Le neuromarketing révolutionne la manière dont les marques mettent en avant leurs produits. En pénétrant le cerveau des consommateurs pour découvrir leurs pensées intimes, les industriels pourraient trouver les logos et les slogans qui feraient mouche à tous les coups.
Voir les professionnels du marketing utiliser l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), étudier les outils psycho-cognitifs ou mesurer les indicateurs physiologiques n’est pas étonnant en soi. « Les communicants ont toujours cherché à agir sur la pensée et le comportement de leurs cibles, résume Denis Benoit, un professeur en communication de l’université Montpellier 3. Le neuromarketing n’est en cela pas très différent de ce qui se faisait avant. Il utilise juste des technologies qui n’étaient pas disponibles plus tôt. »
Les belles promesses marketing des images IRM
Les premiers tests ne datent toutefois pas d’hier. « Les chercheurs ont commencé à faire des enregistrements des ondes cérébrales de personnes regardant la télévision dès la fin des années 1970, explique Olivier Oullier, professeur et chercheur en psychologie et neurosciences à Aix-Marseille. Mais c’est seulement lorsque les belles images des IRM sont apparues que certains instituts ont réussi à vendre leur approche [aux groupes privés]. » La « révolution » que nous annoncent certains « marketers » est-elle toutefois vraiment en marche ? Placer un « cobaye » dans une IRM peut-il réellement permettre d’influencer ses choix ? De nombreux spécialistes en doutent, mais l’avenir de cette nouvelle « science » s’annonce pourtant radieux…
Le business a ses raisons que la raison ne connaît point. Le neuromarketing est un secteur prometteur et… rémunérateur pour les « spécialistes » de cette nouvelle « science ». « C’est un gros business, confirme Didier Courbet, le directeur adjoint de l’Institut de recherche en sciences de l’information et de la communication de l’université Aix-Marseille. Certains gagnent beaucoup d’argent sur ce marché. La société anglaise Neurosense, qui travaille pour de nombreuses multinationales comme Coca-Cola, BBC, Ford, Heinz, Intel, L’Oréal, McDonalds, Ogilvy ou Unilever, promet ainsi monts et merveilles à ses prospects. « Notre spécialité est de découvrir les sentiments profonds et les réactions inconscientes que les consommateurs peuvent avoir lorsqu’ils voient des marques, des produits, des packagings, des publicités et des campagnes de marketing, explique la firme londonienne. En aidant nos clients à comprendre ce que les consommateurs pensent réellement de leur marque, nous les aidons à créer de meilleurs produits et de meilleurs services. Ils peuvent également offrir des campagnes publicitaires et de marketing plus efficaces. » Rien que cela… Mais certaines promesses sont parfois trop belles pour être vraies.
Les pros du marketing en avance sur les neurosciences
« Les institutions spécialisées ont tout intérêt à faire le buzz en disant qu’elles sont capables de découvrir plein de choses en faisant des IRM de consommateurs, note Didier Courbet. Cela leur permet d’avoir des retombées dans la presse et elles peuvent ensuite montrer ces articles pour décrocher des budgets de financement pour certains laboratoires de recherches. Mais si on veut être tout à fait honnête, on doit clairement dire qu’on ne sait pas grand-chose de la réelle efficacité de ces techniques. Et il ajoute : l’exemple qui est constamment cité pour prouver que le succès de la neuro-imagerie n’apporte en réalité rien de nouveau pour les marketers est celui de Coca versus Pepsi. Depuis longtemps, des études n’utilisant pas l’IRM montrent ainsi que Pepsi est généralement préféré à Coca lorsque les consommateurs comparent le goût des deux boissons à l’aveugle. En revanche, ce résultat est généralement inversé quand les personnes savent à l’avance quelle marque elles boivent. Cela prouve que la bonne image de Coca-Cola influence la préférence déclarée et prend donc le pas sur le goût. Lorsque la même expérience est faite dans une IRM, l’activation de la zone cérébrale du putamen ventral est plus forte pour Pepsi quand le test est fait à l’aveugle. Lorsque le sujet est informé de la marque, une zone supplémentaire s’active, celle du cortex préfrontal médian, qui est généralement activée quand une personne effectue un jugement de valeur ou un raisonnement. Si ces résultats sont intéressants pour la recherche en neurosciences, ils n’ont aucune utilité pour les professionnels du marketing qui savaient déjà tout cela depuis longtemps. »
Ni pertinent… ni légal
Les IRM permettraient-elles donc uniquement d’enfoncer des portes ouvertes ? Beaucoup semblent le penser. « Il n’est pas facile de tirer des enseignements des images que l’on peut déceler dans une IRM, confirme Anaïs Guillemane de l’agence W&Cie. Cette technologie n’est pas forcément utile et pertinente pour tester des consommateurs. Elle est également très contraignante et coûteuse. » Comment peut-on en effet prétendre tester un « cobaye » dans des « conditions réelles » lorsqu’on lui demande d’aller à l’hôpital s’installer dans une machine bruyante et stressante pour goûter un produit ou regarder un visuel. La neuro-imagerie ne permet pas non plus de simuler l’achat en magasin par exemple. Le coût moyen d’une analyse (1 000 euros par personne) limite en outre la taille du panel qui peut être testé. Un autre « détail » freine l’essor de cette technologie en France : son illégalité…
Notre pays est en effet le seul au monde à interdire l’utilisation d’IRM à des fins commerciales. La « peur » de pénétrer dans le cerveau des individus afin d’influencer leur libre arbitre explique en partie cette interdiction tout comme le manque flagrant d’équipements dans les hôpitaux publics. « En France, en moyenne, un patient doit attendre plus d’un mois avant de pouvoir passer une IRM cruciale pour son traitement voire sa vie, révèle Didier Courbet. Un cancéreux comprendrait mal – et il aurait raison – de voir que le soir l’IRM est fermée aux malades, mais en revanche ouverte pour que des marques puissent effectuer des tests de marketing. »
Revenir aux outils de base du neuromarketing
Limiter le neuromarketing à la neuro-imagerie serait toutefois très réducteur. Les chercheurs peuvent en effet étudier l’inconscient des consommateurs en se servant d’indicateurs physiologiques très « simples » comme le degré de sudation des mains, la dilatation pupillaire ou le rythme cardiaque. L’analyse du mouvement des yeux grâce à la technique du eye tracking ou l’enregistrement au millième de seconde des temps de réponse à des questions sont d’autres méthodes qui ont fait leurs preuves pour mesurer l’efficacité d’une marque, d’un produit ou d’une campagne publicitaire. « Ces techniques se développent beaucoup, car elles permettent de mettre de côté nos biais cognitifs, salue Anaïs Guillemane. Les pré-tests déclaratifs de la publicité des Gorilles de Cadbury avaient obtenu des résultats catastrophiques, mais en utilisant le neuromarketing tout en évitant les IRM, le groupe s’est aperçu que les consommateurs avaient en réalité une réaction positive face à ce spot. La campagne a donc été lancée et elle a rencontré un franc succès. »
Tenter de comprendre le fonctionnement de notre cerveau peut également avoir des effets bénéfiques dans le domaine de la santé publique. « On peut par exemple aider les gens à arrêter de fumer ou à rouler moins vite sur les routes grâce au neuromarketing », affirme Denis Benoit. L’université Aix-Marseille cherche, elle, à améliorer la campagne nationale contre l’obésité en utilisant des outils psycho-cognitifs et en analysant les éléments non conscients des consommateurs. Olivier Oullier utilise, pour sa part, l’IRMf pour imaginer le futur paquet de cigarettes « neutre » qui sera commercialisé en France.
Les marques confrontées au cadre éthique
« Pour les marques, la question de l’éthique doit toutefois se poser, insiste Didier Courbet. Les consommateurs ont en effet le droit de savoir comment les publicitaires et les entreprises privées vont tenter de les influencer à leur insu. » Denis Benoit ne dit rien d’autre. « L’État a un rôle très important à jouer dans ce domaine, car il doit réglementer à la fois la recherche et la pratique du neuromarketing, juge ce chercheur. Dans la société de consommation dans laquelle nous vivons, on arrive très vite à faire n’importe quoi. »
Mais la technologie et son application au marketing ont encore de beaux jours devant eux et vont continuer de se développer, « car plus les recherches avancent, plus on découvre que l’inconscient des gens joue un rôle beaucoup plus important qu’on le pensait dans leur processus d’achat et leur comportement en général, résume Didier Courbet. Les marques vont donc tenter d’influencer l’inconscient des consommateurs, mais on ne peut pas dire aujourd’hui si cela va fonctionner ou pas. »
Anaïs Guillemane prédit, elle aussi, un avenir radieux au neuromarketing : « On commence à avoir de bonnes connaissances et de bons outils pour analyser la manière dont le cerveau réfléchit. Ces technologies ne vont pas nous permettre de changer le consommateur ou de modifier sa façon de voir les choses, mais elles vont nous aider à diffuser des messages qui seront plus efficaces. » Olivier Oullier partage cette opinion : « Le neuromarketing n’est qu’un outil supplémentaire pour comprendre les comportements des consommateurs. Quand on voit les millions d’euros qui sont dépensés chaque jour en études marketing, il est normal de voir des marques se tourner vers d’autres technologies. Mais je pense que le neuromarketing aura prouvé son succès le jour où on n’en parlera plus… » Il sera alors devenu un outil de marketing comme les autres. Ni plus, ni moins…
Article tiré de la revue N°13 consacrée à « l’influence »
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