comprendre, te mettre en ordre de bataille, délivrer. Ça, c’est l’expérience (et le travail) qui te l’assure(nt), surtout dans mon métier.

IN. : quels sont les plus, les contre ?

F.C-T. : les plus : tu n’es plus une vieille chaussette mais une belle paire de pompes qu’on sort pour les grandes occasions. Les contre : l’éventualité que demain on n’ait plus besoin d’une belle paire de pompes.  

IN. : n’avez-vous pas naturellement élargi votre champ de compétences ? Travaillez-vous seule ? Constituez-vous des équipes ?

F.C-T. : j’ai toujours travaillé sur des sujets très différents. sur de la grande distribution le matin. Sur une start-up de la tech l’après-midi. C’est notre industrie qui veut ça. Ce qui me change aujourd’hui, c’est la nature des sujets. Aux incontournables briefs créatifs, recommandations stratégiques, plateformes de marque, viennent s’ajouter de la création de marque, de la stratégie sociale, des creative sprints. C’est une diversité à deux dimensions qui me plaît. Surtout qu’au final, il est toujours question de stratégie de marque.  

IN. : comment s’est déroulé la recherche de clients ? Via agences, via annonceurs ? Est-ce compliqué ?

F.C-T. : à part deux rencontres que j’ai initiées, je n’ai jamais eu à rechercher des clients. J’ai de la chance. Je connais des gens biens qui me connectent à des gens biens.

IN. : que cherchent les clients quand ils viennent à vous ?

F.C-T. : du concret. Nos métiers, celui de planneur en particulier, ont une fâcheuse tendance à l’auto-caricature. à être prétentieux, complexes, nébuleux. Je fais très attention à ça : je fais de la stratégie qui fait quelque chose. qui inspire, qui s’active, qui sert autrement dit. 

IN. : la créativité publicitaire est de nouveau au « beau fixe », ou du moins, est de retour après trois années de léthargie. Diriez-vous qu’il s’agit d’une renaissance après une sidération, face à la menace brandie de l’IA, de la data, de la tech en général ?

F.T-C. : l’envie de faire de la bonne création a toujours été là. Je n’ai jamais entendu « attends, bouge pas, on va sortir une bonne grosse bouse dont on aura tellement honte qu’on n’osera même pas la montrer à nos proches. » La fierté, c’est le moteur de notre industrie, elle est parfois enrayée par des planètes pas bien alignées. Ça ne semble pas être le cas aujourd’hui et c’est une très bonne nouvelle pour notre attractivité, tant en termes de recrutement que de business. 

IN. : j’imagine que vous regardez ce qui se passe à l’étranger, avez-vous l’impression qu’à l’international (les pays dits créatifs en tout cas) il se passe également des choses fortes ?

F-C.T. : oui et la saison 2025 des Awards va venir le confirmer. Pour autant, il y a des idées créatives qui leur échappent encore comme l’UGC (User Generated Content). Certains sont absolument géniaux, Alpacasa.nl, Susie Bachar, tant en termes d’insight, de craft, de lol, tels les Donald Trump Memes (pardon Monsieur Toubon : de vérités humaines, de qualité d’exécution, de situations hilarantes). C’est de ce côté que sont les choses les plus inspirantes selon moi.

IN. : on évoque beaucoup l’émotion, la seule caractéristique que l’IA ne pourra pas nous prendre ? Qu’en dites-vous ? Que vous disent vos clients sur cette question ?

F.C-T. : franchement, ce sont des conversations que je n’ai pas encore eues, sans doute parce que l’IA s’est imposée dans la production, pas (encore) dans la stratégie. 

IN. : L’IA est une imitatrice pourquoi ne pourrait-elle pas être émotionnelle ?

F.C-T. : parce qu’une émotion a besoin de surprise pour être suscitée. Et que ce n’est pas quelque chose qui s’imite par définition.

IN. : du coup, pensez-vous que la créativité émotionnelle est et restera humaine ?

F.C-T. : je pense même que le rebond de notre industrie est là. Dans les idées que nous seuls sommes à même de chercher et de trouver. 

IN. : utilisez-vous Chat GPT dans votre activité ?

F-C.T. : oui. Pour me donner des idées simplistes et rassurantes, quant à ma capacité de faire mieux. 

IN. : au sein de notre monde très mouvant, comment évolue ce métier ?

F-C.T. : il compose avec ce monde très mouvant. Je ne pense pas qu’on soit les plus mauvais à ça parce que c’est inhérent à ce qu’on fait : humer l’ère du temps et souffler des bonnes idées. 

C’est d’autant plus important de ne pas se flageller quand on voit que Netflix propose maintenant des coupures pubs et des émissions en live ou quand on voit que les créateurs montent leurs agences avec des commerciaux, des concepteurs et des producteurs. Ça prouve que tout n’est pas non plus à réinventer.

IN. : vous êtes une senior, comment voyez-vous les jeunes évoluer au sein de ce métier ?

F. T.C. : il y a les très crédules. Il y a les très critiques. Celles et ceux qui vous se réjouir d’avoir un brief SHEIN parce que « c’est là que j’ai trouvé ce sac ! « . Celles et ceux qui seront outrés par ce que « c’est le plus gros pollueur de la fast fashion ever« . Je pense que c’est important de cultiver les deux. Être enthousiaste et éveillé.e.

IN. : quel avenir pour les jeunes dans ce métier ? (juniors, inconnus, formation)

F. C-T. : l’avenir des jeunes dépend des vieux. Pardon : des « seniors ». C’est à nous de faire entrer cette lumière extérieure pas tout à fait comme on a l’habitude. Mais avec laquelle il y a forcément des trucs à faire. Dont on pourra toutes et tous être fièr.e.s. la fierté, j’y reviens. Mais je pense vraiment que c’est la clé de l’attractivité et de la longévité dans ce métier. 

IN. : Tout va très vite, comment faire le tri, préconiser une stratégie ?

F. C-T. : « strategy is sacrifice » c’est une phrase attribuée à David Ogilvy. Alors tel le boucher, je taille dans le gras et avec l’expérience, le geste devient plus rapide et plus précis. 

En savoir plus

Fanny Camus-Tournier est membre fondateur du Collectif du planning Stratégique depuis sa création en 2019. Un Collectif fondé et présidé par Sébastien Genty dont Influencia est partenaire*

Les objectifs :

Faire mieux connaître un métier et plus largement une discipline, qui existe peu dans l’esprit des entreprises, des écoles et d’un grand public intéressé par les marques, le business et la stratégie.

  • Valoriser l’apport des agences au-delà de leur qualité créative.
  • Faire découvrir de nouvelles pratiques, de nouvelles façons de réfléchir aux marques et aux problématiques de changement de comportement et/ou d’attitude.
  • Faire progresser et grandir une profession qui est nécessairement en pleine évolution au regard des changements profonds des modèles de consommation et du paysage media.

Le Collectif du Planning Stratégique, pour quoi faire ?

On attend d’une campagne qu’elle ait un impact positif sur l’image de la marque, qu’elle soit efficace sur les ventes d’un produit ou d’un service ou qu’elle ait un effet tangible sur un changement de comportement. Quand les résultats correspondent à ces attentes, on considère le plus souvent la création comme levier principal.

C’est évidemment tout à fait juste. Une idée créative forte, pertinente et produite avec talent est le meilleur gage de réussite d’une campagne. Et basiquement c’est ce que voient les gens. Pour autant, il y a eu le plus souvent un travail de réflexion qui a nourri le travail créatif, avant d’aboutir au travail créatif.

Comprendre la segmentation de la cible, analyser la situation de la marque, comprendre le marché, l’époque, la data, définir le bon problème, trouver le bon insight sur la catégorie, la cible ou plus largement l’époque… Pour aider à définir la bonne zone de recherche créative.

Ce « matériau » de base est le fruit du travail de planning stratégique. Il peut être réalisé par des planneurs, c’est leur rôle, mais c’est aussi un travail qui se fait par itération en échangeant avec les commerciaux, les créatifs, les annonceurs évidemment.

Il y a aujourd’hui des prix pour célébrer, l’efficacité, la créativité, mais aucun qui ne mettent en avant directement cette discipline nécessaire à toute création. Cela existe en Amérique du sud, aux Etats-Unis ou en Angleterre, mais pas en France. On s’est dit que c’était dommage.

Le Collectif du Planning Stratégique a donc pour objectif de faire exister un prix pour mettre en lumière, non pas seulement une profession mais une pratique : le planning stratégique.

  • Le prochain Grand Jury pour les CPS Awards 2025 à lieu ce jeudi 10 avril.

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