INfluencia : le bras de fer entre la « papesse » de la téléréalité Magali Berdah et le rappeur Booba qui l’accuse, devant les tribunaux, de faire « la promotion d’arnaques en ligne » risque-t-il de porter atteinte à la réputation des influenceurs et d’effrayer les marques qui collaborent avec eux ?
Nicolas Gondeau : les scandales qui éclatent en ce moment montrent que le marketing d’influence commence à devenir une industrie de plus en plus mature. Les chiffres le prouvent. Entre 2018 et 2021, le marché de l’influence est passé de 4,6 à 13,8 milliards de dollars mais le cap des 22 milliards ne devrait pas être atteint avant 2025. Le marketing d’influence est devenu incontournable et il est actuellement en pleine phase de structuration.
IN : il y a toutefois encore beaucoup de tricheries et d’excès sur ce marché…
N. G. : en effet. On estime aujourd’hui que 50% des influenceurs sont impactés par la fraude. Certains sont responsables de cette situation mais d’autres en sont les victimes. Les influenceurs basés à Dubaï qui ne paient pas d’impôts ne sont que la face cachée de cet iceberg. Cela pose un réel problème de RSE pour les marques et les plateformes.
IN : comment font-elles pour lutter contre ce problème ?
N. G. : le marché se professionnalise. Les plateformes investissent beaucoup pour aider les influenceurs à produire des contenus de meilleure qualité. YouTube a placé 100 millions de dollars dans son fonds, baptisé YouTube Shorts, pour soutenir les créateurs qui ont diffusé les vidéos les plus regardées et les plus engageantes sur son site. En France, le marché est encore très atomisé. 80% de l’audience est assurée par des nano et des micro-influenceurs. Parmi cette multitude d’internautes, les marques ont du mal à trouver ceux qui correspondent le plus à leurs besoins et à leurs attentes. On commence à voir des plateformes d’e-commerce très pointues qui se spécialisent auprès de ces créateurs de contenus mais ce phénomène est très récent. L’année dernière, le marketing d’influence ressemblait encore au Far-West. Aujourd’hui, ce secteur se professionnalise et se structure.
IN : comment cela va-t-il se traduire pour les influenceurs ?
N. G. : les nano et les micro-influenceurs pourront toujours continuer de produire des contenus de manière totalement indépendante. En revanche, les leaders d’opinion qui comptent plusieurs millions de followers vont devenir de véritables égéries pour les marques au même titre que les stars de la musique et du cinéma. Pour obtenir des contrats, ils vont devoir respecter les conditions imposées par les annonceurs. Ils vont avoir des obligations à remplir.
IN : les agences spécialisées dans le marketing d’influence se professionnalisent-elles aussi ?
N. G. : sans aucun doute. Ces dernières années, leur nombre a explosé. On est passé de 190 à 1600 agences entre 2015 et 2021. En France, 300 des 1500 agences de com feraient du marketing d’influence même s’il est difficile d’avoir une évaluation exacte de ce chiffre car presque tous les cabinets disent en faire alors que cela est loin d’être le cas. Nous sommes, depuis peu, entrés dans l’ère de l’ultra-spécialisation. Les agences se concentrent sur un point de contact en particulier comme Twitch et TikTok car aujourd’hui, chaque réseau social a ses propres codes et ses typologies de contenus. On ne peut pas être généraliste sur les réseaux sociaux. Tout est beaucoup plus compliqué de nos jours. Ce n’est pas comme dans la presse où la même publicité peut être publiée dans de nombreux titres différents.
le marché de l’influence est tellement atomisé qu’il faut l’industrialiser aujourd’hui. Seule la technologie est capable de sélectionner pour une marque un influenceur plutôt qu’un autre
IN : Squeezie qui compte 17 millions de followers sur YouTube travaillé, en une semaine, pour Gucci et Dior Couture ainsi que pour le lancement du film « Le Nouveau Jouet » au Rex et pour une course automobile qui se déroulait sur Twich ce week-end. Est-il aujourd’hui gérable pour des marques d’avoir des influenceurs sur autant de projets différents?
N. G. : Squeezie est en effet très présent en ce moment ! Tout comme le sont les contrats d’égéries, les contrats signés avec les influenceurs devraient évoquer des notions d’exclusivités, ou de territoires/marques où peuvent s’exprimer ces leaders d’opinion. Mais étant donné les logiques court-termistes de ces partenariats, l’exclusivité semble exclue dès le départ… Maintenant, le principe même des ecosystèmes digitaux étant leur fort niveau d’atomisation/cibles affinitaires, il semble peu probable qu’une même cible soit confrontée à tous les contenus que vous évoquez dans l’exemple de Squeezie.
IN : comment les marques peuvent-elles choisir les influenceurs et les plateformes qui correspondent le mieux à leurs besoins ?
N. G. : le marché de l’influence est tellement atomisé qu’il faut l’industrialiser aujourd’hui. Seule la technologie est capable de sélectionner pour une marque un influenceur plutôt qu’un autre et la plateforme sur laquelle diffuser ses messages. Le seul « hic » est que cette technologie n’est pas encore prête. Elle va le devenir mais ce n’est pas encore le cas en 2022. Comme je vous l’ai dit précédemment, ce marché se professionnalise mais il n’est toujours pas mature.