« Ce que nous construisons réellement est une version augmentée de l’humanité, des ordinateurs qui aident les humains à faire les choses qu’ils ne pourraient pas faire mieux ». Le patron de Google, Eric Schmidt, annonçait la couleur en 2009. Google n’en est pas à son coup d’essai dans ce domaine puisque la firme de la Silicon Valley sponsorise depuis quelques années la « Singularity University », club de réflexion très inspirée par les thèses de Ray Kurzweil, scientifique américain rendu célèbre par ses écrits prônant l’utilisation des sciences et des techniques pour améliorer les capacités mentales, psychiques et physiques de l’homme, notamment via les nanotechnologies.
Selon bon nombre de scientifiques et de penseurs, l’homme serait en effet voie d’être « transformé » grâce aux nouvelles technologies. C’est notamment la thèse soutenue par les posthumanistes dont l’un des plus célèbres porte-paroles est justement un certain Ray Kurzweil. Pour ce dernier, le moment est imminent où l’homme sera totalement dépassé par les machines et devra alors passer dans une nouvelle phase de son existence sur terre : la post-humanité, l’humanité augmentée par les machines.
Kurzweil estime que le point de non-retour sera atteint en 2045. A cette date, d’après ses calculs, la quantité d’intelligence artificielle créée sera un milliard de fois supérieure à toute intelligence humaine. Des scientifiques ont récemment réussi à implanter des puces électroniques dans les cerveaux de singes, leur permettant d’activer des zones de décision par la pensée et de donner des ordres à des ordinateurs connectés à leurs cellules.
Mais les espérances des post-humanistes portent surtout sur le dépassement de la mort. Leur fantasme est d’offrir, grâce à la recherche scientifique, la possibilité d’exporter nos souvenirs, notre vie, notre conscience dans des ordinateurs une fois notre enveloppe physique corporelle dépassée et obsolète et de les réinjecter dans un cerveau et un corps plus jeunes. Nous deviendrions ainsi des cyborgs immortels. Pour Kurzweil et les post-humanistes, ces innovations seraient inéluctables et seraient le sens de notre évolution en tant qu’espèce, en quelque sorte la suite du darwinisme où nous aurions opéré un croisement avec les machines. Il est vrai que techniquement rien ne s’opposerait à ce que l’homme vienne au bout de la mort. Il est d’ailleurs probable que l’espérance de vie doublera au cours du XXIème siècle sous l’influence des progrès de la génomie, la biotechnologie et des nanotechnologies réparatrices qui vont certainement changer le rapport à la médecine.
Il y a du tragique dans cette quête. Il est en effet passionnant de savoir que la quête de Ray Kurzweil est en fait de retrouver son père, mort relativement jeune. Sa quête pour terrasser la mort est en fait une quête désespérée pour ressusciter un être auquel il tenait plus que tout.
C’est bien le signe que l’homme ne sera jamais annihilé, ou dépassé définitivement. Nous n’entrons ainsi pas dans une « post-humanité » où nous serions des cyborgs mais au contraire dans une période de renforcement de l’humain, dans une ère de revitalisation de l’humanité par un retour aux sources assistée par ordinateur. Le débat n’est plus de savoir si l’être humain sera augmenté ou non. Nous y viendrons sans doute. Il est probable que des puces intelligentes répareront nos cellules et nous feront vivre plus longtemps mais elles nous feront très certainement également ressentir plus, vivre plus, toucher plus, sentir plus, goûter plus, jouir plus et nous permettront d’explorer encore plus nos corps et notre humanité.
Grâce à la technique, au digital et aux réseaux sociaux nous sommes de retour dans la mythologie dionysiaque. L’humain des profondeurs et des origines, joyeux, libidineux, règne à nouveau. Dans sa dimension la moins froide, la plus charnelle, la plus visqueuse.
Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.
* Salon.com : The future will not be cool », Nassim Nicholas Taleb