9 janvier 2022

Temps de lecture : 10 min

« NFT et métavers, des opportunités incontestables pour le luxe », Stéphane Galienni (Balistikart)

BLSTK, le bureau de tendances de l’agence Balistik # Art, lance deux études : la première WTF THE NFT décrypte le phénomène des "jetons non fongibles" au travers de 50 cas d’études NFT appliqués aux différents univers du luxe. La deuxième, « Meta-Luxury 3.0 » sortira à la mi-février, avec une prise de recul sur le concept de « Métavers ». Stéphane Galienni, co-fondateur de Balistikart et directeur des deux études, nous livre en exclusivité quelques insights. 
INfluencia: vous venez de publier une étude WTF THE NFT. Pouvez-vous nous rappeler brièvement, ce que sont les NFTs et le monde métavers ?

Stéphane Galienni : La technologie NFT est l’arbre qui cache la forêt d’un nouveau paradigme, le web 3.0, symboliquement représenté par un nouvel environnement digital, le métavers. Un NFT est l’acronyme de Non-Fungible Token – jeton non fongible dans la langue de Molière – qui désigne une signature cryptographique unique associée à un objet numérique ou physique, encodée et stockée dans une blockchain, donc infalsifiable. Si le phénomène génère autant d’appréhension et de débat, le concept est néanmoins équivalent à des principes connus dans le monde réel : l’acte de propriété immobilière, le certificat d’authenticité en art, le poinçon de Genève en Haute-Horlogerie, pour ne citer que quelques exemples. 

Ce qui en revanche est relativement nouveau, c’est que ce « certificat numérique » NFT permet d’authentifier la version originale d’un fichier – JPG ou GIF, par exemple – ou autres « assets digitaux » face à ses innombrables copies, par définition multipliables à l’infini dans les échanges de données informatiques. 

Le terme Metavers a été inventé par l’auteur de science-fiction Neal Stephenson au début des années 90

Le « Métavers » est l’autre « buzzword » de l’année 2021, notamment depuis l’annonce faite par Mark Zuckerberg, qui restructure toutes ses activités sous une nouvelle marque ombrelle, baptisée « Meta ». Le terme en lui-même associe deux notions complémentaires, « Méta » et « Univers », pour décrire un espace virtuel et fictif, qui se situe littéralement « au-delà du monde réel ». Le terme a été inventé par l’auteur de science-fiction Neal Stephenson au début des années 90, mais le concept a largement été transposé au cinéma, de Tron à Matrix, en passant par Ready Player One. De la fiction à la réalité, on peut considérer que la plateforme « Second Life » créée en 2003 est historiquement le premier métavers de l’histoire du web. 

IN. : les métavers et les NFT sont-ils l’avenir du luxe? Pour quelles raisons? 

S.G. : Si le luxe et le digital sont deux concepts intrinsèquement opposés, la technologie NFT et l’environnement métavers démontrent que les deux univers finissent par converger autour d’enjeux stratégiques fondamentaux : certification d’authenticité, rareté numérique, crypto-monnaies, expérience client « immersive » ou « augmentée » etc. qui sont autant de passerelles évidentes entre les deux mondes.

La technologie NFT et le monde des métavers sous l’essor du web 3.0, constituent une opportunité d’avenir incontestable pour le luxe, avant tout pour des raisons économiques : la conquête de nouveaux marchés porteurs, hautement spéculatifs.

« l’écosystème global des métavers et des NFT pèsera 50 milliards de dollars d’ici 2030 pour le luxe »

Dans une étude qui vient d’être publiée, l’institution financière Morgan Stanley évalue l’écosystème global des métavers et des NFT à 250 milliards de dollars d’ici 2030, dont 50 milliards pour le secteur du luxe.

On en mesure déjà les signes avant-coureurs, après des ventes records dans le milieu de l’art en 2021 (2,7 milliards de dollars sur l’exercice 20-21 selon un rapport Artprice) mais aussi dans le luxe et la mode au second semestre. Comme en témoigne la Collezione Genesi de Dolce & Gabbana, une première vente record NFT a atteint en septembre dernier un montant phénoménal de 5,65 millions de dollars ! Autre phénomène marquant en fin d’année 2021, le prix des terrains NFT qui s’enflamme dans les métavers tels que Decentraland ou The Sand Box : environ 106 millions de dollars auraient été investis sur ces plateformes, fin novembre. Ces investisseurs 3.0 auraient même conçu des « malls » virtuels pour y accueillir les grandes enseignes du luxe. 

Une étude récente prévoit que 60% de la population mondiale sera équipée d’un « digital wallet » sur ses terminaux mobiles en 2025.

De plus, un avenir inéluctable est lié aux nouveaux usages d’une clientèle de luxe 3.0 : démocratisation des crypto-monnaies comme moyen de paiement dans l’industrie du luxe, adoption à court terme de nouveaux moyens de paiement « cryptographique ». Une étude récente prévoit que 60% de la population mondiale sera équipée d’un « digital wallet » sur ses terminaux mobiles en 2025. 

Enfin, un avenir est plus que probable pour la diversification stratégique des entreprises du luxe dans leur expansion vers de nouveaux secteurs hautement stratégiques, comme celui des jeux vidéos qui se positionne aujourd’hui comme le marché le plus florissant de « l’Entertainment », passé en première position devant l’industrie du cinéma et celle de la musique. 

Associées à la technologie NFT et aux mondes métavers, les grandes marques de prestige vont pouvoir se lancer dans le v-commerce, c’est-à-dire vendre des répliques virtuelles de leurs produits réels sous forme de NFT en série limitée par exemple, voire extrapoler des produits emblématiques dans de nouveaux environnements virtuels fantaisistes, tels que les métavers.

IN. : quelles sont les opportunités pour les marques? Pourquoi y aller?

S.G. : La technologie NFT ouvre le champ des possibles pour les marques « désirables », car elle incarne certains « préceptes » fondamentaux du luxe : authenticité, traçabilité, exclusivité, rareté ou démesure.

A l’initiative de LVMH, la blockchain « Aura » forme un consortium inédit avec d’autres grands groupes tels que Richemont et Prada (qui ont rejoint le projet en 2021) et marque un nouveau tournant dans la lutte contre la contrefaçon des produits de luxe.

La première application concrète, de toute évidence, c’est l’authentification d’un bien, réel ou virtuel. Avec le développement florissant du marché de la seconde main, où la contrefaçon se développe de façon exponentielle, le NFT permet de certifier la provenance des matières premières d’un produit de qualité, de consigner les étapes du processus de manufacture qui témoigne du savoir-faire unique d’une maison. Toutes ces données seront « cryptées » dans le jeton non fongible associé au produit sorti de l’atelier, assurant à son acheteur mais aussi à son futur acquéreur en cas de revente, l’authenticité d’un bien de luxe. A l’initiative de LVMH, la blockchain « Aura » forme un consortium inédit avec d’autres grands groupes tels que Richemont et Prada (qui ont rejoint le projet en 2021) et marque un nouveau tournant dans la lutte contre la contrefaçon des produits de luxe.

La seconde opportunité offerte par la technologie NFT, c’est de toucher de nouvelles cibles difficiles à atteindre jusqu’à présent, surtout dans des environnements digitaux ; en particulier deux catégories de clientèle diamétralement opposées: la génération alpha et les UHNWI (ndlr : les Ultra High-Net-Worth Individuals, qui disposent d’une fortune d’au moins 30 millions de dollars)

« Acheter un NFT, c’est aussi appartenir à une communauté « crypto-élitiste » centrée autour de nouvelles valeurs libertaires et rebelles »

Car au-delà d’une simple technologie émergente, le NFT est aussi un catalyseur d’émotions fortes pour une communauté « crypto » qui ne correspond en rien à une segmentation CSP+ en marketing traditionnel. Pour les investisseurs à fort pouvoir d’achat en crypto-monnaie (dénommés Baleines dans le jargon) ou les simples « gamers » souhaitant faire évoluer leur « avatar » virtuel dans les métavers, l’engouement pour les NFTs est motivé par la passion humaine autant que par la spéculation financière.

En témoigne le phénomène des « crypto-punks » : des collectibles NFT comprenant 10.000 figurines uniques en « pixel art » dont le moins rare est déjà évalué à plus 100.000 dollars et dont le volume de transactions globales avait déjà dépassé le milliard en août dernier. Acheter un NFT, c’est aussi appartenir à une communauté « crypto-élitiste » centrée autour de nouvelles valeurs libertaires et rebelles – pour ne pas dire punks – symboliquement orientée vers une nouvelle culture d’un nouveau « far web » 3.0.

Une troisième opportunité notable dans l’emploi du NFT, c’est sa dimension e-CRM. La relation entre un consommateur et une marque prend fin après la transaction. Alors que le NFT associé à l’objet vendu permet à une entreprise de conserver un lien permanent avec son client en lui donnant accès à des privilèges, des espaces exclusifs en s’insérant dans sa vie numérique. Cette pratique est rendue plus facile par la désintermédiation inhérente au fonctionnement des NFTs.

Il y a bien d’autres opportunités que nous avons listées dans nos études de cas, mais pour conclure, disons que l’utilisation des jetons non fongibles n’a de limite que le manque d’imagination des marques.

IN. : tous les secteurs du luxe sont-ils concernés? N’est-ce pas déjà trop tard? 

S.G. : Dans notre étude WTF the NFT, nous avons décrypté plus de 50 études de cas dans les différents domaines du luxe sur l’ensemble de l’année 2021 (Horlogerie/bijouterie/joaillerie/orfèvrerie, mode, beauté, vins et spiritueux, automobile et tourisme de prestige) et même quelques exemples en dehors du secteur luxe. Donc oui, tous les secteurs sont concernés, et non, il n’est jamais trop tard pour s’intéresser à une technologie émergente qui préfigure le web 3.0 !

 

Les maisons de luxe et griffes de mode qui ont surfé sur la tendance NFT en 2021 ont profité du buzz médiatique qui entoure ce nouveau phénomène « digital » certes, mais cela ne sera plus le cas en 2022 : il faudra redoubler de créativité et d’originalité pour émerger après le peloton de tête des marques « précurseurs » tels que Nike, Adidas ou Gucci, pour ne citer qu’elles. Comme dit plus haut, le marché des NFT offre de réelles opportunités de diversification sur de nouveaux marchés porteurs tels que les jeux vidéos, la réalité augmentée et les mondes virtuels.

IN.: qui sont les crypto-utilisateurs? 

S.G. : C’est une question importante car les données que nous avons sur le sujet sont, d’une part, en constante évolution et, d’autre part, pas complètement fiables, selon les sources observées. Les estimations actuelles sont évaluées entre 200 et 300 millions d’utilisateurs en 2021, soit entre 2,5 et 4% de la population mondiale. Lark Davies, investisseur et influenceur « crypto » a publié sur Twitter un graphique édifiant qui démontre que, à titre comparatif, le taux d’adoption des crypto-monnaies est similaire à celui de l’internet. Si son raisonnement est exact, nous serions environ 1 milliard d’individus à utiliser la crypto-monnaie en 2027. Tous ces chiffres sont bien sûr à prendre avec des pincettes mais une chose est néanmoins palpable, c’est que la « crypto-culture » est bel est bien émergente. Environ 40% des Américains sont familiers avec le concept de NFT et 27% des millennials déclarent investir dans les NFT selon une étude AdWeek/Harris Poll.

En recoupant les chiffres-clés obtenus par différentes études quanti et à partir d’entretiens quali, nous avons établi 7 profils-types d’utilisateurs, allant du « crypto-gamer » au « crypto-rich » en passant par le « crypto-dealer ». Une première approche « socio » pour mieux appréhender la communauté crypto.

IN. : quel est l’intérêt pour un consommateur d’acheter un produit « virtuel » ?

S.G : Les motivations diffèrent selon les profils observés dans l’étude, mais on en revient finalement aux trois strates supérieures de la pyramide de Maslow, version 3.0 : appartenance à la communauté « crypto », estime de soi via son « double virtuel », accomplissement personnel « au-delà du réel ».

Le « crypto-gamer » par exemple, recherche une forme de transcendance identitaire via son avatar de jeu, une réplique fantasmée de lui-même qui passe par l’achat de ce que l’on appelle un « skin » : vêtement ou accessoires virtuels, maquillages, tatouages, chevelure ou autres parures 3D. Le « crypto-dealer » quant à lui va identifier, acheter et revendre les objets digitaux dont la rareté numérique lui assure une plus-value à très court terme. Ainsi, la réplique « virtuelle » d’un sac Gucci a été revendue sur Roblox pour un montant supérieur à son modèle original en boutique, par effet spéculatif.

Pour le millionnaire qui s’est enrichi grâce aux crypto-monnaies, quoi de plus logique que d’investir des fortunes dans l’art NFT ? L’achat d’une œuvre virtuelle est à la fois un placement audacieux pour un acquéreur « crypto-rich », mais aussi hautement symbolique, de fait, car il contribue ainsi à l’émergence d’un courant artistique inédit du XXIème siècle : le crypto-art.

Transcendance de soi par l’objet, esprit collectionneur, élitisme communautaire, snobisme digital, il y a bien des raisons de miser sur les NFTs pour ce nouveau segment d’une nouvelle clientèle du luxe 3.0 !

IN. : quels exemples d’initiatives de marques innovantes dans ce domaine pouvez-vous donner ?

S.G. : Un bon nombre de marques prestigieuses ont fait parler d’elles en 2021 en s’appropriant le phénomène des NFTs, mais sans réelle audace créative ou innovation majeure. Elles ont tout simplement appliqué le principe des NFTs aux leviers classiques et maîtrisés du secteur luxe : collaboration artistique, séries limitées, ventes aux enchères caritatives, entre autres.

Néanmoins, certaines grandes maisons ont su tirer leur épingle du jeu, même sur ces grands principes, sans grande disruptivité. Nous avons identifié plus d’une cinquantaine d’études de cas dans les secteurs clés du luxe afin d’apporter une vision holistique sur notre décryptage.

Le projet NFT de Bulgari Serpenti Metamorphosis est très intéressant dans la Haute-Joaillerie, un secteur du luxe traditionnellement moins avant-gardiste dans l’appropriation des nouvelles technologies, comme la mode ou le make-up, par exemple, dont le business model est fondé sur « l’air du temps ».

Présenté à la Design Week de Milan en octobre 2021, le projet NFT de Bulgari est l’installation 3D immersive d’une icône maison, le Serpenti, une œuvre conçue par l’artiste multimédia Refik Anadol. Une série d’algorithmes composée de 200 millions d’images de la nature, 160 millions d’images de fleurs et 120.000 images de serpents donne vie à la métamorphose permanente du Serpenti, rendue possible grâce à l’intelligence artificielle. Après Milan, Bulgari Serpenti Metamorphosis voyagera à travers le monde, convertie en un NFT multisensoriel et multidimensionnel et mise aux enchères, au profit d’une association caritative, bien entendu.

En jouant sur le terrain de l’événementiel, tout en capitalisant sur le storytelling maison de son produit emblématique, Bulgari Serpenti Metamorphosis est avant tout une expérience de luxe dont la quintessence finale sera un NFT à propriété unique.

IN. : quid des magasins  numériques ? Ont-ils de l’avenir ?

S.G. : Lancôme, Dior, Clarins, Baccarat, Dom Pérignon et bien d’autres proposent déjà des espaces virtuels accessibles depuis leur site web e-commerce ou sous forme de « pop-up store » virtuel. Toutes ces initiatives sont nées pendant la pandémie pour pallier une baisse de trafic en point de vente physique.

L’idée était de reproduire l’expérience client en boutique dans de nouveaux espaces virtuels, mais pour être tout à fait honnête, on est plus proche de la technologie « Quicktime VR » des années 2000 : il faut cliquer pour se déplacer dans l’espace, l’image 360° se déforme, le parcours client n’est pas très fluide, les signalisations de déplacement sont grossières. La « haute-couture » technologique n’est pas vraiment respectée car le savoir-faire digital n’est pas encore très développé dans le département « retail » des grandes maisons.

Cela démontre cependant la volonté des marques de luxe de vouloir reproduire leurs espaces physiques dans ce nouvel environnement immersif, à 360° : le fameux Métavers ! En ce début d’année 2022, se dessinent deux tendances émergentes : le virtual commerce (ou v-commerce) et les méta-stores, des magasins immersifs à 360°, ouverts 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Dernier exemple en date, Samsung qui vient d’annoncer lors du CES l’ouverture d’une boutique « pop up store » éphémère sur l’une des parcelles de terre de Decentraland, l’un des mondes virtuels les plus populaires. Surnommé Samsung 837X, en référence à l’immense flaghship Samsung situé au 837 Washington Street, dans le Meatpacking District de New York, à Manhattan, le « virtual store » sera ouvert à Decentraland pour une durée limitée. 

Pour cette occasion, la société a organisé une soirée dansante en réalité mixte, depuis sa boutique physique de New York. Les participants pouvaient également participer à une chasse au trésor, afin d’obtenir des NFTs ainsi que des articles vestimentaires.

Autre concept à suivre de près en 2022, les « Malls » ou autres « Place Vendôme 3.0 » en cours de construction dans les métavers de type Decentraland ou The Sandbox, dont le prix foncier flambe déjà : 106 millions de dollars de terrains NFT ont été vendus entre le 22 et le 28 novembre 2021, selon Dappradar.

 

En résumé

BLSTK, le bureau de tendances de l’agence Balistik # Art, lance deux études : la première WTF THE NFT décrypte le phénomène des « jetons non fongibles », la deuxième, « Meta-Luxury 3.0 » sortira à la mi-février, et porte sur le « Métavers ».  Deux domaines de plus en plus préemptés par le luxe. Dans une étude qui vient d’être publiée, l’institution financière Morgan Stanley évalue l’écosystème global des métavers et des NFT à 250 milliards de dollars d’ici 2030, dont 50 milliards pour le luxe. Tous les secteurs du luxe sont concernés. Les maisons de luxe et griffes de mode qui ont surfé sur la tendance NFT en 2021 ont profité du buzz médiatique qui entoure ce nouveau phénomène « digital » certes, mais cela ne sera plus le cas en 2022 : il leur faudra redoubler de créativité et d’originalité pour émerger après le peloton de tête des marques « précurseurs » tels que Nike, Adidas ou Gucci, pour ne citer qu’elles

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