La neuroscience constitue pour les marques le fantasme presque ultime de la pertinence publicitaire. Pénétrer le cerveau du consommateur pour découvrir son intime et même son inconscient relève du fantasme. Sa réalisation commence à devenir possible mais le neuromarketing pose des questions déontologiques et pragmatiques.
Comment incruster une pub dans le tiroir à souvenirs du cerveau humain ? Le neuromarketing cherche sans relâche les réponses que chaque annonceur attend comme le messie. En pénétrant le cerveau des consommateurs pour découvrir leurs pensées intimes, il révolutionne la manière dont les marques perçoivent le champ du possible de la pertinence publicitaire presque parfaite. L’an dernier, INfluencia expliquait que cette nouvelle science universitaire constituait un secteur prometteur et rémunérateur pour les spécialistes autoproclamés du neuromarketing. Dans une récente tribune publiée sur Forbes, Mike Templeman, fondateur de Foxtail Marketing, livre par exemple des conseils sur la bonne utilisation de la neuroscience par le content marketing. Ou quand le marketing et les marques s’approprient une discipline académique.
« Les communicants ont toujours cherché à agir sur la pensée et le comportement de leurs cibles, résume Denis Benoit, professeur en communication de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 « Le neuromarketing utilise juste des technologies qui n’étaient pas disponibles plus tôt « . En avril 2016, la rédaction se penchait sur une étude de Think Box et Neuro-Insight qui, sous couvert de neurologie, énonçait six clefs pour concevoir une pub mémorable. La feuille de route est censée rassurer le landernau de la pub, pour qui le chantier du neuromarketing reste intriguant, anxiogène et complexe, n’en déplaise à tous les gourous, qui un peu trop facilement depuis un an, assurent détenir la recette universelle du moment.
« Le problème est que pour l’instant ceux qui parlent de neuromarketing ne sont pas des chercheurs du monde académique, ni des gens qui ont mené des études ou étudié les neurosciences ou la psychologie. C’est un problème car cela induit un code déontologique trop laxiste », regrette Sylwia Hyniewska, docteur et chercheuse à l’université de Bath, en Angleterre. Pour cette spécialiste des émotions, que Forbes recommande d’utiliser comme levier d’activation pour stimuler le cerveau, »tout ce qui est “neuro” est à la mode au point de devenir risible du point de vue académique. En même temps, ceux qui font de la neuroscience à proprement parler sont très, très éloignés du monde réel et des comportements de tous les jours « . Et donc in fine des consommateurs.
L’imagerie, un leurre marketing
« Peu de recherches sérieuses portent sur le marketing et la perception des produits, ce qui est très dommage. Le neuromarketing possède un avenir car il me semble un outil utile. On devrait investir dedans, en commençant par le monde académique qui devrait moins s’en moquer et plus y contribuer. Une des façons les plus efficaces serait la création de comités d’éthique qui gèreraient l’utilisation de méthodes neurologiques en marketing, que ce soit au niveau national ou international. Ce modèle est similaire à celui qui est déjà utilisé en recherche : informer et ne pas décevoir, ne jamais nuire au participant et ne pas prendre de risque quant à son bien-être. Il faudrait même, pour encore plus d’objectivité, instaurer des contrôles éthiques ponctuels « , poursuit Sylwia Hyniewska.
Voir les professionnels du marketing utiliser l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), étudier les outils psycho-cognitifs ou mesurer les indicateurs physiologiques n’est finalement pas étonnant en soi. La « révolution » que nous annoncent certains marketeurs est-elle toutefois vraiment en marche ? « Les institutions spécialisées ont tout intérêt à faire le buzz en disant qu’elles sont capables de découvrir plein de choses en faisant des IRM de consommateurs. Cela leur permet d’avoir des retombées dans la presse et elles peuvent ensuite montrer ces articles pour décrocher des budgets de financement pour certains laboratoires de recherches. Mais si on veut être tout à fait honnête, on doit clairement dire qu’on ne sait pas grand-chose de la réelle efficacité de ces techniques », explique Didier Courbet, directeur adjoint de l’Institut de recherche en sciences de l’information et de la communication de l’Université Aix-Marseille.
Aller puiser dans les attitudes inconscientes
« Les études par imagerie sont passionnante, mais leur utilité dans le monde du marketing est très loin d’avoir été prouvé avec les outils que nous avons aujourd’hui. C’est plus une astuce de marketing », confirme Sylwia Hyniewska « Il y a par contre de très bons travaux de recherche scientifique sur la perception inconsciente et les images subliminales. Et oui, ça marche. Les opportunités pour influencer les consommateurs, sans qu’ils en soient conscients ou qu’ils y consentent, augmentent proportionnellement aux découvertes de recherche portant sur la perception, la prise de décision, les réactions émotionnelles et le cerveau. Et ce sont des domaines en plein boom « .
Depuis peu des méthodes d’imagerie cérébrale permettent d’avoir une idée très générale du ressenti des individus. On ne peut pas mettre le doigt sur des réactions émotionnelles précises mais les données seraient suffisantes pour conclure que la personne qui voit un produit le trouve stressant ou relaxant et rassurant. Ou si l’expérience lui donne envie de s’en approcher ou de le rejeter. Les données sont encore très grossières et ne permettent pas de différencier des produits similaires, comme par exemple deux produits agréables, « mais c’est suffisant pour qu’on s’y attarde », affirme Sylwia Hyniewska.
Elle conclut en entrouvrant la porte du sésame : « Le grand attrait d’utiliser des neurosciences dans le marketing serait d’avoir accès à une part inconsciente du consommateur, tout un domaine du non-dit, du non-dévoilé et du mal compris par l’individu lui-même. Il y a peu de lien entre les pensées conscientes des gens et leurs actions, tels que les achats par exemple. Donc il faut puiser dans les attitudes inconscientes « .