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La potion aura offert aux nombreuses entreprises forcées de réorganiser, du jour au lendemain, leurs troupes en télétravail, les outils pour ce faire tout en continuant à créer de la valeur ; dans le cas du secteur de la communication il s’agissait de continuer à accompagner les entreprises vers la conquête de nouveaux clients et le renforcement des relations avec les communautés existantes (internes et externes). Le poison réside dans l’émergence des nombreux travers qui détruisent en partie cette même valeur ajoutée, noyant le quotidien de chacun de contraintes inutiles, anxiogènes et parfois dangereuses si l’on considère l’explosion des abondantes formes de délinquances et agressions numériques (virus, cyberattaque, ransomware…).
Numérique paradoxe
Parmi les externalités observées conséquemment à l’adoption généralisée de solutions numériques dans tous les compartiments de nos vies, notons un point paradoxal. Les réseaux sociaux offrent à ceux qui désirent s’y jeter à corps perdu une vie de relations sans frontière. Dans le même temps, l’information personnalisée a perdu une part qui me semble essentielle à l’efficacité à laquelle nous aspirons dans notre travail. Expliquons :
Le numérique est l’archétype de la démocratisation sans bornes des applications : abonnements à tous les comptes twitter, Insta, Snap, imaginables ; à tous les groupes Facebook, les chaînes YouTube ou autres streamers Twitch. Envois en nombre du moindre mail à tous les étages hiérarchiques des entreprises/organisations. A tel point que l’engorgement de nos boites mails a œuvré au développement de nombreuses solutions alternatives comme Slack pour ne citer que la plus « bankable ». Notre vie s’est transformée en une vase carte géographique constituée d’un ensemble de liens réticulaires. L’abondance de contenus provoque une concurrence au niveau de la fonction attentionnelle de chacun telle qu’elle est excellement décrite par Gerald Bronner dans son dernière ouvrage . Il est admis de penser désormais que le sujet essentiel des entreprises n’est pas l’assimilation de méthodes de travail mais la formation à une matière désignée chez les anglo-saxons par l’expression « digital literacy » (alphabétisation aux règles numériques) c’est-à-dire l’aptitude à hiérarchiser l’information et surtout celle à laquelle être attentive. Or je ne suis pas ministre de l’Éducation nationale et je regrette à notre niveau quelques points préjudiciable à nos entreprises qui sont la disparition inquiétante des actes d’information auxquels chaque collaborateurs ou chaque client aurait droit :
Revenir à l’essentiel des choses simples :
Plus personne n’informe personnellement chaque collègue. Nous vivons sous le régime de la délicieuse phrase et terrifiante à la fois, érigée en mème : « tu étais en copie du mail ». Rares sont les adeptes, hormis quelques vieux schnocks, du principe de « communication de la communication ». Je dis ce que je fais, même s’il n’y a peu de résultat ; et je le dis à la personne concernée. L’exemple d’une redoutable efficacité est celle à laquelle la RATP a formé ses conducteurs. A chaque coupure de courant ces derniers sont les porteurs d’une figure de style ancienne et parfois moquée, alors qu’elle fût une arme maitresse de la communication gaullienne, la tautologie. Un acte sans intérêt tellement rassurant : « le courant vient d’être coupé, je reviens vers vous dès que j’en sais davantage. Si je reprends les catégories conceptualisées par Ferdinand de Saussure le prince de la linguistique moderne, je dirais que « Le signifié » est sans intérêt : oui je sais qu’il n’y a plus de courant. Or « Le signifiant » est porteur du sens ontologique de la communication. Donner une information qui compte et qui prend soin des autres. Une expression simple et quotidienne du concept de « care » décrit abondamment en politique. Une valeur-concept que chaque marque désire secrètement incarner auprès de ses clients.
Soustraire au lieu d’additionner : un avenir plus efficace
Envoyer un SMS personnalisé, un mail sans recourir aux fonctionnalités Cc ou Cci devient d’une rareté qui pourrait donner un jour l’idée à un artiste d’en faire un NFT (non-fungible token) et de s’enrichir au-delà de l’entendement. Ce propos n’est pas négationniste des formidables progrès permis par le numérique. Il tente de démontrer que nous devons combattre les aspects insupportables qui font plus de bien que de mal à l’intention de communiquer et d’informer. A ce titre, selon une étude publiée dans Nature par Leidy Klotz, Gabrielle Adams et Benjamin Converse (un ingénieur et deux psychologues de l’Université de Virginie), un biais cognitif nous pousserait à privilégier des solutions additives face à un problème ou lors d’un apprentissage plutôt que des solutions soustractives. Pourquoi, interrogent-ils, ajouter deux petites roues à un vélo alors que la Draisienne est plus efficace pour l’apprentissage de la bicyclette ? Titrer ce texte en recourant au terme extrêmement connoté de « décroissance » a pour ambition de nous inciter à revenir à des actes simples, des actes soustractifs. De plus il en va de l’amélioration de la prise en compte de chaque Homme, chaque client ou chaque collaboratrice, qui apparaît derrière un mail, un compte social. Moins de Cc ou de Cci, moins d’abonnement à des comptes sociaux, voila un acte de frugalité sans trop d’effort qui pourrait enclencher un début de changement de la face du numérique. Le secteur des « relations presse » s’engagent chaque jour davantage à réduire les campagnes de mailings envoyés en masse qui irritent les journalistes pour privilégier la relation « one to one » et les contenus sous la forme d’accords d’exclusivité. C’est encore trop peu, mais c’est un signal faible à prendre en considération.