6 novembre 2013

Temps de lecture : 2 min

Le myhologue: Avec les algorithmes, le mythe de l’amitié en prend un coup

L’amitié n’existe pas ; voilà pourquoi Facebook réussit ! Luc Dellisse, romancier, essayiste, qui enseigne l’art du scenario à Paris et Bruxelles vient de publier un livre étonnant « Le tombeau d’une amitié : André Gide et Pierre Louÿs » .

L’auteur de ces relations étranges entre André Gide, encore étudié de nos jours et Pierre Louÿs, génie littéraire précoce et quasi inconnu, nous dresse en bon scénariste le récit de leur amitié. Le brillant Pierre et le terne André qui profite de la lumière du premier, l’imite et finit par le dépasser. Là, bien-sûr, toute amitié disparaît : « Quel contraste : tandis que l’un monte ainsi vers l’azur, l’autre s’enfonce inexorablement ». On ne peut s’empêcher de penser aux amitiés célèbres, à soi-même, à ses amicales relations, aux algorithmes des réseaux sociaux… L’amitié en prend un sale coup !

Toutes les amitiés se ressembleraient et seraient fruits de la séparation.

A propos de « ses » deux auteurs, Luc Dellisse fait une comparaison : « Gide et Louÿs rejouent sans le savoir l’histoire contrastée et la relation difficile entre Diderot et Rousseau ».

Que dire alors de Montaigne et de son ami La Boétie dont Montaigne écrira, après sa mort : « Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui ; parce que c’était moi. » Cette amitié mythique deviendra littéraire parce que La Boétie, le plus doué des deux mourra très jeune et laissera la place à Montaigne pour s’exprimer.

L’amitié ne serait qu’un mythe, une histoire extraordinaire à laquelle les gens croient dur comme fer mais qui n’est qu’une illusion de plus : les amitiés célèbres ne perdurent que parce que l’un meurt…

Et aujourd’hui ?

Relisons Montaigne : « Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité… ».

L’amitié absolue serait rarissime et n’existerait peut-être pas hors de circonstances exceptionnelles. Ce qu’on nomme amitié ne serait que le fruit de l’occasion ou de l’intérêt. C’est ce qu’exprime le pessimiste La Rochefoucauld dans l’une de ses maximes : « Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts et qu’un échange de bons offices; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner. »

Nous voilà bien déçus et l’amitié rangée au rang de mythe, une vertu que les gens croient bien réelle et qui ne l’est sans doute pas. Tout au plus une représentation artistique du genre humain et de sa capacité à se croire meilleur qu’il n’est.

Nos « amis » de Facebook

La génération des réseaux sociaux, celle qu’on nomme quelquefois « les Nouveaux Bovary » a fait de la rencontre et de l’amitié qui s’en suit un fondement de sa mythologie. Et qui dit amitié dit transparence. Entre amis, on se dit tout : « Les vraies amies ne se cachent rien. Si le blond de l’une est une calamité ou que le nouvel amoureux de l’autre est une erreur ambulante, elles ne prennent pas de gants pour lâcher le morceau. ». Facebook nous propose des amis à la pelle. Nous l’acceptons d’autant plus volontiers que l’amitié n’existerait pas.

Tout serait pipé, en effet depuis Homère. Et on doit bien l’accepter à l’époque des grandes oreilles, où nos futurs « amis » nous sont proposés par algorithmes : « Nous sommes constamment engagés dans une sorte de danse avec l’algorithme dont nous ne connaissons ni les règles, ni quand elles sont modifiées ». Les algorithmes ne peuvent fabriquer que des communautés, or l’amitié est unique !

D’ailleurs, on est rarement « ami sur Facebook » avec ses vrai (e)s ami (e)s. Ne trouvez-vous pas cela curieux ?

Georges Lewi
Mythologue, spécialiste des marques.
Blog : www.mythologicorp.com

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